Avec sa beauté féminine, son teint clair, son look afro, le jeune Abdoulaye Kaloga présentait l’image d’un vrai play-boy dans les années 1970-1980. Sur un terrain de football, son toucher de balle faisait découvrir un technicien hors pair, qui servait les attaquants sur un plateau d’or. Le doyen Gaoussou Drabo ne le surnommait-il pas dans le journal Podium “le magicien !”. Toujours propre, bien drapé dans son maillot, stabilisateur du médian stadiste, Abdoulaye Kaloga était l’un des rares joueurs qui ne se salissaient pas au bout des 90 minutes. Pas parce qu’il ne forçait pas le jeu, seulement sa technicité lui a conféré des atouts qui lui permettaient de bien faire sans forcer aussi bien au Stade malien de Bamako qu’en équipe nationale.
En finale de la coupe du Mali de 1986, contre le Djoliba, feu Demba Coulibaly, surpris par l’engagement de Kaloga, a lâché : “Même Kaloga tacle aujourd’hui”. Parce que l’effort physique n’était pas sa tasse de thé. Mais ce jour-là, les Rouges de Bamako menaient au score et assiégeaient le camp des Blancs. Kaloga s’est vraiment décarcassé pour stabiliser le jeu stadiste et assener la réplique appropriée aux assauts adverses. Son ancien entraineur, Mamadou Diakité alias Doudou, dit qu’il était son métronome et s’il n’épousait pas la grande forme, c’est toute l’équipe qui sombrait. Il retient pour toujours un garçon sérieux, discipliné, qui a joué un grand rôle lors du premier doublé du Stade malien de Bamako en 1984. Parti du Mali en août 1987, il atterrit au Sporting Club de Lisbonne, au Portugal, faisant du coup des nostalgiques de ses coups de pattes et petits gris-gris. Après son départ, il a toujours répondu aux appels de l’équipe nationale. Mais cela fait un bout de temps que l’homme se fait très discret. Pourtant, Abdoulaye Kaloga est toujours actif et suit de très près le football malien. A la demande de nos nombreux lecteurs, qui n’ont cessé de le réclamer dans la rubrique “Que sont-ils devenus ?”, nous n’avons pas lésiné sur les moyens pour retrouver ses traces, le contacter et s’entretenir avec lui. Toujours aimable, avec une vie calquée sur des principes, Abdoulaye Kaloga a bien voulu répondre à notre sollicitation pour parler de sa carrière et de sa vie au Portugal. Découvrons ensemble l’histoire du “magicien du football malien”.
Etapes brûlées !
Abdoulaye Kaloga n’a pas fait de centre de formation d’un club, ni évolué avec les catégories d’âges.
Né avec une technicité hors pair, vedette à N’Tomikorobougou dans l’équipe “Flèche Noire” de notre confrère Djibril Traoré, maestro lors des tournois interscolaires, il a rejoint directement l’équipe sénior du Stade malien de Bamako en 1978. Cela peut étonner. Mais faudrait-il savoir que c’est le surveillant général de l’école fondamentale second cycle de Darsalam, Diané (qui a certainement des affinités avec l’entraineur Mamadou Diakité dit Doudou) qui le présenta à l’encadrement technique des Blancs de Bamako. Le coach ne voulait pas de Kaloga de cette manière. Comment faire confiance à un jeunot venu directement de la rue, sans équipements adéquats ?
Pendant ce temps, des joueurs comme Lassine Soumaoro, Ibrahim Berthé dit M’Bappé, Issa Bagayoko, Ousmane Guindo, Fakaba Diané, Modibo Doumbia dit Modibo Dix rivalisent pour une place de titulaire. Abdoulaye Kaloga ne s’est pas découragé ; il continue à se présenter aux séances d’entrainement. L’entraineur Doudou, qui ne voulait sûrement pas décevoir Diané dans sa bonne initiative, donna une chance au jeune Kaloga. Au bout de trois touches de balles, ponctuées de pédalages et de relances, Doudou s’est dit qu’il s’était trompé sur son jugement. Le lendemain “le magicien” reçoit ses premiers équipements et 48 heures après, il signe sa première licence à l’âge de 18 ans.
L’encadrement technique le titularise en demi-finale de la coupe du Mali contre le COB. Kaloga met en évidence sa valeur en inscrivant un but et a effectué deux passes décisives. Avec cette prestation, il venait de frapper avec fracas la porte de la titularisation parce que parvenu à la conclusion que son talent est la clef d’un bel avenir, il avait tendance à solutionner un problème qui n’est pas encore posé : s’imposer au Stade malien ou tenter sa chance ailleurs. Fougue de jeunesse peut être, ce qui est sûr, l’entraineur Doudou ne commettra pas l’erreur de perdre Kaloga. Le pied gauche magique aussi, en enfant ambitieux, s’est donné au travail avec un auto cadrage. Ce qui explique d’ailleurs sa constance, non seulement au Stade, mais aussi en équipe nationale, qu’il a intégrée l’année où il a signé sa première licence en club.
Les titres, les regrets
Aujourd’hui, son seul regret réside dans le fait qu’il n’a pu faire qualifier les Aigles à une phase finale de Coupe d’Afrique des Nations. A leur temps, le Mali était toujours éliminé par la Côte d’Ivoire ou les pays Maghrébins. Et lorsque les Aigles ont signé leur retour sur la scène internationale en 1994, il n’était plus en équipe nationale. Sinon, son palmarès est flatteur aussi bien au Stade qu’avec les Aigles : 11 ans de constance en équipe nationale, autant de campagnes de tournoi Cabral sanctionnées par le sacre de Bamako en 1989, deux trophées de meilleur joueur en Gambie (1985) et en Guinée Conakry (1987), un doublé au Stade, 4 coupes du Mali (1982-1984-1985-1986), 4 titres de champion, une finale de coupe Ufoa en 1984.
En août 1987, sa carrière prend une autre dimension. A la faveur d’un match amical qui a opposé les Aigles au Sporting Club de Lisbonne, les Portugais le contactent à la fin du match. En compagnie de son compatriote Amadou Pathé Vieux Diallo, il quitte le football national définitivement.
Comment les choses se sont-elles passées à son arrivée au Portugal ? Abdoulaye Kaloga répond : “Une fois arrivé au Sporting Club, j’ai signé un contrat professionnel de trois ans. Malheureusement, le club était frappé par la mesure de la Fifa qui imposait un quota de joueurs étrangers à faire évoluer. Donc, je n’ai joué que quelques matches. J’ai accepté la proposition des dirigeants du club, qui consistait à me céder temporairement à Coviliha, une équipe de première division. Après un an, mon ancien club me réclame et je retourne au Sporting, où je n’aurai passé qu’une saison. Entre temps, la direction et les dirigeants du club ont changé. Ils sont venus avec de nouveaux projets et ambitions. C’est ainsi que j’ai signé un contrat de deux ans à Barreirense, près de Lisbonne. Je suis par la suite allé au Groupe Sporting de Peniphe de 1990 à 1992. Cette étape a consacré la fin de mes contrats professionnels. A partir de ce moment, j’ai joué comme amateur dans de petites équipes de troisième division, juste pour ne pas rester inactif jusqu’en 2000, où j’ai finalement mis un terme à ma carrière.”
Après avoir pris sa retraite footballistique, Abdoulaye Kaloga entreprend une nouvelle aventure, celle de l’emploi. La même année, il décroche un boulot à la mairie de la ville d’Entroncamento, au Département Sportif. Parallèlement, il est moniteur dans un centre de formation de jeunes footballeurs. C’est évident que cela prend pratiquement tout son temps, surtout avec les enfants. Mais, ses occupations ne l’empêchent pas de suivre le football malien, auquel il doit tout aujourd’hui. Seulement Abdoulaye Kaloga est étonné d’apprendre qu’actuellement un derby Djoliba-Stade ne draine plus un public des grands jours ou que le football malien soit paralysé par une crise qu’on pouvait éviter.
Tam-tam pour les anciens
Cependant, au cours de notre entretien, Abdoulaye Kaloga nous a surpris quand il a profité d’une brèche pour aborder le cas des anciens joueurs maliens, malades ou vivants, dans des situations difficiles. Il pense que l’Etat doit faire quelque chose pour eux. Au moins une petite pension leur ferait du bien. Il a parlé de la situation de Seydou Traoré dit Guatigui, de feu Boubacar Sidibé dit Jardin. Sa voix s’est émotionnée quand il s’est prononcé sur le cas de Tidiane Konaté dit Konan, ancien joueur du Stade et de l’équipe nationale. Celui-ci était son binôme, en club et en équipe nationale. Ils partageaient beaucoup de choses ensemble. Profitant d’une de ses vacances à Bamako, Kaloga lui a rendu visite. Konan ne l’a pas reconnu.
Ce jour-là, il a été beaucoup frustré, et s’est dit que l’adage selon lequel “tant que l’homme ne meurt pas, il est exposé à toutes les péripéties de la vie”, est une vérité absolue. Tous les anciens joueurs qui vivent actuellement à l’étranger et qui ont passé dans cette rubrique sont exacerbés par les conditions de vie de certains des leurs anciens camarades. Ils ont même des initiatives à faire valoir pour les aider. Mais comment faire pour la mise en œuvre ? Alors, pourquoi l’Union nationale des Anciens Footballeurs du Mali (Unafom), qu’on ne sent qu’à la faveur du décès d’un ancien joueur (le cas récent est celui de Dramane Traoré dit Faras), ne crée pas un fonds social digne de ce nom, en associant tous les anciens joueurs vivant à l’étranger, en négociant également des sponsors et en organisant des matches de gala dont une partie des retombées servirait au moins une fois dans l’année à secourir ces anciens joueurs en difficulté ?
C’est à ce seul prix que l’Etat les prendra au sérieux, et peut être, ce sera une occasion de poser la problématique d’une pension pour tous les anciens, de Brazza 1965 à Yaoundé 1972, en passant par Tunis 1994, et ainsi de suite. Bien sûre sur la base des critères définis. En attendant que l’Unafom se réveille, certains anciens joueurs continueront de broyer du noir.
Comme bons souvenirs, Abdoulaye Kaloga retient le doublé du Stade malien en 1984, le sacre des Aigles en finale de la coupe Amical Cabral au mois de juin de 1989, ses deux trophées de meilleur joueur de ce tournoi sous régional.
D’autre part, la défaite du Stade malien en finale de la coupe UFOA en 1984, celle des Aigles en coupe Cabral en Guinée en 1987, l’élimination des Aigles par les Eléphants de Côte d’Ivoire pour la phase finale de la CAN de 1990, et surtout sa non-participation à une CAN, sont ses mauvais souvenirs qu’il revit tous les jours. Parce qu’il pense toujours à ce football malien qui lui a permis de se suffire aujourd’hui.
A-t-il des enfants qui poursuivent ses traces ? Kaloga répond : “Je suis marié, j’ai deux filles. Dommage, elles ne pratiquent aucune discipline sportive”.
Il n’était pas donné à n’importe quel jeune d’avoir des qualités techniques et les exploiter à fond pour en tirer profit. Alors, quel était le secret de Kaloga ? Notre héros le définit en trois choses : le sérieux, le plaisir de jouer, la valeur de ses coéquipiers.
O. Roger Sissoko
Source: Aujourd’hui Mali