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Qui sont ces Peuls qui s’arment et réclament justice ?

La nouvelle milice peule éclaire sur les stratégies des jeunes combattants et sur les tensions au centre du Mali, où l’accord d’Alger est à la peine.

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Le 20 juin 2015, de nombreux Maliens poussaient un grand ouf de soulagement. Après 3 ans et demi d’une crise politico-sécuritaire sans précédent partie du nord du pays, les groupes armés de la CMA (Coordination des mouvements de l’Azawad) acceptaient enfin de parapher le texte signé un mois plus tôt par d’autres groupes armés (la Plateforme, pro-Bamako), le gouvernement malien et la médiation internationale : l’« accord d’Alger ». Enfin, un cadre de sortie de crise se dessinait. Un an plus tard, le 20 juin 2016, divers acteurs de cet accord de paix se retrouvent à Bamako. L’heure est au bilan. Et tandis que les médias africains analysent (« Peu d’avancées, situation toujours fragile » titre le quotidien Liberté Algérie), tranchent (« Un an après, la désillusion » selon Le Républicain) ou interrogent, à l’instar du burkinabé Le Pays (« Devons-nous fêter l’accord de paix d’Alger ? »), un autre événement est venu parasiter le débat, et s’inviter dans leurs colonnes. Il s’agit de l’annonce de la création d’une milice d’autodéfense peule : l’Alliance nationale pour la sauvegarde de l’identité peule et la restauration de la justice (ANSIPRJ). Selon son chef auto-proclamé, un enseignant de 27 ans nommé Oumar Aldjana, elle est dotée de quelque 700 combattants.

Une profusion de groupes armés

Un nouveau mouvement armé voit ainsi le jour au Mali. Que vaut toutefois cette information sur un territoire traversé par une guerre, des trafics, des conflits d’intérêts, des revendications diverses portées par des groupes protéiformes, et où prolifèrent les hommes en armes ? Sans compter que les Peuls sont présents dans de nombreux autres groupes armés. À commencer par les milices d’autodéfense. Le quotidien malien L’Essor nous fait découvrir la plus célèbre d’entre elles, Ganda Koy. Créée dans les années 90, recomposée en 2012 à Mopti, dans le centre, suite aux incursions de groupes séparatistes et d’extrémistes islamistes au nord, elle compte de nombreux combattants songhaïs et peuls, à l’instar de Ganda Izo ou du FLN (Front de libération du nord du Mali). On retrouve aussi des Peuls dans des groupes islamistes radicaux, et notamment au sein du Mouvement de libération du Macina (MLN), créé début 2015 par Hamadoun Koufa – un prêcheur, supposé proche d’Ansar Dine, qui glorifie l’empire théocratique du Macina fondé par Sékou Amadou lors d’un autre Djihad, au XIXe siècle. Si l’ANSIPRJ, ce nouveau venu dans la nébuleuse des groupes armés au Mali, a retenu l’attention dans la presse africaine, c’est d’abord, nous dit Bénin Monde Infos, parce qu’il est « le résultat des errances politiques de Bamako ».

Les failles de Bamako dans l’application de l’accord d’Alger

« Même si la naissance de l’ANSIPRJ est perçue comme un cheveu dans la soupe, elle reste le produit de la politique d’un pas en avant et de deux pas en arrière de Bamako dans la mise en œuvre des clauses de l’accord d’Alger », peut-on lire sur le site béninois. Il déplore que « le déploiement de conseils régionaux, ces autorités intérimaires mixtes composées d’éléments de l’État central et de groupes armés » n’ait eu lieu qu’une semaine avant ce premier anniversaire de l’accord de paix. Et même si ce retard n’est pas imputable au seul État malien, il ne s’est pas distingué en pratiquant « la politique de la chaise vide » lors du forum pour la paix organisé à Kidal fin mars. « Bamako manque de fermeté dans l’application de l’accord », regrette Bénin Monde Infos. Et de brosser le contexte plus que turbulent qui favorise l’émergence de mouvement armés : « Assassinats ciblés, rapts, attentats, braquages et explosions mortelles sont le lot quotidien des populations de Mopti, Tombouctou ou encore de Kidal. »

Un mouvement armé ni djihadiste ni indépendantiste

Le chef de la milice ANSIPRJ Oumar Aldjana affiche quant à lui son hostilité vis-à-vis de l’État, faisant de « l’armée malienne qui arme des milices contre les pauvres civils peuls » son « premier ennemi ». Joint par téléphone par la radio malienneStudio Tamani, il se réclame d’une jeunesse « forte », « large », « soudée » et réagit aux affrontements intercommunautaires, qui, début mai, se sont soldés par la mort de nombreux Peuls – une trentaine selon diverses sources – dans le cercle de Ténénkou. Il accuse des milices privées (bambara), l’armée, et, l’État malien qui ne les associe pas aux discussions et ne répond pas à leurs demandes d’ « enquête ouverte à l’étranger ». « Nous sommes en guerre contre toute personne qui tourne son canon contre un Peul », conclut-il, dénonçant un « génocide » et des « amalgames », alors que son mouvement n’est pourtant ni « djihadiste » ni « indépendantiste ». Cet amalgame entre Peuls et djihadistes est également dénoncé dans la presse. « La région de Mopti est certes une poudrière endormie où cohabitent plusieurs systèmes de productions ou communautés », avance Le Républicain dans un édito. « Mais ce sont des Peuls qui sont morts surtout. Morts parce que Peuls. Et Peuls donc djihadistes. »

Un « air de western » dans le centre du Mali

« Djihad ou autodéfense, le dilemme », titre un autre journaliste du quotidien malien, soucieux d’attirer l’attention sur la situation sécuritaire et sociale dans le centre du Mali, où, comme dans le nord, l’État « semble sous-traiter la sécurité et (où) les conflits s’ethnicisent ». Et de citer d’autres conflits entre Peuls et Touaregs dans le Gourma, qui, début juin, ont fait 8 morts chez les Peuls. « Ces conflits entre communautés, rarissimes dans le passé, prenaient fin sous l’arbre à palabre, mais aujourd’hui ils sont réglés à coups de kalach. L’absence de l’État et par ricochet de la justice fait souffler un air de western dans ces localités. » La région de Mopti, à dominante peule, est au cœur de la crise malienne selon le chercheur en anthropologie Boukary Sangaré, auteur d’un rapport pour le Groupe de recherche et d’information pour la paix et la sécurité (GRIP), intitulé « Centre du Mali : épicentre du djihadisme ». Selon lui « le Delta central du Niger (Bourgou) s’affirme depuis 2014 comme le nouveau théâtre des violences commises par les mouvements djihadistes », qui y trouvent refuge durant la crue du fleuve Niger.

L’instrumentalisation de la lutte armée

Il explique par ailleurs que les opérations de ratissage de l’armée ont poussé les communautés nomades « à se radicaliser davantage », et nourri de nombreuses frustrations. Et de montrer aussi, témoignage à l’appui, la diversité des intérêts recherchés par les Peuls qui prennent les armes – y compris au sein des groupes djihadistes. Il s’agit par exemple pour de nombreux pasteurs nomades de s’affranchir du joug des chefs traditionnels ou des élites (« ils nous prennent pour leur mouton », dit l’un d’eux), de ne plus payer des taxes qui leur semblent injustes, de se protéger simplement contre divers groupes ou contre des actes de banditisme. Le Pays abonde dans le sens d’une quête de reconnaissance et de rétribution des membres de milices d’autodéfense. L’ANSIPRJ suit ainsi la voie « des groupes armés du Nord-Mali, qui n’ont aujourd’hui droit au chapitre qu’en tirant leur légitimité de leur statut de groupes armés. (…) Et peut-être même que dans une perspective plus lointaine, le mouvement cherche à créer la chienlit au centre du pays pour obliger Bamako à y dupliquer le schéma des autorités intérimaires où il y aura plus d’autonomie et plus de place pour les fils de la région », estime le quotidien burkinabé.

 

Source: lepoint

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