Aujourd’hui, il est demandé au Mali d’organiser des élections avant juillet 2013. C’est la volonté de la France, plusieurs fois affirmée et réaffirmée avec force. Le Président Français a été jusqu’à dire qu’il était «intraitable» sur la question des élections au Mali. Répondent en écho les voix des USA et de plusieurs Etats occidentaux, comme si la seule organisation d’élections était la panacée de tous les problèmes du Mali.
Amadou Djicoroni
Plus grave, cette volonté est accueillie favorablement et même avec enthousiasme par la plupart de nos dirigeants politiques.
Et sans examen ni réticence, tous, Maliens et Etrangers, refusent même d’évoquer la situation du pays, l’état de ses institutions, les conditions concrètes de vie des populations aussi bien celles restées sur place que les refugiés et déplacés.
Mettant résolument le cap sur les élections, ils font comme si la guerre n’a même pas eu lieu à plus forte raison, le fait qu’elle se poursuive sans que personne ne puisse en prédire la fin.
Mieux, on envisage ces élections sur la même base que celles qui devaient avoir lieu en avril 2012: avec le même fichier, les mêmes organisateurs, les mêmes genres de candidats, le même code électoral; bref on fait comme s’il s’agit de reprendre un match électoral qui n’aura été suspendu que pour une mi-temps d’une petite année banale, sans plus.
On fait comme si le Mali n’a rencontré aucune difficulté de Mars 2012 à Mars 2013. On considère que rien n’a bougé et rien ne s’est passé qui mérite attention.
Et pour mieux mettre l’eau à la bouche des champions de la prédation et de l’enrichissement illicite sur le budget des élections, les autorités annoncent le montant des financements attendus: 50 à 65 milliards de francs CFA. Quand on sait que les élections les plus chères de l’histoire du Mali furent celles de 1997 (20 milliards), lesquelles suscitent encore beaucoup de commentaires amers, il est facile d’imaginer l’impact de l’effet d’annonce du montant faramineux affiché.
Donc le troupeau électoral Malien doit être conduit à l’abreuvoir des élections avec la bénédiction de ceux qui sont responsables de la catastrophe actuelle et ainsi, tout est réglé.
Devant cette perspective fondée sur un profond mépris à l’égard du peuple Malien, devant ce diktat néocolonial inadmissible, devant cette entreprise lourde de dangers, il est nécessaire de sonner l’alarme, de mobiliser l’opinion, d’engager l’action en vue de l’empêcher.
En effet, comment envisager des élections avant de s’enquérir de l’opinion du peuple souverain du Mali?
Organiser des élections aujourd’hui, dans la situation que connait le pays, c’est tout simplement consacrer la division du Mali comme l’exige le MNLA; c’est aller au-devant des revendications des séparatistes, de ceux qui ont entrepris de porter atteinte à l’intégrité territoriale et à l’unité nationale.
Disons-le haut et fort! Contrairement à l’idée que s’en font les dirigeants occidentaux et leurs affidés de la CEDEAO, le Mali n’est pas un malade grabataire en état de coma profond et dont l’avis ne compte pas quant aux soins qu’on lui administre.
Ils doivent se départir de cette idée et reconsidérer leur démarche qui ne les a conduits jusque là, qu’à poser des actes contraires à tout esprit de respect et de considération pour le peuple Malien. En effet, depuis le 22 mars 2012 ils ont, sans hésiter:
- Nommé un premier Ministre avec pleins pouvoirs
- Nommé un premier Ministre de Transition
- Nommé un Président par intérim depuis la Côte d’Ivoire à l’insu des Maliens
- Permis à d’ANCIENS députés de proroger indéfiniment eux-mêmes leur mandat
- Institué des «Commissions» auprès de la Présidence en violation de la Constitution car jamais il n’a été prévu de telles possibilités.
- Décidé d’engager un dialogue avec des rebelles sécessionnistes
– Etc. etc.
Tout ceci, en violation de la Constitution qu’on prétend respecter et sans aucun égard pour le peuple qui pourtant, est seul souverain. C’est à lui qu’il faut se référer et seulement à lui, pour toute décision relevant de la souveraineté.
Donc aujourd’hui une autre démarche s’impose. C’est de retourner devant le Peuple malien avec respect et lui demander son avis sur le sort qu’il se souhaite et sur les voies et moyens d’y parvenir. Car, pour se donner la chance d’avoir les bonnes réponses, il est nécessaire de poser les bonnes questions à qui de droit:
– Qui sommes-nous?
– D’où venons-nous?
– Qu’avons-nous fait en bien, en mal?
– Où en sommes-nous au plan sécuritaire, politique, économique, social, culturel et cultuel, etc.?
– Que devons-nous faire?
– Pourquoi?
– Comment?
– Quand et où?
– A qui confier les tâches?
– Quelle forme de gouvernance adopter?
– Selon quel processus?
Aucun expert national ou international, aucune sommité scientifique, aucun club savant, aucune secte mystique ne saurait y répondre efficacement à la place du Peuple Malien et pour son bien.
La seule voie qui vaille, c’est celle qui a été pratiquée pour sauver le Mali de Soundiata à travers l’Assemblée de Kurukanfuga, c’est celle qui a été adoptée pour faire renaître des cendres fumantes du colonialisme le Mali du 22 septembre 1960, c’est celle qui s’est imposée après le 26 mars 1991 à travers la Conférence Nationale souveraine, c’est celle qu’on aurait du emprunter dès lendemain du 22 mars 2012.
Rien ni personne ne peut se substituer au Peuple; rien ne vaut l’intelligence collective du peuple.
Être démocrate, c’est d’abord et avant tout, se convaincre de cela.
Voici pourquoi la réunion d’assises démocratiques de concertation pour l’élaboration d’une stratégie, et éventuellement d’une nouvelle Constitution à soumettre au Référendum populaire est incontournable.
C’est ce que tous les peuples font après une secousse importante : guerre, catastrophe naturelle de grande dimension, révolutions populaires, coup d’état pour rétablir la démocratie, etc.
Les Assises Nationales sont aujourd’hui la priorité des priorités. Ce sont elles qui doivent répondre aux questions évoquées plus haut.
Donc l’ordre des choses se présente comme suit :
1. Les Assises Nationales (quel que soit le nom qu’on leur donne):
- Conférence Nationale souveraine
- Congrès du Peuple Malien
- Concertations nationales
- Forum du Peuple
- Assemblée Constituante
- Assemblée générale du peuple
- Etc. etc.
2. Le Référendum Constitutionnel
3. Les Elections
A notre humble avis, c’est la seule démarche logique, démocratique, respectueuse de notre histoire et de notre culture multiséculaires.
Si par paresse intellectuelle, par opportunisme vis-à-vis des puissances occidentales, par lassitude, par psittacisme ou par désir fou d’accession au pouvoir, nous acceptons d’inverser l’ordre des choses et d’imposer à notre peuple, une marche arrière suicidaire, nous en répondrons devant l’Histoire. Or les jugements de l’Histoire sont sans appel!
Donc au lieu de faire du suivisme, en nous engouffrant dans la voie dictée par d’autres pour des motifs que nous ignorons, examinons froidement la situation et prenons résolument le bon cap. Mettons les élections à la place qui sied dans le processus logique de rédemption de notre cher Mali.
Pour cela, vérifions minutieusement les Institutions, les structures, les textes, et les tâches qui s’imposent aux joutes électorales.
Érigeons les garde-fous indispensables pour canaliser le processus électoral et protéger les populations contre les cascadeurs en politique.
Monsieur Paul Dehoumon un grand intellectuel Béninois m’a dédicacé un de ses ouvrages ainsi :
« Mon cher papa; les valeurs qui ont fait votre fierté hier, ont déserté le forum aujourd’hui. La cacophonie des ambitions rime bien avec l’absence de conviction et de vision. Il s’en suit une classe politique plus mafieuse que patriotique avec des intérêts étrangers aux préoccupations majeures du Peuple».
Evitons donc le piège de donner le Mali à qui que ce soit pour un mandat de 5 ans avec les pleins pouvoirs qu’accorde la Constitution de 1992 au Président-Institution. Prenons exemple sur l’Afrique du Sud et donnons-nous les moyens de relever un Président à tout moment et sans frais. C’est ce que permet le régime parlementaire.
Changeons résolument! Créons la Quatrième République. Pour cela, confectionnons un projet de Constitution à l’issue d’assises nationales et commençons comme en 1992 par un référendum avant toute élection. Ainsi nous permettrons au peuple à travers une future Assemblée Nationale plus saine, de corriger rapidement le choix de Président en cas d’erreur; ainsi nous nous donnerons toutes les chances pour améliorer notre démocratie sans l’obstacle d’un Président-Roi, intronisé par la voie d’une forme d’élection qui enlève au peuple toute possibilité de correction avant un délai incompressible de 5 ans.
Certains pensent qu’il faut organiser les élections avant et cela dans le seul but de se débarrasser de la transition actuelle. Faisons attention! C’est de l’impatience! Par impatience, d’aucuns ont fait le coup d’état du 22 mars 2012. Et depuis, qu’est-ce qui a été mieux? Rien. Ni dans le civil ni dans l’armée, ni dans aucun domaine il n’y a eu d’amélioration et le Mali est au plus mal de sa forme!
Tirons-en les leçons. Faisons en sorte qu’on aille vers le mieux avec des garanties certaines. Nous nous sommes trompés en 1992, en 2002 et en 2012; chacun le sait.
Souvenons-nous que ce sont les mêmes causes qui produisent les mêmes effets. En conséquence, éliminons les mauvaises causes de notre malheur. Et rien ne pourra nous en protéger mieux que l’examen critique et sans complaisance de notre parcours national dans tous ses aspects.
Ne récidivons pas! L’erreur est humaine, mais y persister est diabolique! Corrigeons ensemble et avançons résolument vers le progrès, vers la IVème République dans une harmonie nationale fondée sur le socle de la vérité au service de l’engagement patriotique.
Amadou Seydou Traoré dit Amadou Djicoroni