Le Mali est régi par la Constitution du 25 février 1992. De son adoption à nos jours, le pays a changé mais la Loi fondamentale n’a pas bougé d’un iota. Afin de réduire ce fossé, plusieurs présidents ont essayé de procéder à une révision de la Constitution, sans succès. Dans sa volonté de refondation, le gouvernement de transition entend se lancer dans cet exercice périlleux. Il compte élaborer et faire adopter un nouveau texte. L’avant-projet de nouvelle Constitution devrait être présenté au mois de juin, selon le calendrier prévisionnel du ministère de la Refondation de l’État.
Près de 30 ans de pratique institutionnelle et démocratique ont révélé que le logiciel Mali est obsolète. La Constitution du 25 février 1992 qui le régit n’est plus en phase avec l’évolution sociopolitique du pays. Deux coups d’État, des crises postélectorales et une crise multidimensionnelle depuis 2012 donnent certaines indications sur l’ampleur des dysfonctionnements. Dans son optique de marche vers la « refondation de l’État », le gouvernement de transition entend procéder à une réforme constitutionnelle. Il ne se contentera pas juste d’une révision constitutionnelle, d’une mise à jour du logiciel, mais bien de l’élaboration et l’adoption d’une nouvelle Constitution.
Énième tentative
Sous la Troisième République, la Constitution du 25 février 1992 a fait l’objet de trois tentatives de révision, toutes abandonnées en cours de chemin. La première tentative émane du Président Alpha Oumar Konaré, en octobre 1999. Après le vote du projet de Constitution, le texte publié au Journal officiel était différent de celui voté par l’Assemblée nationale en plusieurs de ses articles, ce qui l’a rendu anticonstitutionnel. Ce projet de révision a ensuite été abandonné. Puis ce fut le tour du Président Amadou Toumani Touré de s’y atteler, avec la mise en place de la Commission Daba Diawara dont le processus a été stoppé par le coup d’État de mars 2012, avant que son successeur élu, Ibrahim Boubacar Kéïta, ne cède face à l’opposition du mouvement Antè A Bana cinq ans plus tard. Une idée de réforme reprise en 2019 mais qui n’a pas abouti non plus. « Alors, si le gouvernement de transition engage un nouvel effort de réforme, ce sera une énième tentative et j’espère que cette fois nous irons jusqu’au bout. Tout est dans la méthode, j’espère que ceux qui sont à la tête du pays aujourd’hui ont tiré les leçons d’un passé qui n’est pas si lointain », explique Sidi Diawara, membre de la Commission Daba Diawara.
Des difficultés juridiques, politiques et pédagogiques ont empêché d’aller vers les différentes révisions constitutionnelles. « Il faut nuancer le concept d’échec en la matière. Si le projet n’est pas rejeté lors d’un referendum, on ne devrait pas forcement parler d’échec. Ceci dit, il y a plusieurs raisons pour lesquelles les différentes tentatives n’ont pas abouti et parmi ces raisons on peut citer le timing. Je me suis toujours demandé pourquoi le Président ATT avait attendu ses derniers jours pour la tenue d’un referendum constitutionnel. Il aurait pu le faire bien plus tôt, car son approche de consensus lui réussissait bien. Le Président IBK, lors de son élection en 2013, aurait pu remettre sur la table le projet de 2012. L’ensemble de la classe politique était d’accord avec ce que la Commission Daba avait proposé ; aucune opposition au texte de 2012 n’avait été enregistrée. Mais la classe politique est tombée comme dans une sorte d’amnésie et la rébellion conduite par le MNLA et alliés, et ce qui s’en est suivi, a créé un nouveau contexte politique, plus complexe, de sorte que même ce qui était accepté un an plus tôt est devenu soudain opprobre, parce que mentionné dans l’Accord pour la paix et la réconciliation », explique Sidi Diawara.
Les leçons du passé
Afin que le projet d’élaboration d’une nouvelle Constitution soit une réussite, la méthode devrait être pensée et repensée pour éviter les obstacles. Plusieurs estiment que tout est dans l’inclusivité du processus, ainsi que dans la qualité des textes qui en seront issus. « La Commission Daba Diawara et le Comité d’Experts de 2019 avaient une démarche inclusive de débats et même de contestations, ce qui permettait d’élaborer des textes bien équilibrés. La suite a simplement été mal gérée. La démarche de 2017 était quelque peu cavalière, voire aventureuse, avec un texte pas toujours digne d’experts constitutionalistes, en tout cas dans sa version amenée à l’Assemblée Nationale. Le projet de révision doit être expliqué dans une démarche pédagogique, en utilisant nos langues nationales aussi bien que le français. Sinon, toute force politique animée d’une autre intention peut tromper les populations et les amener à des actions contreproductives », poursuit Sidi Diawara.
Pour Mohamed Touré, enseignant-chercheur à la Faculté de droit public de Bamako, le processus enclenché en vue de l’élaboration de la future Constitution n’est pas pour l’heure inclusif. « Les choses sont en train d’être faites en catimini pour un processus qui doit débuter en juin. Nous sommes en avril et jusqu’à présent nous ne sommes au courant de rien, alors que la Constitution c’est le lieu d’expression du contrat social, de la stabilité politique. Il faut amener tout le monde à être d’accord sur un certain nombre de principes. Il faudra aussi prendre garde à cette nouvelle Constitution », explique-t-il.
L’article 118 de la Constitution, qui interdit toute révision si l’intégrité territoriale est menacée, ainsi que la prise en compte de certaines exigences de l’Accord de paix issu du processus d’Alger ont été agités par le mouvement An tè A bana pour contraindre le Président Ibrahim Boubacar Kéïta à surseoir au projet de révision constitutionnelle de 2017. Qu’en sera-t-il cette fois ? « Ceux qui sont opposés à l’Accord pour la paix et la réconciliation et d’autres politiques ont opportunément utilisé les dispositions de l’Accord pour mobiliser une opposition à la réforme, se focalisant par exemple sur la question du Sénat, qui serait créé pour une plus grande représentation des populations du Nord. Je ne discute pas de leurs raisons politiques, mais il s’agit d’un argument fallacieux. Le Sénat figurait déjà dans les propositions de la Commission Daba Diawara et à l’époque il n’y avait ni MNLA, ni CMA, encore moins un Accord », soutient Sidi Diawara.
Quant à l’article 118 de la Constitution, Mohamed Touré pense qu’il ne tient pas lieu d’argument ici. « Les interdictions qui se trouvent dans l’article 118 de la Constitution ne s’imposent pas quand il s’agit de l’élaboration d’un nouveau texte ».
La carte politique
Conscient que les politiques sont un passage obligé pour l’adoption du futur projet de Constitution, le Premier ministre Moctar Ouane a impliqué ces derniers dans la conduite des réformes politiques et institutionnelles, avec la mise en place d’un Comité d’orientation stratégique. Cependant, d’ores et déjà, certains membres ne sont pas dans l’optique des réformes constitutionnelles, mais plutôt pour l’organisation des élections générales. « La révision constitutionnelle ne peut être engagée sans un referendum. Cela ne peut se faire sans la participation des partis politiques, dirigés par des politiques. Donc le gouvernement de transition a nécessairement besoin de travailler main dans la main avec eux, malgré les tensions existantes », pense le Dr. Mady Ibrahim Kanté, chercheur associé au Timbuktu Institute.
Au niveau de la société civile, on s’implique pour la réussite des prochaines réformes constitutionnelles. L’Association des jeunes pour la citoyenneté active et la démocratie (AJCAD) a proposé de réviser une dizaine d’articles de la Constitution en vigueur et la Fondation Tiwundi a déjà fait une proposition citoyenne de Constitution au ministère de la Refondation de l’État. Il reste à espérer que le gouvernement tirera les leçons du passé pour aller jusqu’au bout de la réforme, cette fois-ci avec la bonne formule.
Source : Journal du Mali