Des groupes armés islamistes au Mali ont tué des centaines de personnes et forcé des dizaines de milliers d’autres à fuir leurs villages, lors d’attaques apparemment systématiques depuis mars 2022, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. Les forces de sécurité maliennes et les forces de maintien de la paix des Nations Unies devraient renforcer leur présence dans les régions touchées, intensifier les patrouilles de protection et aider les autorités à rendre justice aux victimes et à leurs familles.
Depuis le début de l’année, des groupes armés islamistes alignés sur l’État islamique dans le Grand Sahara (EIGS, ou ISGS en anglais) ont attaqué des dizaines de villages et massacré un grand nombre de civils dans les vastes régions du nord-est du Mali, Ménaka et Gao, qui bordent le Niger. Ces attaques ont en grande partie ciblé l’ethnie daoussahak, une tribu touarègue.
« Des groupes armés islamistes dans le nord-est du Mali ont mené des attaques terrifiantes et apparemment coordonnées contre des villages, massacrant des civils, pillant des maisons et détruisant des biens », a déclaré Jehanne Henry, conseillère senior auprès de la division Afrique à Human Rights Watch. « Le gouvernement malien devrait faire davantage pour protéger les villageois particulièrement exposés aux risques d’attaques, et leur fournir une plus grande assistance. »
Entre mai et août, Human Rights Watch a mené des entretiens avec 30 témoins d’attaques survenues entre mars et juin contre 15 villages dans les régions de Ménaka et de Gao. Les témoins ont décrit des groupes d’hommes lourdement armés circulant à moto et dans d’autres véhicules autour de leur village, tirant de manière indiscriminée, exécutant sommairement des hommes et d’autres villageois, pillant et détruisant des biens. Souvent, d’autres villages de la région ont été attaqués à peu près le même jour, suggérant l’existence d’un plan ou d’une directive. Des dizaines de milliers de personnes qui ont perdu leur bétail, leurs moyens de subsistance et leurs objets de valeur ont fui ailleurs au Mali ou vers le Niger voisin.
Un certain nombre de groupes armés sont actifs dans la région et impliqués dans de graves exactions. Les analystes de sécurité estiment que l’EIGS contrôle désormais largement trois des quatre cercles administratifs de la région de Ménaka par le biais de divers groupes armés islamistes. En outre, d’anciens groupes rebelles touaregs, alignés sur le gouvernement malien depuis un accord de paix de 2015, sont présents, notamment une faction daoussahak du Mouvement pour le salut de l’Azawad (MSA-D) et le Groupe d’autodéfense touareg Imghad et alliés (GATIA).
Il y a eu des reportages presque hebdomadaires dans les médias sur les meurtres, la destruction de villages et le déplacement massif de civils à Ménaka et Gao au début de cette année. En mai, les médias ont rapporté des informations sur des attaques contre plusieurs villages de la région de Ménaka. Un témoin a déclaré à Human Rights Watch que le 22 mai, des hommes lourdement armés sur une centaine de motos ont envahi le village d’Inékar de Ménaka, et ont commencé à tirer sur les hommes s’y trouvant, tuant neuf des membres masculins de sa famille. En juin, les médias ont signalé une attaque à Izingaz, dans le cercle de Tidermène, au cours de laquelle 22 civils auraient été tués, selon des groupes touaregs. En septembre, des médias ont rapporté que des groupes armés islamistes avaient mené une attaque à grande échelle contre la commune de Talataye, à Gao, tuant au moins 42 civils.
Des dirigeants communautaires ont déclaré que près de 1 000 civils ont été tués dans la région depuis le mois de mars. Un membre du comité d’enquête local a déclaré à Human Rights Watch qu’au moins 492 personnes avaient été tuées entre mars et juin dans la seule région de Gao, mais il pense que le nombre est beaucoup plus élevé puisque le comité n’a pas enquêté sur tous les lieux attaqués.
La vague actuelle d’attaques de groupes armés islamistes fait suite à un affrontement entre le groupe État islamique et le MSA-D début mars. L’État islamique a alors apparemment commencé à cibler les villages peuplés de daoussahak, émettant une fatwa – un ordre ou un décret religieux – contre les villageois qu’ils accusaient d’allégeance à d’anciens groupes rebelles et à un groupe islamiste armé rival, ont déclaré des villageois. Les combats entre les groupes armés ont conduit à des attaques contre des villes et des villages et leurs habitants, en violation des lois de la guerre.
« Ils ont brûlé des maisons, pris nos animaux et nos céréales, et ce qu’ils ne pouvaient pas prendre, ils l’ont incendié », a déclaré un chef de village qui a été témoin d’attaques contre la ville de Tamalate le 8 mars. Un enseignant témoin d’une attaque contre le village d’Intagoiyat en mars a expliqué : « Ils tirent sur tout. Ils se contentent de tuer, ils n’essayent pas d’interroger, ils ne parlent pas, seulement ” Dieu est grand ” et c’est fini. »
La flambée de violence coïncide avec le retrait par la France, le 15 août, du reste de ses troupes, déployées dans le cadre d’une opération régionale de lutte contre le terrorisme vers des sites au Niger et ailleurs. Cela reflète également des tensions de longue date entre les communautés pastorales de la région – des éleveurs semi-nomades dépendants de la diminution de l’eau et des pâturages. Si la grande majorité des meurtres récents ont été perpétrés par des groupes armés islamistes contre la communauté daoussahak, Human Rights Watch a également reçu des informations faisant état d’attaques de représailles par des groupes armés progouvernementaux contre des partisans présumés de l’État islamique.
L’armée malienne et la Mission multidimensionnelle intégrée de l’ONU pour la stabilisation au Mali (MINUSMA) disposent toutes deux des forces dans les régions de Gao et Ménaka. Cependant, ces troupes ne patrouillent pas loin des villes et – en particulier à Ménaka – ont peu ou pas de capacité pour protéger les civils, y compris les populations déplacées, dans les zones reculées. La mission de l’ONU devrait continuer à intensifier ses patrouilles, ses vols de dissuasion et ses interactions avec les communautés touchées, a déclaré Human Rights Watch.
Des groupes armés islamistes ont également attaqué des civils dans d’autres régions du Mali cette année. Human Rights Watch a enquêté sur l’attaque du 18 juin contre des villages du cercle de Bankass dans la région de Mopti, qui aurait été perpétrée par la Katiba Macina, un groupe armé aligné sur la coalition Al-Qaïda, qui aurait tué 132 villageois, selon le gouvernement.
Human Rights Watch a également documenté depuis plusieurs années de graves abus commis par les forces de sécurité maliennes et des forces largement soupçonnées d’appartenir au groupe Wagner, un sous-traitant privé russe de la sécurité militaire qui serait lié au gouvernement russe, lors d’opérations militaires.
« Les autorités maliennes devraient travailler en étroite collaboration avec l’ONU pour assurer une meilleure sécurité à la population dans le nord-est et dans d’autres zones du pays touchées par le conflit », a conclu Jehanne Henry. « L’ONU et les autorités maliennes devraient améliorer les dispositifs de sécurité dans les zones menacées, s’engager davantage auprès des communautés locales et enquêter de manière impartiale sur tous les signalements d’abus graves. »
Attaques dans les régions de Gao et de Ménaka
Entre mai et août, les chercheurs de Human Rights Watch se sont entretenus en personne avec 17 témoins de graves abus à Gao, et par téléphone avec 13 personnes à Ménaka. Les témoins à Gao ont décrit des attaques contre des villages de la commune de Talataye. Ceux de Ménaka ont décrit des attaques contre des villages du cercle d’Andéramboukane. Tous les entretiens ont été menés dans les langues locales en toute confidentialité, avec l’aide d’un interprète si nécessaire, et aucune compensation n’a été fournie. Les noms des témoins n’ont pas été divulgués pour leur sécurité.
De nombreux villageois ont déclaré que l’État islamique du Grand Sahara (EIGS) avait auparavant imposé la charia, ou loi islamique, à leurs villages, les obligeant à payer la taxe islamique, connue sous le nom de zakat, et à respecter une morale et des codes vestimentaires stricts, mais n’avait pas mené d’attaques. Début 2022, les tensions se sont accrues entre l’État islamique et le MSA-D, entraînant un affrontement à Tamalate, dans la région de Ménaka, le 8 mars. Selon des témoins, l’État islamique a alors attaqué des villages de l’ethnie daoussahak, les accusant d’affiliation avec le MSA-D, le GATIA, et des groupes armés islamistes rivaux.
Des témoins ont décrit les assaillants comme des hommes bien armés à moto, vêtus de treillis militaires et de turbans, parlant le fulfulde (parlé par l’ethnie peule), le tamashek (parlé par l’ethnie touarègue) et l’arabe. Dans certains cas, ils arboraient le drapeau noir de l’État islamique. Selon un mode opératoire apparent, les assaillants ont encerclé des villages, puis ont arrêté et exécuté sommairement des personnes, des hommes pour la plupart. Il s’agissait notamment d’hommes âgés et d’hommes handicapés mentaux, mais aussi d’enfants. Les assaillants ont pillé des objets de valeur, de la nourriture et du bétail et ont incendié des maisons. Dans de nombreux cas, les survivants ont déclaré qu’ils n’ont pas pu enterrer ni organiser des funérailles pour les personnes tuées, par crainte d’une autre attaque.
Bien que Human Rights Watch n’ait pas été en mesure de confirmer le nombre de morts signalé, des entretiens avec des témoins et des rapports de l’ONU et d’autres agences indiquent que des centaines de civils ont été tués et des dizaines de milliers d’autres forcés de fuir, ayant perdu leur bétail, leurs objets de valeur et leurs moyens de subsistance pendant les attaques. Les témoignages suivants, bien que non exhaustifs, illustrent les graves abus commis par l’État islamique qui violent le droit international humanitaire.
(Nairobi) –
Source: Le Républicain- Mali