Du Mali à la Centrafrique, l’armée de terre songe à s’investir dans la préservation des biens culturels, notamment pour être mieux acceptée par les populations locales.
Protéger les mausolées de Tombouctou ou aider à la reconstruction du musée national ethnographique de Bangui peut-il aider les militaires français à être mieux acceptés par les populations civiles du Sahel ? Alors que les manifestations de rejet contre la force « Barkhane » se multiplient au Mali, la question du renforcement des actions de protection du patrimoine culturel est ouvertement posée.
« Les armées sont sur le terrain et elles ont des compétences. La protection du patrimoine culturel peut contribuer à l’acceptation de la force », a expliqué le général Dominique Cambournac, responsable de la Délégation au patrimoine de l’armée de terre (Delpat) et, à ce titre, à la tête d’une « unité » de seize conservateurs de musée, lors d’un séminaire sur « les conflits armés et le patrimoine » organisé le jeudi 10 octobre à Paris par le ministère de la culture et celui des armées.
Une modeste expérience a été menée en Centrafrique, avec la restauration de la salle de documentation du musée national Barthélémy-Boganda, mis à sac durant la crise de 2013-2014 et fermé depuis. « La culture a toute sa place pour s’assurer de bonnes relations avec les populations », défend la capitaine Ariane Pinauldt, conservatrice du musée des Transmissions de Cesson-Sévigné (Ille-et-Vilaine), qui a conduit ce projet : « Ce sont les premières piles de pont. La réflexion doit se poursuivre. »
Au Mali, dont il revient, le capitaine Timothée Le Berre imagine que lui ou un de ses homologues pourrait jouer un rôle de coordinateur du réseau de professionnels du patrimoine qui travaillent dans le pays : « Les acteurs militaires possèdent encore une liberté de mouvement sur ce territoire. Nous devons inscrire la protection du patrimoine dans une dynamique globale. C’est un des éléments fédérateurs des sociétés. »
Détruire l’identité de l’adversaire
Jusqu’à présent, le Centre interarmées des actions sur l’environnement (CIAE), dont l’une des missions est précisément d’améliorer l’acceptation de la présence française à travers des opérations de reconstruction ou de soutien aux populations locales, n’a pas investi le champ de la culture.
Dans les pays, comme la France, signataires de la convention de l’Unesco de 1954 sur la protection des biens culturels en cas de conflit armé, le sort du patrimoine est depuis longtemps intégré aux réflexions des états-majors lorsqu’il s’agit de planifier des opérations. « Les sites qui appartiennent au patrimoine mondial de l’Unesco ou figurent sur les listes nationales des biens culturels remarquables sont systématiquement répertoriés, rappelle Mickael Dupenloup, de la direction juridique du ministère des armées. Ces lieux ne peuvent pas être la cible d’attaques, sauf pour “nécessité militaire impérieuse”. »
Après la destruction des mausolées de Tombouctou par le groupe islamiste Ansar Dine, en 2012, l’Unesco a fait réaliser par le Centre international de la construction en terre (Craterre-Ensag, à Grenoble) un passeport du patrimoine du nord du Mali, répertoriant et cartographiant les sites culturels majeurs dans les villes de Tombouctou, Gao et Kidal. Ce document avait été distribué aux forces maliennes et à l’armée française avant qu’elles reprennent la cité célèbre depuis le Moyen-Age.
La Mission des Nations unies pour la stabilisation au Mali (Minusma), déployée à partir de 2013, a été la première mission de paix à intégrer dans son mandat la protection du patrimoine, actant l’évolution vers des conflits où les dégâts sur les biens culturels résultent de plus en plus d’actions délibérées pour détruire le passé et l’identité de l’adversaire. Les bouddhas de Bamiyan en Afghanistan, les vestiges de la Mésopotamie antiques en Irak ou les mausolées soufis en Libye ont offert quelques-unes des mises en scène les plus spectaculaires de ces dévastations, témoignant de l’importance symbolique accordée à ces monuments.
Au Cameroun, des sanctuaires mis à sac
Ce rôle spécifique de la Minusma n’a cependant pas été maintenu dans les dernières résolutions adoptées à New York pour prolonger son mandat. Est-ce parce que le danger est jugé écarté ? A l’Unesco, Lazare Eloundou Assomo, directeur pour la culture et les situations d’urgence, assure que le travail de sensibilisation des armées continue : « Des actions de formation sont régulièrement organisées auprès des troupes participant aux missions des Nations unies. »
L’idée de fabriquer d’autres passeports du patrimoine serait toujours envisagée. A commencer par celui du Cameroun, où, fin septembre, le Bataillon d’intervention rapide (BIR), une unité d’élite de l’armée, se serait livré au sac de sanctuaires dans le palais de Bafut, candidat au patrimoine mondial de l’Unesco. Ce palais est situé dans la partie anglophone du pays, où l’armée et des séparatistes s’affrontent depuis deux ans. Il existe déjà une version électronique de ce passeport, également réalisée par le Craterre-Ensag. « Nous l’avons établi à partir des 100 monuments majeurs du pays inventoriés en 2004. Mais faute d’argent, il n’a pas été imprimé », précise Thierry Joffroy, coordonnateur du projet.
Fin 2017, la nécessité de procéder à un travail similaire a été évoquée pour le Burkina Faso et le Ghana. Une liste qu’il faudrait compléter, selon le chercheur, par le Tchad et le Nigeria, en raison du conflit persistant avec Boko Haram.
Que ce soit dans les enceintes internationales ou au sein du ministère des armées, à Paris, tout tient finalement à une question de moyens. Et même si tout le monde s’accorde à dire que la protection du patrimoine culturel est un élément essentiel dans la construction de la paix, les contraintes budgétaires restent une limite pour faire davantage. Au Mali ou en Centrafrique, les initiatives de la Delpat ont pour l’instant dû se glisser dans les missions traditionnelles des troupes françaises.