Le Mali est un pays laïc, fortement dominé par la foi musulmane. L’Islam autorise les hommes à épouser plusieurs femmes. Le temps est loin où les hommes se mariaient à plusieurs femmes, pour constituer de grandes familles où il faisait bon vivre, dans l’entente. Ce climat familial serein traverse des moments difficiles et les femmes ont une peur bleue de la polygamie.
Le débat sur le choix du régime matrimonial ressurgit, toutes les années depuis une décennie, à la veille du mois de Ramadan, à l’approche de la fête de Tabaski. La monogamie a-t-elle pris le dessus dans le cœur des générations de jeunes maliennes en âge de se marier ? « La polygamie c’est l’enfer ! Personne ne doit accepter de partager son homme », soutient Aminata, lors d’une discussion avec son amie Kadiatou sur la question. Cette autre épouse, qui l’écoute, écarquille les yeux. Il y a de quoi.
En effet, Aminata qui pourfend la polygamie est mariée sous le régime de la polygamie. Elle attend même l’arrivée prochaine dans son foyer du premier bébé. Dans le Mali actuel, le régime de la polygamie est inacceptable pour de nombreuses jeunes filles en âge de se marier. Des citadines et des femmes rurales, dans toutes les communautés, estiment que vivre dans un foyer polygame « est une pilule amère, difficile à faire passer. »
Mais. paradoxalement, elles sont nombreuses à le signer. Comme le montrent ces chiffres de la mairie de la Commune IV du District de Bamako. Ici, durant les trois dernières années, 90% des unions ont été faites sous le régime de « la discorde ». « En 2019, il y a eu 302 mariés polygames, 32 monogames ; en 2018, 363 polygames contre 33 monogames; en 2017, 349 polygames, 44 monogames », indique le chef du centre de la mairie de la commune IV du District de Bamako, Diakité Rokia Bagayoko. Devant l’officier d’état-civil, plus de la majorité des nouvelles mariées optent pour la polygamie. Malgré les statistiques qui prouvent la prééminence de la polygamie dans les familles, les épouses ont la phobie de la polygamie. Pour quelles raisons ?
UN CALVAIRE – Aujourd’hui, la 2è épouse Diawara Assétou Koné est braquée contre la polygamie. Elle soutient qu’elle vit le calvaire, parce qu’elle partage son mari avec une co-épouse dans la concession familiale. Elle a perdu toutes ses illusions sur le bonheur chez son mari polygame. Et elle ne mâche pas ses mots : « Je ne le souhaiterai pas à une ennemie de vivre dans une famille polygame! Etre mariée sous ce régime est une chose, mais vivre sous le même toit avec sa co-épouse est horrible », déclare-t-elle. L’aversion de cette épouse pour la polygamie découle du fait que sa co-épouse est la cousine de son mari, qui serait la favorite.
Mme Diawara Assétou Koné déplore cette mise à l’écart. Elle vide son amertume en ces termes : « Je suis traitée dans ma maison comme une réfugiée. J’ai tort d’avance en cas de conflit avec ma coépouse, Je suis exclue de toutes les consultations sur les affaires de ma belle famille ». L’hostilité à l’égard de la polygamie est largement partagée dans le rang des femmes. Mais quelques unes se résignent, arguant l’aspect social et religieux.
Mme Coulibaly Fatoumata Diarra est mariée depuis 19 ans. Elle se souvient des fastes du jour de son union. Au moment de la signature du régime de polygamie, elle a fondu en larmes en la présence de six autres couples qui attendaient pour se dire « oui ». Elle a fait l’objet d’un persiflage et ses proches craignaient un renoncement de sa part. Au bout de quelque temps, ils ont réussi à la convaincre d’opter pour la polygamie. Mais au fil des années, les conditions de vie se sont améliorées dans son foyer. Mais cette aisance matérielle inquiétait fortement Mme Coulibaly Fatoumata Diarra.
Au Mali, la bonne situation financière pousse beaucoup d’époux polygames à prendre une nouvelle femme. « Plus mon mari gagnait sa vie, plus je m’inquiétais. Les filles d’aujourd’hui ne laissent pas les piétons tranquilles, à plus forte raison un homme riche qui roule en 4 X 4 ». Mme Coulibaly ne sera pas épargnée. Elle sera atterrée d’apprendre, deux ans après son mariage, la nouvelle du 2e mariage de son mari. Exaspérée, elle a cherché en vain à échapper à la polygamie. « En ce temps, c’était dur pour moi d’affronter les regards des autres. J’allais partager mon homme et, peut être, que je serai délaissée au profit d’elle”, a confessé Mme Coulibaly.
Prise de panique, elle a vendu ses bijoux. Elle s’est endettée pour pouvoir aller en France, laissant ses 6 garçons dernière elle. Malheureusement, l’intermédiaire, qui était chargé de lui trouver un visa n’a pas pu honorer l’engagement à temps. Et il avait empoché plus de 2.700.000f Cfa. Mme Coulibaly Fatoumata Diarra était désemparée. Elle ne savait plus que faire. Elle était acculée par la meute des créanciers, et contrainte d’affronter la dure réalité du foyer polygamique.
« J’ai failli faire la prison, n’eût été l’aide de ma famille paternelle qui a remboursé mes crédits. Ma grande sœur qui vit en France m’a offert une boutique de produits de beauté. Je devais rester près de mes enfants. Ce fut le pire moment de ma vie. Dieu merci. Maintenant, j’ai retrouvé la paix. La peur bleue de la polygamie qui m’habitait n’avait pas sa raison d’être. Mon époux n’a jamais cessé de me prouver son amour, en chef de famille responsable. Pour cela, je lui témoigne ma loyauté», a-t-elle souligné, le regard heureux, un grand sourire aux lèvres.
“La polygamie a été inspirée par le tout puissant pour équilibrer la vie sur terre. Dans le monde les femmes sont plus nombreuses que les hommes. Le bon mari et un bon père”, estime Fatima. Elle a conseillé à sa nouvelle co-épouse d’être respectueuse, de comprendre qu’elle n’est pas venue pour remplacer une épouse mais agrandir la famille. Ces deux co-épouses ne vivent pas dans le même quartier.
Le fonctionnaire Moustapha Coulibaly fait montre d’une forte conviction religieuse. Il faut, selon lui, prendre plusieurs femmes pour permettre à chacune de vivre dignement. Il ajoute que la monogamie a créé trois grands problèmes : les enfants extra-conjugaux, la prostitution, l’infidélité. De son côté l’imam Mahamadou Diallo, après la récitation d’un verset de coran, déclare: « Dieu dit, Moi je vous autorise à prendre vos âmes sœurs pour épouses. Vous pouvez en prendre de deux à quatre. Mais si vous savez que vous ne pouvez pas être juste entre elles, limitez-vous à une seule ».
Telle est la condition première pour un homme qui se veut polygame, en plus de la capacité physique et financière. L’érudit met l’époux en garde : il est sûr que le cœur ne peut aimer deux êtres au même degré, mais il vous est interdit de le faire remarquer dans vos expressions et dans vos faits. “Selon le Saint Coran précise-t-il, la polygamie évite à l’homme de tomber dans l’infidélité”.
L’Institut national de la statistique (INSTAT) révèle les hommes maliens sont monogames dans leur majorité. Les chercheurs soutiennent que 62,7 % de la population de plus de 12 ans sont mariés (monogames ou polygames). La proportion des mariés polygames est plus élevée en milieu rural (24,2 %) qu’en milieu urbain (12,2 %). Toutefois, il faudrait noter que 41,3 % des hommes mariés sont monogames et 41, % de la population malienne sont célibataires sans s’être jamais mariés.
Qu’est-ce qui amène les hommes à rester monogames, alors ils qu’ils se marient sous le régime de la polygamie ? Le professeur d’enseignement supérieur à la retraite, l’historien et écrivain Facoh Donki Diarra évoque le volet économique. Il soutient qu’il est plus facile d’entretenir une famille que de s’occuper de plusieurs. Pour qu’un homme ait l’emprise sur sa femme, il faut qu’il arrive à en prendre soin. Dans le cadre de la polygamie, c’est difficile. Mais l’écrivain ajoute que la polygamie a des avantages. “Il donne à l’homme la dignité et à la femme stérile le bonheur d’élever les enfants de ses co-épouses comme si c’était les siens”, ajoute-t-il.
Le chef griot de Bamako, Bourama Soumano, estime que l’état de santé est la première raison qui freine un homme dans son élan. Avec peu de moyens, il peut courtiser de façon légale ou illégale. La seconde raison : les hommes peinent à asseoir leur autorité. Un chef de famille qui ne peut pas établir la justice dans sa maison n’est pas indiqué pour être polygame. « En réalité, ajoute Soumano, la polygamie, crée de nombreux problèmes ». « Les hommes de maintenant, pour éviter les problèmes, mettent la distance entre les épouses. Ils les installent dans des quartiers différents. La conséquence sera que les enfants, du même sang, n’ont pas d’affection l’un pour l’autre », argumente notre interlocuteur.
“Le jour où le chef de famille disparait, le lien s’interrompt. Où est l’avantage ?” s’interroge le chef griot convaincu que si un père de famille n’est pas capable de s’assumer, il est mieux, pour lui, d’être monogame. “La monogamie, à ses yeux, est un régime basé sur l’imprudence. Ses adeptes ne sont pas à l’abri de surprises désagréables”, ajoute-t-il. Selon lui, dans notre société, toutes les femmes n’aspirent qu’à la monogamie, fuyant les conflits de la polygamie.
Une tante relate son cas sous anonymat. Nous l’appelons Massan. Elle nous reçoit dans un grand salon sur un canapé en cuir. Un beau salon dont les pans sont décorés de photos de famille et de médailles. Notre tante Massan tergiverse avant de se libérer et de dire : « Sans vous mentir, j’avais la phobie de la polygamie. Je sais ce que cela entraîne. Je suis d’une famille polygame. Mon père avait trois femmes. A l’époque de mon mariage, il y avait plusieurs prétendants. J’ai choisi celui qui m’a promis la monogamie ».
Cette dame a divorcé après 30 ans de mariage et 4 enfants. Les conjoints étaient liés sous le régime de la monogamie. Mais l’épouse modèle avait fini par perdre patience. « Pendant 30 ans, mon mari n’a pas cessé de courir les jupons. Même mes bonnes n’étaient pas épargnées. Pour le dissuader de jouer au chaud lapin sous mon regard, j’embauchais des servantes d’un certain âge. Comme il n’aimait que la chair fraîche, à la maison, il s’est assagi. Mais dehors, il courait les filles du quartier qui ont l’âge de mes enfants”, racontée la dame. Celle qui a avalé des couleuvres, pendant des années, était devenue la risée de tout le quartier.
Elle fuyait le regard des autres, en déménageant sans cesse avant d’avoir sa propre maison. Elle rappelle que son ex mari voyageait, dans plusieurs pays de la sous-région, pour ses affaires. Quand il a eu un problème dans un pays voisin, dans les années 99, elle a fait l’impossible pour le faire libérer. Au nom du régime de la monogamie. Je me suis battue pour mon foyer. Je voulais juste vivre sereinement. Mais hélas ». Cette sérénité, elle ne l’a jamais eue. La frustrée Massan est à la retraite, depuis deux ans. Elle vit désormais dans la maison de son fils aîné. Elle s’occupe de ses petits fils, son chapelet à la main, à longueur de journée.
MS/MD
(AMAP)