Le président de la République Ibrahim Boubacar Keïta a reçu la semaine dernière le chef de file de l’opposition malienne. Si rien n’a filtré de ce premier tête-à-tête, les deux hommes ont décidé de se retrouver ce lundi ou demain mardi. Cette entrevue entre ces deux anciens caciques de l’ADEMA présage un chaos pour le Mali.
Lâché par les religieux qui réclament d’ailleurs la tête de son Premier ministre Soumeylou Boubèye Maïga, confronté au mécontentement généralisé des syndicats, l’entrée en jeu de l’Association des élèves et étudiants du Mali (AEEM) dans la crise scolaire, le chef de l’Etat Ibrahim Boubacar Keïta (IBK) n’avait plus d’autre choix que de chercher un rapprochement avec Soumaïla Cissé, président de l’Union pour la République et la démocratie (URD), chef de file de l’opposition. Ce rapprochement permettra à IBK de mettre fin à son isolement sur la scène politique nationale. Et il ne vise qu’un seul objectif: mise en place d’un front commun pour tenir tête à ces nouveaux acteurs dont les actions risquent de nuire aux intérêts des anciens de l’ADEMA qui tirent encore les ficelles du cordon économique du Mali.
Il n’est un secret pour personne qu’ils ont pillé le pays en bandes organisées pour constituer un trésor de guerre en achetant des actions dans de plus grandes sociétés de la place, des bâtiments administratifs qu’ils louent à l’Etat à coûts de centaines de millions de nos francs. Ce gangstérisme leur a permis de devenir les plus grands propriétaires des immeubles, des villas de haut standing dans les quartiers huppés de Bamako, de domaines fonciers, prestataires de service de l’administration publique, de la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation du Mali (MINUSMA), bref, tout le circuit financier et économique du Mali. Donc, c’est la préservation de cet empire financier bâti par le sang des Maliens qu’IBK lance un appel d’urgence à Soumaïla Cissé et non une décrispation de la situation politique pour le bonheur du peuple malien.
L’appel soudain à l’endroit du chef de file de l’opposition et la rencontre qui s’en est suivie quelques jours plus tôt font suite à la montée en puissance des religieux. Ceux-ci ne se sont pas contentés de la prière pour le retour de la paix. Ils ont, au cours d’un meeting organisé, le 10 février, au stade du 26-Mars, dénoncé avec véhémence les tares du régime IBK. Comme si cela ne suffisait pas, ils ont demandé la démission de Soumeylou Boubèye Maïga de la primature. A cela s’ajoutent les grèves des enseignants qui perturbent le bon déroulement des cours, depuis décembre 2018 et la sortie générale décrétée par l’AEEM pour faire sortir les élèves des établissements privés qui étaient jusque-là épargnés par les sorties.
Ce sont ces actions combinées qui ont permis à IBK de prendre la température du pays. C’est pour quoi il a vite compris que l’heure est venue pour lui de chercher un allié de taille pour affronter la nouvelle menace qui se dessine à l’horizon. Et cet oiseau rare ne pouvait être que Soumaïla Cissé, arrivé deuxième à la présidentielle de 2018 mais qui continue de ne pas reconnaître sa victoire. Ce choix n’est pas fortuit. Il procède d’un calcul politicien.
D’abord, Soumaïla Cissé est à la tête d’un regroupement de partis politiques, Front pour la sauvegarde de la démocratie (FSD), dont les têtes de proue peuvent drainer du beau monde pour faire échec aux réformes institutionnelles que le président de la République compte réaliser cette année pour faire plaire aux bandits de la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA) et leurs soutiens occidentaux concrétise sa main tendue à l’endroit de l’opposition. Elles ont maintes fois prouvé lors des meetings que le FSD a organisé pour contester les résultats qui ont donné IBK vainqueur de la présidentielle de 2018. Ensuite, il y a dans la ligne de mire la révision constitutionnelle. Le président IBK sait consciemment aujourd’hui que sans consensus son projet de réforme de la Constitution de 1992 sera voué à l’échec.
Comme ce fut le cas en 2018. Déjà, il a senti les prémices du rejet de la réforme de la Constitution par les Maliens. Hormis la coalition qui soutient IBK, Ensemble pour le Mali (EPM) et quelques associations qui soutiennent encore ses actions au-delà de l’animation de la campagne présidentielle pour laquelle ils ont été créés, les partis politiques significatifs du landerneau politique national et des mouvements politiques d’envergure nationale ont affûté leurs armes. Ils ont donné le ton en bondant le cadre de concertation nationale créé au sein du ministère de l’Administration nationale et de la Décentralisation. Ce cadre est devenu une coquille vide depuis le départ de ces grosses pointures.
Ce rapprochement est dicté par la reconstitution du parti Alliance pour la démocratie au Mali=Parti africain pour la solidarité et la justice (ADEMA- PASJ) qu’IBK et Soumaïla Cissé ont fragilisé en le quittant pour créer propre formation politique et non pour l’apaisement du climat social et politique. Aujourd’hui, leur gestion des affaires de l’Etat a montré qu’ils se soucient peu du bien-être de leurs compatriotes. Ceux qui les animent ces temps-ci, c’est la préservation des biens mal acquis qu’ils ont amassés durant les dix (10) ans (1992-2002) de gestion du pouvoir ADEMA. Ils tiennent à cela comme à la prunelle de leurs yeux et non de la paix et de la cohésion sociale qu’ils sont en train de déchirer dans le seul but de maintenir la dynastie ADEMA au pouvoir. Et le fait qu’ils sont militants dans d’autres formations politiques n’est que du mirage. Ils se retrouvent chaque fois que leurs intérêts communs sont menacés. C’est le cas aujourd’hui.
Et si Ibrahim Boubacar Keïta et Soumaïla Cissé s’entendent, c’est pour le partage du pouvoir entre les anciens barons de l’ADEMA. Il ne fera que renforcer davantage leur empire économico-financier constitué par le vol crapuleux des richesses nationales dont la gestion leur avait été confiée à un moment donné de l’histoire de notre pays.
Ce qui sûr on ne peut rien attendre de ces anciens cadres de l’ADEMA qui ont montré leurs limites objectives dans la conduite des affaires de l’Etat. Et il est temps que le peuple malien tourne définitivement la page de ses femmes et hommes qui ne connaissent que le langage de la violence, de la compromission, etc. pour prendre le pays en otage pourvu que leurs intérêts sordides ne soient pas menacés.
Yoro SOW
Inter De Bamako