Difficile de quitter paisiblement l’institution ecclésiale quand on est prêtre! Deux raisons m’ont poussé à quitter le ministère de prêtre en 2010, après 26 ans de vie en paroisse: d’une part mon amour pour Christine dont j’avais pris conscience quelques mois auparavant, d’autre part un mal-être grandissant par rapport au fonctionnement de l’Église.
Je la trouvais de plus en plus rigide, revenant à un style où le discours légaliste, l’omniprésence du péché ou encore la grandeur et le pouvoir du prêtre priment largement sur l’amour de la personne humaine telle que je le vois vivre par Jésus dans les évangiles. Je me rendais compte que c’était comme si je participais au fonctionnement d’une religion, avec ses rites et ses règles, alors que Jésus n’est pas venu pour fonder une religion, mais pour éveiller à la foi, c’est-à-dire à la confiance, à la relation, à la vie que Dieu veut pour chaque être humain et entre les humains.
L’évêque n’ayant pas réussi à me faire changer d’avis, je suis devenu à ses yeux un inconnu. Alors que pour lui le prêtre est fait pour obéir, sans état d’âme, ma décision lui apparaissait comme une trahison de mon engagement au célibat et donc de mon engagement envers Dieu. Selon ses convictions, mon nouveau choix de vie devenait un scandale pour les chrétiens. J’ai été choqué par les paroles de jugement qu’il a alors prononcé de vive voix à mon égard et à l’égard de Christine: elle se trouvait envoyée en enfer et moi j’aurai à répondre de mes actes devant le tribunal de Dieu.
L’évangile de Jésus me semble loin de tout cela! Mon changement de vie m’a apporté un regard enrichi sur la vie de couple, sur le monde, sur l’Église et sur Dieu. Lors de mon ordination, j’avais certes fait le choix du célibat, mais par défaut, car il est lié à statut du prêtre. C’est du moins de cette manière que nous avons l’habitude de voir les choses, ici en Occident. Or, le célibat n’est obligatoire que pour les prêtres occidentaux, qui sont de rite latin. Les prêtres catholiques de rite oriental, qui eux aussi dépendent du Pape, peuvent se marier avant d’être ordonnés prêtres. Pour eux, le choix est réel; pour nous, il n’est pas vraiment un choix!
Mon expérience, assez originale certes, de quitter le ministère de prêtre, n’est pas rare puisque sur les dix dernières années le Vatican reconnaît officiellement que ce sont au minimum 6500 prêtres dans le monde qui ont fait le choix de renoncer à leur sacerdoce. Une expérience douloureuse pour moi, car une grande majorité des paroissiens qui m’ont connu comme leur curé m’ont exprimé leur soutien, leur amitié, leur souffrance aussi que l’Église ne soit pas plus ouverte. Par contre, seuls quelques rares prêtres m’ont contacté après mon départ, pour eux aussi m’exprimer leur proximité. Il est vrai que l’évêque avait adressé un long courrier à tous les prêtres du diocèse pour les informer de ma décision et avait dans la foulée donné plusieurs conférences sur le célibat des prêtres, comme pour étouffer dans l’œuf toute contestation possible de cette règle et tout soutien à celui qui avait osé s’en libérer.
Mon choix de vie m’a permis de relativiser un certain discours de l’Église sur différents sujets, non seulement celui du célibat des prêtres, mais par exemple le regard sur la femme, sur la sexualité et la contraception, sur les divorcés-remariés, sans oublier le langage compliqué souvent employé pour dire la bonne nouvelle de l’amour de Dieu, tel que Jésus le fait connaître.
Finalement, la question que Jésus pose dans l’évangile de St Luc est très actuelle: “Quand le Fils de l’Homme (c’est-à-dire lui-même) viendra, trouvera-t-il la foi sur la terre?” Personnellement, j’ajoute: trouvera-t-il la foi, ou trouvera-t-il une religion qui, comme toute religion, connait les luttes de pouvoir en son sein, prétend travailler à la gloire de son Dieu en édictant et imposant ses règles et ses interdits, enfermant ainsi ses fidèles dans une pensée unique et jugeant tout ce qui n’entre pas dans le cadre comme péché, alors que Jésus est venu pour ouvrir chaque personne sur cette terre à la liberté et à la vie?