Dans son rapport à mi-parcours en date du 28 février dernier, le Groupe d’experts des Nations unies se veut sans équivoque : «Les postes avancés et les bases militaires à Tombouctou et à Ménaka de la CMA illustrent clairement sa stratégie de coexistence avec les groupes terroristes et sont des vecteurs clefs de son expansion»
Les experts onusiens confirment ainsi que les ex-rebelles continuent de pactiser avec le diable, qui leur avait été d’un grand secours en 2012 pour occuper les régions du Nord. Le compagnonnage demeure. Et les auteurs du rapport ne se contentent pas de l’affirmer.
Le document de 43 pages, transmis au Conseil de sécurité de l’ONU le 28 février dernier, est une mine d’informations et fourmille de détails sur les relations étroites entre les ex-rebelles et les groupes terroristes.
Les experts soulignent plusieurs faits qui trahissent la CMA. À commencer par son retrait de l’alliance des groupes armés destinée à combattre le terrorisme et à reprendre le contrôle du terrain perdu d’abord face au Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans et ensuite à la «Province d’Afrique de l’Ouest de l’État islamique».
Courant 2019, le général El Hadji Ag Gamou avait convié à Bamako les chefs des principaux groupes armés pour mettre cette alliance en place. Après avoir adhéré à l’initiative, la CMA ne tardera pas à retourner sa veste pour dérouler sa propre stratégie de coexistence avec les terroristes. Une façon pour la Coordination d’étendre et maintenir son emprise sur les plans politique et de la sécurité hors la Région de Kidal, sans solliciter excessivement son appareil militaire limité à environ 2 500 hommes. C’est ainsi que dans la Commune de Talataye (Gao), développent les experts, la «CMA a imposé sa présence au MSA-D après une série d’actes terroristes revendiqués par le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM), qui ont contraint les fractions Daoussak soutenant le Mouvement à négocier et à accepter le retour des adeptes parmi elles de la Coordination et leurs chefs politiques». La CMA s’est adossée à ce même groupe et à la Province d’Afrique de l’Ouest de l’État islamique pour étendre ses tentacules sur les Régions de Tombouctou, de Gao et de Ménaka, où certains soutiens du GATIA ont été assassinés.
Les experts font également remarquer que la perte progressive de contrôle territorial et d’influence de la part du GATIA dans la Région de Gourma, ainsi que de l’alliance GATIA/MSA dans les régions précitées, coïncide également avec une pression de plus en plus grande exercée sur les armées nationales (Mali, Burkina Faso et Niger). L’axe Gao-Ansongo-Labézanga, voie commerciale majeure reliant Gao au Niger, traditionnellement contrôlée par des milices locales affiliées à la Coordination des mouvements et fronts patriotiques de résistance, serait à présent sous le contrôle de la «Province d’Afrique de l’Ouest de l’État islamique». De quoi renforcer la capacité de nuisance de ce groupe terroriste dans la zone des trois frontières. À coup d’attaques barbares, ces terroristes ont contraint les FAMa à abandonner certaines bases.
Et ces retraits ont «servi à justifier l’extension constante de la présence de la CMA dans le secteur du Gourma et la Région de Ménaka», selon les experts qui ajoutent que, dans le même temps, les chefs traditionnels et militaires Imghad et Daoussak ont été nombreux à changer d’allégeance en 2019, passant du GATIA et du MSA au HCUA. Ce dernier, dans des communiqués officiels, a ouvertement fait savoir «qu’adhérer au Haut-Conseil protégerait les populations contre le terrorisme».
Aussi, les postes avancés et les bases militaires à Tombouctou et à Ménaka de la CMA illustrent clairement sa stratégie de coexistence avec les groupes terroristes et sont des vecteurs clefs de son expansion. En particulier, celles de Foïta et de Tinfadimata, situées respectivement aux frontières avec la Mauritanie et le Niger.
Depuis 2015, la base de Foïta est suspectée de s’être mise en contact avec des groupes terroristes armés basés dans la forêt de Ouagadou, dans la zone de Méma et dans le Centre du pays. Et de multiples sources ont rapporté aux experts qu’elle avait servi de base arrière ou apporté un soutien aux raids contre les bases des FAMa à Nampala, Dioura et Soumpi. Bah Ag Moussa, qui a mené l’attaque contre Dioura, aurait été accueilli plusieurs fois à Foïta. Aussi, Hamza Ag Iyad, le fils de Iyad Ag Ghali, se serait rendu fréquemment dans la zone de Nampala. Quant à la base de Tinfadimata, elle sert de centre militaire au HCUA dans la Région de Ménaka. Le Groupe d’experts enquête actuellement sur la façon dont cette base a récemment servi de base arrière au cours d’attaques contre les forces militaires et de sécurité du Mali et du Niger.
Aussi, en juillet 2019, la CMA a mis en place un poste de contrôle sur la route RN20 à Inhagana, à 30 kilomètres à l’est d’I-n-Délimane. Et il se trouve que ce poste est sous le commandement d’un certain «Alwayjam», ex-membre du Mujao et qui était soupçonné de commander une grande «ferka» ayant mené plusieurs attaques dans la région d’I-n-Délimane.
La CMA n’a toujours pas apporté de démentis à ces incriminations. Approché par nos confrères de Studio Tamani, son président, Sidi Mohamed Ould Sidati, a annoncé la «mise en place d’une commission pour analyser le rapport».
Terrorisme et trafics en tous genres font bon ménage. La CMA comme le GATIA sont tous deux épinglés par les experts onusiens pour être impliqués dans les trafics illicites. Nous reviendrons plus en détail, dans nos prochaines éditions, sur cet épisode tout aussi édifiant du rapport de l’ONU.
Issa Dembélé
Source : L’ESSOR