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Photographie : Bamako, le temps retrouvé

La Biennale africaine de la photographie est enfin revenue dans les jardins du Musée national de la capitale du Mali. Émotion.

biennale africaine photographie rencontre bamako

Grand moment dans les jardins du Musée national du Mali, sur les hauteurs de Bamako, lorsque s’ouvre, ce 31 octobre 2015, la 10e édition de la Biennale africaine de la photographie. “Nous l’avons fait !” se félicite son délégué général et directeur du musée, Samuel Sidibé. Les Rencontres de Bamako, premier rendez-vous photo du continent né dans cette ville en 1994, auraient dû fêter leurs 20 ans d’existence lors de l’édition 2013, mais le sort du pays a basculé avec le coup d’État de mars 2012 et la guerre qui s’est ensuivie. Depuis, la sortie de crise est lente. Comment peut-il en être autrement dans un pays meurtri ? Ce jour-là, cependant, l’émotion des retrouvailles avec la vie artistique est poignante. Par la photographie, la Biennale signe la “remise en orbite” du Mali dans la galaxie de la culture. Aux commandes, une femme venue de Lagos, Nigeria. Elle se nomme Bisi Silva, c’est une militante, et elle a demandé aux 39 photographes qui exposent à Bamako d’y “conter le temps”.

Que nous racontent-ils, ces artistes venus du continent et de la diaspora, dont 12 s’expriment en vidéo dans l’exposition panafricaine “Telling Time” ? “Le passé et le présent, plus que le futur”, constate Bisi Silva : la crise au Mali, djihadistes casqués et manuscrits de Tombouctou, la révolution au Burkina Faso (traitée par deux photographes), les migrants dans les villes, jusqu’à Alger. Mais le passé y a la part la plus forte, mêlant souvent histoire collective et individuelle. Il faut s’arrêter sur celle, merveilleuse, du vieux professeur de Georges Senga, photographe de RDC, qui admirait tant l’homme et les idées du leader assassiné Patrice Lumumba qu’il allait jusqu’à lui ressembler physiquement. À Bamako, on joue avec les archives, on se réapproprie l’histoire du continent. Des studios d’autrefois sortent d’émouvants clichés, comme ceux que véhicule l’installation du jeune Sénégalais Ibrahima Thiam. Un autoportrait de l’Afrique ?

Gage de pérennité ?

La biennale elle-même se regarde, dans une exposition-miroir qui rend compte de la guerre pacifique que mènent les combattants de l’art contemporain depuis vingt ans sur le continent. Elle se poursuit. Cette année, Bamako a déclenché la présentation de 800 dossiers (dont 35 au seul Mali), au lieu de 250 en moyenne ! C’est dire l’attente, l’énergie… La manifestation joue son rôle à plusieurs titres : rompre l’isolement et renforcer le terrain malien sur lequel, durant cette semaine professionnelle, la phrase la plus entendue était : “Merci d’être venus !” Retisser le réseau et les échanges entre les photographes du continent, les commissaires et les autres professionnels présents, venus du Brésil, de Berlin, de New York et même de Paris ! Sur les grilles de l’Institut français du Mali, de grands tirages attirent l’oeil des passants. “Aller vers la population”, souhaite Bisi Silva.

Quant au futur, il se déniche chez les Sud-Africains qui donnent les rythmes de leur ville (galerie La Médina), dans l’audace du Marocain Youssef Larachi à se photographier dans les rues vides de Casablanca. Mais aussi dans l’éclat des travaux de jeunes photographes éthiopiens repérés par l’une d’entre eux, Aida Muluneh, qui organise un festival de photographie à Addis-Abeba. Ces talents sont exposés dans le off par le critique et commissaire malien Chab Touré. Les Rencontres de Bamako assurent depuis vingt ans cette visibilité des artistes “sans lesquels il est difficile de vivre”, lance le Premier ministre du Mali… Voeu pieux ? Gage de pérennité ? Quand on l’a quittée, Bamako commençait à danser, renouant le lien entre la Biennale de la photo et le festival de la chorégraphe Kettly Noël, “Dense Bamako danse”…

Le temps des hommages : J. D. ‘Okhai Ojeikere

Au musée du District de Bamako, jouxtant l’hôtel de ville, se tient une exposition-hommage au grand photographe nigérian Ojeikere (1930-2014), surtout connu pour son art de photographier les gele, coiffures traditionnelles nigérianes, et les coiffes à la mode de son pays portées par de superbes femmes. Cette rétrospective révèle des aspects moins connus de son travail, sur l’architecture de Lagos, ainsi que ses portraits de compatriotes réalisés dans les années 50 et 60. Parmi les nombreux hommages de cette Biennale, celui rendu au travail du Nigérien Philippe Koudjina Ayi (1940-2014), mis en valeur par le Français Philippe Guionie à l’Institut français découvre l’immense sensibilité d’un photographe qui savait saisir la « couleur » intime des scènes de la vie nocturne de Niamey. A Bamako, les jeunes talents disparus récemment n’ont pas été oubliés : Kiripi Katembo, reflétant sa ville de Kinshasa dans des flaques d’eau, le Sud-Africain Thabiso Sekgala et le vidéaste malien Bakary Diallo.

Emmanuel Bakary Daou, « Le Temps Ebola »

Le reporter en lui laisse toujours sa part de temps à l’artiste, qui travaille depuis longtemps sur le thème des masques et des signes. Quand le premier cas de virus Ebola apparut au Mali, Emmanuel Daou se demanda comment il pouvait le traiter : « On ne pouvait pas se rendre sur le site, mais j’ai suivi de près le déroulement des premières mesures aussitôt prises : le désinfectant pour se laver les mains et le pistolet pour la température. Alors, j’ai habillé des mannequins d’une salopette, j’ai fabriqué leurs masques en mousse et les ai emmenés au grand marché de Bamako pour qu’ils aillent au devant des gens en les amenant à suivre les consignes. Pour cette photo, j’avais repéré cette maison où vivait ce vieil homme malade. Il souffrait d’autre chose, mais, après notre passage, il savait que ce n’était pas d’Ebola, et il en fut comme soulagé. Il est mort depuis et je suis allé saluer sa famille. »

Malala Andrialavidrazana et autres « Figures » malgaches

Née et élevée à Madagascar, jusqu’à l’âge de 12 ans, Malala passait de longues heures à regarder son globe en se projetant dans le monde. A la suite d’une année 2014 troublée par autant de deuils que de joie, elle a replongé dans les archives familiales, trouvé en Afrique du Sud une carte de son île natale datant de la fin du XVIIe, remis la main sur des billets de banque et des pochettes d’album de son adolescence. Sa rêverie imagine un monde où l’on ne se rencontre que par les mers et les océans, et ce patchwork poétique sur la circulation des êtres et des imaginaires a un nom : « une broderie digitale ». Dans l’exposition thématique voisine, « Tu m’aimes », son compatriote Joël Andrianomearisoa remonte son histoire familiale le long d’une installation d’où émane le doux apaisement de s’y être trouvé.

« Inch’Allah », le Mali en crise vu par Aboubacar Traoré

Le Malien Aboubacar Traoré cherchait depuis longtemps à traduire ce que son pays traversait. La Biennale l’a fait accoucher d’une métaphore puissante, réalisée en un mois : « La calebasse peinte en noir, c’est une tête qui n’est plus celle d’un humain, ce sont aussi les idées noires de ces djihadistes. Les motos ou véhicules de la série font référence aux attentats des kamikazes. »

Le temps des studios

Enfant de la Biennale, la photographe Fatoumata Diabaté a pris possession de la cour du musée pour y planter son « studio de la rue » le temps des Rencontres. Celles-ci ont rendu célèbre Malick Sidibé, toujours bamakois mais qui laisse désormais à son fils son célèbre studio du quartier de Bagadadji, photographié ici par son compatriote Alioune Bâ. Le temps de la Biennale, les studios de la ville ouvrent leurs archives à la population des quartiers.

La « Prophecy » de Fabrice Monteiro

Au mémorial Modibo-Keita, l’exposition « To the Future and Back », de Bisi Silva et Yves Chatap, donne à voir une Afrique en pleine métamorphose face à l’avenir : ainsi de cette série du Belgo-Béninois Fabrice Monteiro, « The Prophecy », où la figure de la danse traditionnelle avec masques prend presque dans cet environnement désertique du Sénégal des allures d’éolienne. L’artiste joue sur les matières et mêle les codes de la photo de mode à la dimension onirique du conte : « Telling Time »…

 

Source: lepoint.fr

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