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RAPPORT DU MEDIATEUR DE LA REPUBLIQUE : La «mal administration» et le foncier pointés du doigt

Après la présentation officielle de son rapport 2018 au président Ibrahim Boubacar Kéita, le mardi 28 mai, le Médiateur de la République était face à la presse le 30 mai. Les échanges ont naturellement porté sur le contenu du rapport de ses activités au titre de l‘année 2018.

Le rapport 2018 du Bureau du Médiateur de la République porte sur deux volets. En premier lieu, des activités menées en matière de traitement des réclamations dont le Médiateur de la République a été saisies ainsi qu’en matière d’interpellations du gouvernement. Le second axe porte sur la 23e session de l’Espace d’interpellation démocratique (EID).

Ces deux grands volets de l’action du Médiateur de la République sont complétés par le compte rendu des autres activités menées sur le plan national, régional ou international, ainsi qu’en matière de renforcement des capacités de l’Institution du Médiateur de la République.

Dans la deuxième partie de son rapport, Pr. Baba Akhib Haïdara n’a pas manqué de faire quelques réflexions sur deux problématiques qui constituent de «sérieuses préoccupations», a ses yeux. Il s’agit de la récurrente question de ce qu’on appelle la «mal administration» d’une part et, d’autre part, de la question des droits fonciers coutumiers.

A travers les litiges qu’il traite et les interpellations qu’il reçoit dans le cadre de l’EID, le Médiateur de la République continue de prendre «la mesure de l’impact négatif que peuvent avoir les dysfonctionnements administratifs, la corruption et les manquements aux droits humains sur la prestation des services publics et même, quelquefois, par ricochet, sur la cohésion sociale».

Quelles que soient leurs formes d’expression, ces réclamations et ces interpellations dénoncent toujours des services publics dont la prestation attendue est souvent défectueuse et, quelquefois, totalement absente ; des pratiques corruptives qui minent la conscience citoyenne ; des comportements qui sapent la confiance dans les relations entre l’Administration et les usagers des services publics.

Pour le Médiateur, «la mal administration» apparaît comme «un ensemble de mauvaises pratiques et de comportements inappropriés, quelque fois favorisés par l’ambiguïté des textes, et qui ont des conséquences fâcheuses pour les usagers des services publics et pour l’autorité de l’Etat». Bien que largement combattues, avec des «traitements variés plus ou moins profonds», dans le cadre de l’action gouvernementale sectorielle ou générale, «ces déviances administratives constituent un mal protéiforme qui nécessite toujours plus de mesures correctives».

«Nombreux et variés sont les facteurs qui contribuent à entretenir cet état de mal administration», a rappelé M. Haïdara lors de la présentation de son rapport 2018 au président IBK le 28 mai 2019.

A son avis, les textes, les structures et les procédures ne sont pas toujours seuls en cause dans la mauvaise administration : la mentalité de nombreux agents publics qui, très souvent, manquent totalement d’esprit de service public, contribue aussi au mauvais fonctionnement de l’administration.

Pour y remédier, Baba Akhib prescrit «l’éducation et la formation» comme des facteurs stratégiques car il ne s’agit pas seulement de doter des agents de l’administration de compétences gestionnaires. Mais, souhaite le Médiateur, «il faut aussi leur inculquer une éthique appropriée au service de l’intérêt général».

Dans la poursuite de sa lutte contre la mal administration, le Gouvernement pourrait envisager, entre autres mesures, les trois suggestions faites par Pr. Haïdara. Primo, il s’agit d’organiser un suivi effectif de l’application de la loi du 19 Janvier 1998 régissant les relations entre l’Administration et les usagers des services publics. Il ne s’agirait pas seulement de revoir le décret fixant les modalités d’application de cette loi (décret qui date du 30 décembre 2008 et dont certaines dispositions apparaissent bien en deçà des promesses de la loi), mais aussi d’y ajouter des mécanismes de suivi effectif.

Secundo, le gouvernement doit organiser la prise en compte effective de la dimension éthique dans tous les programmes et projets de l’Administration publique à caractère national ou régional. «Il serait particulièrement utile que cette dimension éthique soit inscrite dans les cursus de la nouvelle Ecole Nationale d’Administration», a souligné Baba Akhib Haïdara face au chef de l’Etat.

Et, enfin tertio, il est indispensable de «revoir l’ensemble des critères d’appréciation et des procédures de contrôle de moralité dans tous les recrutements des agents de l’Etat, en particulier ceux de la Fonction publique, en vue de les rendre plus efficaces».

Par rapport à la problématique des droits fonciers coutumiers, les Services du Médiateur de la République relèvent que les conflits en la matière connaissent «une extension d’autant plus inquiétante que les pratiques corruptives qui y sévissent impliquent tous les protagonistes : administration, autorités coutumières, spéculateurs immobiliers et autres opérateurs économiques».

A cela, a précisé Baba Akhib, s’ajoute «l’intervention partisane, souvent inappropriée, d’activistes politiques sur le terrain». Mais, selon lui, «les difficultés rencontrées par le Médiateur de la République dans le traitement de nombreux litiges relatifs au foncier coutumier sont aussi liées à des lacunes dans le dispositif législatif et règlementaire des textes en vigueur».

Dans cette problématique du foncier coutumier, la question centrale qui se pose est celle de la purge des droits fonciers coutumiers. Notre Code domanial et foncier y consacre le chapitre III de son titre III traitant du «Domaine privé immobilier de l’Etat. En s’appuyant sur les analyses internes de ses services ainsi que sur le contenu d’une étude de la question établie à sa demande, le Médiateur de la République a formulé quelques observations à l’intention du gouvernement. Il y a d’abord que la mise en œuvre du Code domanial et foncier (adopté par l’Ordonnance n° 00-027/PRM du 22 Mars 2000, modifiée par les lois du 10 Janvier 2012 et 14 Juin 2016) continue de souffrir de la non existence d’un décret d’application, notamment en ce qui concerne les modalités de constatation de l’existence des droits fonciers coutumiers et leur étendue.

Ensuite le Code semble avoir introduit, pour le moins une disparité, dans le statut juridique de deux composantes d’un même ensemble coutumier dont les droits fonciers sont confirmés. Il s’agit des droits coutumiers individuels avec emprise sur le sol d’une part et, d’autre part, des droits coutumiers collectifs ou individuels sans emprise sur le sol. «Cette disparité, associée au flou de la constatation des droits coutumiers est naturellement exploitée par des spéculateurs malhonnêtes et favorise la spoliation de nombreux ruraux», a déploré M. Haïdara.

Et en cas d’expropriation pour cause d’utilité publique le Code prévoit une juste et préalable indemnisation. Toutefois, le même Code stipule que «le régime de l’expropriation ne s’applique qu’aux immeubles immatriculés». Ce qui n’est pas le cas des terres grevées des droits fonciers coutumiers. Quant à l’indemnité d’expropriation, elle est aussi traitée différemment selon qu’il s’agisse de l’une ou l’autre des deux composantes des droits fonciers.

«Les observations ci-dessus, montrent que l’inexistence d’un décret d’application du Code domanial et foncier, en ce qui concerne notamment la Commission de conciliation prévue, constitue une difficulté majeure quant à une mise en œuvre efficace de la loi», a souligné le Médiateur de la République. Et d’ajouter, «si la confirmation des droits fonciers coutumiers est censée leur apporter la protection du droit de propriété, qui est un droit constitutionnel, ils s’appliquent cependant à des terres non immatriculées, lesquelles en même temps sont réputées partie intégrante du domaine privé de l’Etat».

Et le régime incertain que connaissent ces droits est encore fragilisé par les mauvaises pratiques qui prolifèrent autour des procédures de leur purge avec, hélas, souvent, la complicité de ceux-là mêmes au bénéfice de qui la loi se veut équitable. Malheureusement, a souligné Pr. Baba Akhib, «le résultat est qu’aujourd’hui les conflits de terres de culture, les conflits de pâturage, et même les conflits de terres d’habitation se multiplient, en même temps que le contournement du Code se généralise, préfigurant une obsolescence précoce des droits fonciers coutumiers». L’évolution de cette situation fait craindre, raisonnablement, des antagonismes de plus en plus forts entre «le coutumier» et «l’administratif» favorables à l’éclosion de troubles sociaux.

Aussi le Médiateur de la République est-il d’avis qu’il serait «opportun que le Gouvernement procède à une réflexion d’ensemble, par-delà le mode opératoire de la purge, sur la philosophie, la finalité et les limites des droits fonciers coutumiers en vue d’anticiper les difficultés et ouvrir des perspectives d’évolution positive».

Tout en saluant la volonté du président IBK de promouvoir une gouvernance transparente et responsable dans notre pays, Baba Akhib Haïdara a indiqué que «cette gouvernance ne peut valoir que si les agents commis à son service sont des acteurs pleinement conscients de leurs responsabilités fonctionnelles et morales».

Au cours de l’année 2018 les Services du Médiateur de la République ont enregistré la visite de 7219 compatriotes aussi bien au siège, à Bamako, que dans les Délégations Territoriales basées dans les régions. Le Rapport annuel du Médiateur de la République retrace l’ensemble des activités menées au cours de l’année de référence.

Ce rapport informe sur l’ensemble des activités menées par le Médiateur de la République dans le cadre de sa mission visant à la transparence dans l’action de l’Administration et l’amélioration des relations entre les services publics d’une part et les usagers de ces services d’autre part. A ce titre, et dans la mesure où il reflète les préoccupations exprimées par nos concitoyens vis-à-vis des services publics et formule les recommandations du Médiateur de la République tendant à corriger les dysfonctionnements ayant occasionné ces plaintes, le rapport annuel constitue, pour les pouvoirs publics, non seulement un outil d’information mais aussi, le cas échéant, un outil de décision.

Moussa Bolly

LE MATIN 

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