L’historique discours prononcé dans la capitale des Ifoghas par le Capitaine Diby Silas Diarra, alors Commandant du Cercle de Kidal, à l’occasion de l’anniversaire de l’indépendance du Mali, le 22 septembre 1964, séduit par ses accents à la fois révolutionnaires et patriotiques. Et fourmille d’informations à même d’éclairer sur les ressorts de la crise du nord du Mali.
Au nombre des enseignements qu’on peut en tirer, il est aisé de se rendre compte que la France, faute de pouvoir réaliser son projet de création de l’Organisation Commune des Etats Riverains du Sahara (OCERS) a changé le fusil d’épaule en se rabattant sur le maillon faible, le Mali, dont elle tente d’annexer tout le Septentrion en utilisant la rébellion Touareg.
En parcourant le discours de Diby Silas Diarra, l’on se rend très vite compte que la France n’avait cure des conditions de vie des Touareg, contrairement à l’impression qu’elle s’emploie à donner à l’opinion nationale et internationale.
Elle s’est plutôt évertuée à créer les conditions d’une rébellion après son départ. «Après moi le déluge» pourrait-on dire. Suivez plutôt cet extrait du discours de Diby Silas Diarra: «Nous nous efforcerons plutôt de vous faire le point de notre bilan, un an après l’explosion de la bombe à retardement que la France a léguée à la jeune République du Mali au lendemain du 22 septembre 1960. Camarades, la première cause de la rébellion, cause que la France connaissait, est son propre échec dans l’administration des populations et plus particulièrement celles de l’Adrar des Ifoghas.
En effet, la France est partie de l’Adrar sans l’avoir jamais soumis, après plus de soixante ans pendant lesquels elle s’est maintenue grâce à la structure féodale qu’elle y a développée et entretenue. La politique de division de la France dans cette région ne sera, d’ailleurs, pas seulement géographique, car les coloniaux développeront aussi dans les populations nomades, d’une part, les divisions de classes propres à la société féodale et, d’autre part, avec le plus grand esprit de méchanceté, ils sèmeront la haine raciale et les complexes religieux.
En un mot, c’est une société féodale, convaincue de la raison du plus fort, une société anarchique sans attaches et sans esprit de sédentarisation, une société de haine et de complexes que l’administration française a léguée à la République du Mali ».
Autre leçon: la gestion de la première vague de la rébellion Touareg n’a pas été faite de façon brutale par des sanguinaires assoiffés de sang. Elle a été, certes, gérée au plan militaire avec la fermeté qui sied, mais cette action a été menée parallèlement au déploiement d’actions politico-civiques au sein de la communauté Touareg.
Ainsi qu’il ressort de ce passage du discours de Capitaine Diby Silas Diarra: «dès lors, nous avons compris qu’il fallait combiner l’action politico-civique et l’action choc; il nous fallait détruire, si nécessaire, beaucoup construire et toujours éduquer. Vous comprendrez, camarades, pourquoi nous n’avons eu recours qu’à la valeur de 2 commandos maliens pour mater les rebelles et tout le reste de notre effectif employé à garder le contact des masses nomades. Comme nous l’avons toujours dit, l’explosion de la bombe héritée du régime colonial était plutôt salutaire pour l’application correcte de notre politique socialiste dans cette partie de notre pays. Le malheur qu’aurait pu être la rébellion a plutôt accéléré l’édification de la nation malienne dans le grand Nord de notre patrie. Notre plan le plus positif, à cet égard, est sans doute la lourde défaite du néocolonialisme aux abois, qui pensait remettre en cause l’option de notre peuple sinon retarder son application et la marche impétueuse en avant de la révolution malienne.»
Parallèlement à l’action militaire, Modibo Kéïta et ses compagnons ont mené à fond une remarquable tâche d’éducation, tout déployant des actions concrètes de développement sur le terrain.
Le Capitaine Diby Silas Diarra avait donc le loisir de déclarer: «Par ailleurs, notre administration a réussi ici ce que la France n’avait jamais pu réussir. Aujourd’hui, les impôts sont collectés, non par des goumiers ou des soldats en armes, mais par les responsables administratifs des fractions et tribus, ce qui traduit l’adhésion sans restriction à la politique nationale de l’US RDA.
Voilà à peine trois mois, que l’année fiscale est ouverte en République du Mali et nous disons qu’à la fin de ce premier trimestre, la presque totalité des impôts de notre circonscription seront recouvrés sans armes et sans menace. Sur le plan social, notre parti a fait plus de réalisations en quatre ans d’indépendance que la France après 60 ans de colonisation. Kidal, dont le nom signifiait pénitencier et enfer, devient chaque jour davantage un pôle d’attraction et nous profitons de l’occasion pour rendre hommage à nos camarades responsables politiques, à nos travailleurs, nos femmes et nos jeunes, un vibrant hommage pour l’effort énorme que chacun à son poste déploie pour que notre circonscription et surtout notre chef-lieu ne soit plus le dépôt d’indésirables sociaux, mais le chantier d’honneur des bâtisseurs conscients et confiants dans les destinées de notre peuple. Les opérations militaires ne nous ont jamais détournés ou distraits de l’action sociale.
C’est ainsi que deux importants magasins de la SMDR ont été édifiés à Kidal et Tessalit, une succursale de la SOMIEX fonctionne à Kidal dont l’ancienne infirmerie présente aujourd’hui l’aspect d’un grand dispensaire moderne avec sa dépendance chirurgicale».
Comme le voit, le soldat malien a cassé par nécessité mais n’a jamais cessé de construire. Les actions qui ont été réalisées sur le front du développement socio-économique prouvent à suffisance que le septentrion du Mali n’a jamais été oublié par le pouvoir central. Contrairement à la France qui, pendant les 60 ans de colonisation, a laissé les Touareg à eux-mêmes.
Ce sont ces mêmes Touareg qu’elle veut utiliser pour créer la partition du Mali, à travers à une soi-disant république de l’Azawad, dans le but, à peine voilé, de faire main basse sur les richesses supposées ou avérées du septentrion malien. En profitant de la déstabilisation de la Libye qui, au demeurant, a été perpétrée, de main de maitre par Nicolas Sarkozy.
Il faut dire qu’en matière de défense des intérêts stratégiques de la France, ce n’est qu’une question de nuance entre la gauche et la droite, la finalité étant toujours la même. La gauche a beau prétendre enrober cette défense de valeurs humanistes, force de constater que le résultat est pratiquement le même.
Pour assurer l’indépendance énergétique de la France, l’establishment français, à ne pas confondre avec le peuple français, est prêt à semer le chaos dans les pays dits faibles, tel qu’on le voit, malheureusement, à travers le monde, surtout en Afrique.
A défaut de réaliser son projet de l’Organisation Commune des Etats Riverains du Sahara (OCERS), la France s’est rabattue sur le maillon faible, le Mali, à la faveur de la crise libyenne et à travers le MNLA, qu’elle a créé de toutes pièces pour les besoins de la cause.
Le MNLA n’est, en fait, que la tête de pont d’une nébuleuse du crime transnational que les dirigeants français manipulent à souhait. Le Président François Hollande, qui pourrait être vu comme le pompier venu éteindre le feu allumé par Sarkozy, le pyromane, est, en fait, venu achever ce que son prédécesseur avait commencé: la partition du Mali.
C’est sous cet angle qu’il faut lire les différents micmacs auxquels nous sommes en train d’assister. Il s’agit, entre autres, de la circulation d’un document confidentiel entre les parties aux négociations d’Alger. C’est sous cet angle aussi qu’il faut lire la visite annoncée du ministre français de la Défense, Jean-Yves le Drian, au Mali prévue pour le 16 juillet.
La France est tant et si bien obnubilée par ses intérêts géostratégiques qu’elle en a perdu la lucidité et le sens des réalités. Sinon, elle aurait compris que la partition du Mali contre le gré des populations maliennes est un projet voué à l’échec. Le MNLA, sur lequel les autorités françaises s’appuient, ne représente qu’une infime partie de la communauté Touareg, elle-même une infime partie des populations qui vivent dans le septentrion malien.
Le discours prononcé par le Capitaine Diby Silas Diarra cristallise les qualités des hommes et des femmes qui avaient la charge de conduire les destinées du Mali à l’époque, des hommes et des femmes qui subjuguaient par leur détermination, leur vision, et qui en imposaient par leur sens de l’Etat et du patriotisme.
En un mot, des hommes et des femmes de conviction, prêts à mourir pour la patrie. Rien à voir avec nos cadres d’aujourd’hui, qui se distinguent par leur vénalité, leur couardise, leur propension à céder à la compromission, des cadres qui utilisent l’essentiel de leur énergie dans de vaines querelles de chapelles. Au lieu de faire front commun pour défendre la patrie en péril, des dirigeants qui préfèrent se servir de la patrie plutôt que de servir la patrie.
Bref, des petits types sans étoffe. C’est en ce moment que les mots contenus dans l’hymne national du Mali doivent retrouver tout leur sens. Le Mali manque cruellement d’hommes à poigne et de patriotes.
Présenté par Yaya Sidibé