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Premières dames de l’horreur

A voir le sourire affable de Nexhmije Hodja se figer, puis le corps de cette petite dame de 90 ans se raidir, lorsque Joel Soler l’interroge sur le terme de « dictateur » accolé au nom de son époux, Enver Hodja – qui dirigea d’une main de fer l’Albanie de 1945 à sa mort, en 1985 –, on mesure les difficultés que le réalisateur français a dû rencontrer pour mener à bien cette remarquable série documentaire (5 × 52 min) consacrée aux femmes des despotes. Mais aussi la diplomatie – et les ruses, sans doute – qu’il lui a fallu déployer pour parvenir à les approcher.

Leïla Ben Ali femme ancien president tunisien

Si certaines, comme Leïla Ben Ali et Michèle Duvalier, ont finalement choisi de ne pas apparaître, d’autres, en revanche, telles Imelda Marcos, Nexhmije Hodja ou Agathe ­Habyarimana, ont accepté d’évoquer longuement les heurs et malheurs de leur parcours. A défaut – et c’est l’un des points communs qui les unissent – d’exprimer une once de culpabilité ou de remords quant à leur responsabilité directe ou indirecte.

Ce qui rend d’autant plus stupéfiante, sinon dérangeante, cette série au long cours – fruit d’un travail de cinq ans –, qui s’inscrit dans la lignée des précédents documentaires de Joel Soler consacrés à Saddam Hussein, Ben Laden ou encore Hitler. Déjà, il y explorait l’horreur de ces régimes autoritaires sous le prisme intimiste et familial.

Discours monstrueux

Outre de brefs mais nécessaires rappels historiques, le réalisateur thématise son propos en classant ces despot housewives en « cinq familles » : « les grandes dépensières » (Imelda Marcos, Michèle Duvalier, Leïla Ben Ali…) ; « les impératrices rouges » (l’épouse de Mao Jiang Qing, Margot Honecker, Mirjana Milosevic…) ; « les cuisinières de la terreur » (Rachele Mussolini, Sadjida Hussein ou Safia Kadhafi) ; « les illusionnistes » et autres ambassadrices au charme vénéneux (Eva Peron, Jewel Taylor, Asma Al-Assad…)  et, enfin, « les reines sans couronne » (Lucia Pinochet, Suzanne Moubarak…).

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Chacun des volets est construit à partir d’un long entretien où l’on peut mesurer toute l’habileté de celle qui est interrogée. A pas de velours, Joel Soler avance dans les discours rodés, voire monstrueux par leur dénégation. Ces entretiens « fil rouge » étant eux-mêmes éclairés par des témoignages à charge ou à décharge de victimes et de proches.

Idéologue implacable

Si, lors du premier opus, les propos d’Imelda Marcos sur l’argent ou la beauté peuvent « prêter » à sourire par leur caractère surréaliste, il n’en est pas de même avec Nexhmije Hodja, incarnation même de ces idéologues – devenues souvent les numéros deux du régime – à partir desquelles Joel Soler dresse une généalogie de l’horreur. Est-ce sa posture d’aînée ou son « idéalisme » pur et dur ? Toujours est-il que l’épouse d’Enver Hodja n’a pas de mots assez durs contre certaines de ses sombres et sanguinaires homologues.

Ainsi d’Elena Ceausescu, trop « clinquante à son goût », de Jiang Qing, jugée « capricieuse », ou de Mirjana Milosevic, dont elle refuse de parler, en raison des actes criminels que cette dernière a poussé Slobodan Milosevic àcommettre. Comment se juge cette femme, qui s’apprête aujourd’hui comme une vieille dame presque ordinaire ? Evoquant sa rencontre avec Mère Teresa, elle n’est pas loin de comparer son œuvre à la sienne, en ajoutant sereinement : « J’ai fait mon devoir et je suis très tranquille ».
Source: lemonde.fr

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