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Piraterie, terrorisme, drogue : les nouvelles menaces qui pèsent sur l’Afrique de l’Ouest

Alexandre Marc est spécialiste en chef pour les questions de fragilité, conflits et violence à la Banque mondiale. Il est le coauteur du rapport intitulé « Relever les défis de la stabilité et de la sécurité en Afrique de l’Ouest ».

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Comment les dynamiques conflictuelles ont-elles évolué en Afrique de l’Ouest ?

Depuis les indépendances, acquises en grande partie sans lutte militaire, hormis pour la Guinée-Bissau, les conflits armés ont fait moins de victimes en Afrique de l’Ouest que dans le reste du continent. Hormis le Biafra, le Liberia et la Sierra Leone, il y a finalement eu peu de guerres dans la sous-région.

Par ailleurs, on constate que les conflits classiques à grande échelle et les guerres civiles ont laissé place à une nouvelle génération de menaces : outre les actions terroristes, les violences électorales, les risques de déstabilisation liés au trafic de drogue (cocaïne et méthamphétamine notamment) et la piraterie maritime sont de plus en plus importants.

Autant de facteurs de tensions qui se conjuguent à un sentiment d’exclusion d’une jeunesse privée des dividendes de la croissance et qui ne perçoit pas les retombées des découvertes de grands gisements de ressources naturelles. La récente explosion du secteur extractif dans la sous-région peut également être une source d’instabilité.

En plus du terrorisme, quels risques ces nouvelles menaces font-elles courir aux Etats de la sous-région ?

Au cours des dix dernières années, l’Afrique de l’Ouest est devenue une plaque tournante du trafic de drogue entre l’Amérique latine et l’Europe. Cocaïne, méthamphétamine et héroïne transitent par là, mais une partie des stupéfiants est désormais aussi produite sur place.

Et les revenus de la drogue peuvent irriguer les caisses des groupes rebelles et extrémistes tout en affectant les sociétés. Les narcotrafiquants fragilisent les institutions des Etats et peuventpeser sur le cours des élections. On l’a vu dans le nord du Mali ou en Guinée-Bissau : ces trafics peuvent accélérer la déstabilisation de l’Etat.

On constate que les trafiquants ont besoin des pays fragiles pour faire atterrir leurs cargaisons et de pays plus stables pour blanchir leur argent. Ce qui peut à terme laisser apparaître des déstabilisations d’ordre financier dans des pays comme le Sénégal ou le Ghana.

Quant à la piraterie maritime, le golfe de Guinée est devenu un épicentre. Plus encore que dans le golfe d’Aden, la piraterie affecte considérablement l’économie des zones côtières d’Etats encore incapables d’exercer leur souveraineté sur ces espaces. Tout en ayant un effet néfaste sur les investissements étrangers, et sur le commerce. Là aussi, les revenus de cette activité servent entre autres à armer des mouvements rebelles ou terroristes.

Paradoxalement, ces tendances se conjuguent à une démocratisation des pays de la sous-région…

Oui, depuis une décennie l’Afrique de l’Ouest a accompli d’énormes progrès en la matière. L’élection présidentielle apaisée au Nigeria, en mars, conforte cette tendance. Pour la première fois depuis 1999, un opposant, Muhammadu Buhari, a été élu. Globalement, les coups d’Etat militaires ont laissé place à des élections multipartites, même dans des pays marqués par des guerres, comme le Liberia, la Sierra Leone et la Guinée-Bissau.

Le Ghana où les militaires ont longtemps joué un rôle politique de premier plan s’est également transformé et le Sénégal reste un exemple de stabilité démocratique. En Guinée, on est passé d’une dictature absolue à une dictature militaire plus ouverte, puis à des élections imparfaites.

A chaque fois qu’un dirigeant s’est essayé à changer la Constitution pour se maintenir au pouvoir, il a d’ailleurs échoué. Toutefois, il faut être vigilant quant à la hausse des violences politiques liées à ce début de démocratisation. Car si ce progrès démocratique permet d’assurer plus de stabilité, cela se traduit, à court terme, par une augmentation de violences avant, pendant et après les élections.

Votre rapport insiste sur la porosité des frontières que franchissent des conflits qui se propagent. Pourquoi ?

Il est préoccupant de constater que, de plus en plus, les conflits se sont déplacés dans les zones frontalières. La théorie des systèmes de conflits repose sur l’idée que des guerres naissent et perdurent de part et d’autre de frontières, car les belligérants profitent des liens transnationaux.

Et la sous-région est particulièrement exposée à ces systèmes de conflits. Le plus déstabilisant est celui du bassin du fleuve Mano (Liberia, Sierra Leone, Guinée, Côte d’Ivoire) qui a été frappé par des violences de grande ampleur au lendemain de la guerre froide.

Les violences ont démarré au Liberia en 1989, ont déstabilisé plusieurs pays voisins, se sont exportées en Sierra Leone au début des années 2000 avant de revenir au Liberia. La contamination d’un conflit d’un pays à l’autre est le type de dynamique transnationale qu’il faut éviter.

Or, aujourd’hui, Boko Haram joue aussi sur les liens traditionnels ethniques et économiques de part et d’autres des frontières pour étendre ses luttes et commettre des exactions dans le nord du Cameroun et du Nigeria notamment. L’afflux de réfugiés peut également favoriser la propagation de conflits.

Il y a aussi des luttes séculaires, comme l’insurrection touareg, le plus vieux conflit d’Afrique de l’Ouest, qui font peu de victimes, mais contribuent à considérablement fragiliser la sous-région, en permettant l’implantation de groupes terroristes transnationaux, comme on a pu le voir au nord du Mali.

Nous avons également travaillé sur le système conflictuel de Sénégambie méridionale (Sénégal, Gambie et Guinée-Bissau) qui intègre entre autres le mouvement séparatiste de Casamance. Si les tensions se sont atténuées, elles peuvent se raviver et à nouveau déstabiliser cet espace.

Quels sont les effets des mouvements de population dans la sous-région où la fracture Nord-Sud semble s’accentuer à l’intérieur de chaque pays ?

Depuis bien longtemps, les populations d’Afrique de l’Ouest ont été parmi les plus mobiles du monde. Ce qui n’a d’ailleurs rien à voir, en termes de volume et de dynamique, avec les migrations d’Africains vers l’Europe. Le nombre de migrants dans la sous-région est d’environ 7,5 millions de personnes, soit 3 % de la population. Or là encore des tensions et des discriminations sont apparues autour de l’octroi de citoyennetés.

Il faut noter que sur les vingt dernières années, les déséquilibres régionaux se sont accentués entre la côte et le Nord. Le plus souvent, le Sud côtier bénéficie des investissements des Etats, et des compagnies étrangères, mais aussi des politiques de développement des bailleurs de fonds, qui contribuent involontairement à accentuer ces déséquilibres régionaux.

Le renforcement des pôles de croissance au Sud est encouragé par les dirigeants et les élites, car cela génère une croissance et une économie de rente. Or, il faut compenser ces déséquilibres régionaux, mener des politiques de développement dans les septentrions et intégrer les gens du Nord dans le système politique.

Comment les politiques de développement des bailleurs de fonds peuvent-elles évoluer ?

Il faut se poser la question : est-ce encore cohérent de monter des programmes nationaux ? La probabilité d’éclatement de conflits est bien plus élevée dans les espaces frontaliers que dans les zones isolées.

Pour stabiliser ces zones stratégiques mais exposées, corriger les inégalités entre le nord et le sud des Etats, les programmes des bailleurs de fonds et des agences de développement se doivent de mieux soutenir la gouvernance locale, de renforcer les institutions publiques, et d’innover en respectant mieux les dynamiques internes. Sans négliger le domaine de la sécurité. Car les stratégies proposées par les bailleurs de fonds pour améliorer la gouvernance intègrent rarement le développement et l’appui au secteur de la sécurité. Or, l’armée continue d’influer fortement la politique dans plusieurs pays de la sous-région.

Source: lemonde.fr

 

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