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Quelle responsabilité ont les multinationales dans les violences en Afrique?

Selon l’économiste Nicolas Berman, les groupes implantés en Afrique tiennent un rôle dans l’augmentation de la violence dans les régions où ils sont implantés. Il revient dans The Conversation sur une étude menée avec d’autres chercheurs sur cette question.

Qui fait quoi dans les conflits miniers en Afrique ? Traquer l’origine des minerais n’est pas chose aisée pour les multinationales. Pourtant, face à l’ampleur des dégâts humains et sociaux, leur responsabilité est fortement engagée. Dans un récent article scientifique, Nicolas Berman, Mathieu Couttenier, Dominic Rohner, et Mathias Thoenig montrent que la présence de firmes étrangères en Afrique augmente la violence des territoires miniers. Depuis peu, les firmes, ONG et États multiplient les initiatives de transparence. Les auteurs se penchent sur leur impact sur la stabilité dans ces régions.


En février 2019, Apple s’est engagé à améliorer la traçabilité de ses matières premières. Dès 2017, la firme avait été saluée par l’ONG Amnesty International pour avoir publié les noms de ses fournisseurs de cobalt afin d’éviter d’alimenter le travail des enfants en République Démocratique du Congo (RDC). La firme est membre de l’initiative RMI (Responsible minerals initiative), un organisme visant à faire respecter les droits de l’Homme dans la chaîne d’approvisionnement.

Ces initiatives contrastent avec les pratiques actuelles de la plupart des entreprises. Souvent implantées en Afrique, là où les sous-sols regorgent de matières premières, elles contribuent à alimenter un terrain déjà très conflictuel. Leur rôle dans l’augmentation de la violence en Afrique a été détaillé par un article scientifique des économistes Nicolas Berman, Mathieu Couttenier, Dominic Rohner, et Mathias Thoenig.

Les auteurs s’appuient sur une étude géolocalisée mettant en parallèle la présence des firmes et l’occurrence des conflits miniers. Ils ont quadrillé l’Afrique par zones de 55 sur 55 kilomètres pour analyser l’impact de l’augmentation du prix de 14 minerais. Leurs résultats suggèrent qu’une hausse des prix des matières premières augmente la violence uniquement dans les zones exploitées par des firmes étrangères.

Des pratiques douteuses

Pourquoi une telle différence entre les entreprises domestiques et étrangères ? Une des explications avancées est celle de leur vulnérabilité par rapport aux extorsions rebelles. Alors que les entreprises domestiques disposent généralement de la protection de l’armée ou de l’État, les multinationales étrangères doivent faire sans. Si elles s’implantent dans des zones instables, comme c’est le cas dans beaucoup de territoires miniers, elles doivent composer avec les pratiques des groupes en place. Là où règne le non-droit, elles s’adaptent.

C’est exactement ce qui s’est passé pour la firme chinoise Kun Hou Mining, de 2013 à 2015, selon un rapport de l’ONG Global Witness. Pour extraire l’or de la rivière Ulindi, située au Sud-Kivu, en République Démocratique du Congo, elle a su jouer du droit coutumier en place. Elle s’est appuyée sur la corruption des autorités locales et le soutien de milices opérant sur le territoire pour avoir accès aux mines. En échange, elle leur a envoyé des liasses de billets, des armes et des rations alimentaires. Le butin récolté a pris le large vers Dubaï. Résultat : dans la province du Sud-Kivu, l’extraction de l’or n’a officiellement généré aucun revenu fiscal.

Une histoire parmi tant d’autres pour ce pays de la région des Grands Lacs. La richesse de son sous-sol et la faiblesse de ses institutions se conjuguent pour en faire un terrain d’affrontement où les droits de l’Homme sont bafoués. Depuis la Deuxième Guerre mondiale, la Seconde Guerre du Congo (1998-2003) a été le conflit le plus meurtrier et ses répercussions n’ont pas cessé de secouer le pays.

L’influence des entreprises étrangères sur le sol africain est loin d’être négligeable quand on sait qu’elles représentent 60 % du total des firmes. Si elles ne sont pas tenues de rendre des comptes, elles deviennent des facteurs d’instabilité majeurs pour le continent. Mais toutes n’ont pas le même profil. Pour les firmes implantées dans les ex-colonies, les comportements sont différents.

Qui paye un tribut aux milices sur place?

Certaines multinationales jouissent de la protection des États africains grâce aux liens historiques qui les unissent. Ici, le passé colonial imprègne encore le tissu économique. De nombreuses recherches scientifiques ont souligné la proximité qui persiste entre les firmes des anciens colons et les gouvernements des anciennes colonies. Les entreprises reçoivent une attention toute particulière de la part de l’État et sont plus facilement protégées par l’armée. Cela leur offre une marge de manœuvre plus importante dans l’exploitation des ressources.

Les quatre économistes rejoignent ce consensus. Leurs estimations suggèrent que ces multinationales n’ont pas d’incidence significative sur l’augmentation de la violence. Toutefois, comme elles ne représentent qu’un cinquième de l’échantillon de firmes étrangères qu’ils étudient, ils invitent à continuer les analyses.

Les entreprises nord-américaines ou chinoises par exemple, doivent généralement faire face à l’insécurité sans bénéficier de protection externe. Pour l’obtenir, elles sont prêtes à payer le prix. Bien souvent, la rançon qu’elles payent alimente les activités rebelles et les trafics illégaux. Cet argent permet aux milices de se maintenir en place et d’étendre leur zone d’influence.

Comment pacifier les conflits?

Des initiatives visant à modifier les pratiques des entreprises se sont peu à peu mises en place. Parmi elles, la section 1502 de la loi Dodd-Franck de 2010 qui visait principalement le commerce avec la République Démocratique du Congo. Bien que menacée par l’administration Trump, elle impose aux entreprises américaines de révéler l’origine des minerais qu’elles utilisent.

De telles mesures de transparence sont-elles efficaces en pratique ? Les auteurs se sont penchés sur les multinationales qui ont signé l’ICMN(International Council on Mining and Metals), pour promouvoir la responsabilité sociale des entreprises. Pour vérifier l’efficacité de telles mesures, les quatre économistes localisent les entreprises signataires et étudient leur correspondance avec les conflits. Le résultat semble encourageant puisque les signataires n’ont aucun effet sur la violence. Une bonne nouvelle pour ces régions où de nombreuses initiatives fleurissent depuis quelques années. Mais les entreprises ne sont pas les seuls leviers.

De nouvelles initiatives de la part des Etats

Le 9 avril, le gouvernement nigérian a décidé de bannir toute activité minière dans la région de Zamfara, pour restaurer la paix. Le ministre des Mines et du Développement sidérurgique, Abubakar Bwari, a précisé :

« Lorsque nous visons le développement d’activités économiques, nous devons aussi penser aux aspects humains et aux pertes humaines dont nous sommes témoins ».

Pour ce faire, le gouvernement a donné 48 heures aux étrangers impliqués dans les activités minières pour quitter son territoire.

Comme le Nigeria, les États africains ont un rôle de premier plan dans la stabilisation de leur territoire. Ils doivent lutter contre la corruption qui gangrène leurs institutions et sert de caution aux activités illégales. Une Initiative pour la transparence dans les industries extractives (ITIE), s’est créée en 2003 avec l’objectif de créer une norme pour respecter la traçabilité en matière de ressources pétrolières, gazières et minérales. Elle s’applique aujourd’hui à 52 pays à travers le monde. Selon l’étude des auteurs, la participation des États africains à cette ITIE a des répercussions positives sur l’incidence des conflits (même si leur adhésion est relativement récente et que les calculs nécessiteraient davantage de données). L’exacerbation de la violence due à une hausse des prix en est amoindrie.

À travers la traçabilité des minerais, les États reprennent aussi la main sur leurs ressources. Le Niger et le Nigeria ont signé le 26 mars 2019 un mémorandum d’entente afin de mutualiser leurs efforts dans le secteur minier et ainsi augmenter sa contribution au PIB. De nouveaux codes miniers ont éclos pour renégocier la position des compagnies étrangères dans l’industrie minière. Le dernier en date est celui de la République Démocratique du Congo qui a imposé de nouvelles taxes en mars 2018. Le nouveau Président Félix Tshisekedi pourrait désormais aller plus loin, toujours avec le même objectif : permettre au pays de générer plus de revenus grâce à ces ressources. La RDC ne fait que suivre une dynamique entamée par bien d’autres pays depuis déjà une dizaine d’années (l’Afrique du Sud, le Maroc, le Mali, le Sénégal, le Niger, la Guinée ou encore le Burkina Faso par exemple).

L’effet de telles mesures de traçabilité et de transparence est complexe : certaines recherches montrent par exemple que le Dodd-Frank Act, au lieu de réduire l’insécurité, a notamment incité les groupes armés à réorienter leurs actions vers des actes plus violents, comme le pillage des populations locales. Selon le contexte et l’application qui est faite de la mesure, les effets peuvent varier. Ces mécanismes sont récents et encore peu étudiés, c’est pourquoi les auteurs appellent à de nouvelles analyses. Toutefois, ces premiers résultats encouragent les États à mettre en place des mesures pour contrer ces pratiques illicites. Surtout, ils intiment aux entreprises d’assumer leurs responsabilités lorsqu’elles s’installent dans un territoire minier.

 

Source: francetvinfo

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