Suivez-nous sur Facebook pour ne rien rater de l'actualité malienne

Petites mains à Bamako

Vendredi 15 septembre 2017
Sophie Dupont
SOPHIE DUPONT

A Bamako, des garçons de 7 à 16 ans, appelés «bagagistes», vendent leurs sachets plastiques aux clients du marché et transportent leurs courses jusqu’à leur véhicule.

motocycliste-pouce-pouce-vendeur-ambulant-facade-pochette-telephone-portable

Reportage à Bamako, qui accueille beaucoup d’enfants non-accompagnés et migrants. Des réseaux de solidarité participent à leur prise en charge.

Après la pluie, dans le marché de Médine, des commerçantes, assises sur des cageots retournés, attendent les clients. Entre les rangées de courgettes et d’ignames empilés sur des bâches, des enfants trottinent dans les allées boueuses. En alerte, un petit paquet bleu bien plié dans la main droite. Ces garçons de 7 à 16 ans, appelés «bagagistes», vendent leurs sachets plastiques aux clients du marché et transportent leurs courses jusqu’à leur véhicule.

Baba Djalou, une quinzaine d’année, est arrivé il y a sept mois d’un village au centre du pays. «Bagagiste, c’est le premier travail que j’ai trouvé en arrivant à Bamako», explique-t-il. Avec un bénéfice de cinq francs par jour, il parvient à envoyer régulièrement une petite somme à ses parents. Contrairement à beaucoup de ses compagnons qui passent la nuit dans le marché sur un carton posé au sol, il est logé par une connaissance.

Bamako est ville de destination, de transit et de départ pour des enfants, parfois jeunes, qui ont quitté leur village pour chercher du travail. Ils s’orientent vers le commerce, l’économie domestique (lire ci-dessous) ou l’orpaillage. La capitale malienne est aussi un point stratégique de la route migratoire en direction de la Libye, puis de l’Europe.

Risque d’exploitation

Aux mouvements saisonniers des enfants de zones rurales vers les centres urbains, s’ajoute une migration internationale. Des filles et des garçons de la Côte d’Ivoire, du Burkina Faso, du Niger et de Guinée Conakry re-joignent les mines d’or artisanales, travaillent comme domestiques ou dans le commerce. «Ces enfants, sans protection, sans papiers, se trouvent dans des situations de vulnérabilité extrême», relève Seckna Bagayoko, coordinateur du réseau à Enda Mali. L’exploitation, économique et sexuelle, est fréquente, les enfants travaillent sans repos, dorment dehors et se nourrissent mal. Certains économisent pour poursuivre leur migration vers le Nord.

A Bamako, l’association des enfants et jeunes travailleurs (AEJT) repère et aide les enfants de passage. Cireurs de chaussures ou commerçants dans les gares routières, ses agents ont l’œil pour repérer ceux qui voyagent seuls. «J’ai logé chez moi un jeune Ivoirien de 15 ans, qui n’avait nulle part où aller», explique Guindo Sékou, 16 ans, membre de l’AEJT. L’association regroupe 49 000 membres, dans trente localités du Mali et collabore avec des ONG qui prennent en charge ces enfants dits «en mobilité». «Le jeune a accepté de retourner à Abidjan où il recevra une aide pour développer un commerce», poursuit le garçon.

Né en 1994 au Sénégal, le mouvement africain des enfants et jeunes travailleurs défend douze droits, dont ceux de ne pas s’exiler, d’avoir une formation pour apprendre un métier ou d’exercer une activité en toute sécurité. Ses membres revendiquent le droit de travailler pour les mineurs: «Si tu ne vas pas à l’école, tu dois trouver une activité. Mais il faut que la charge de travail et les horaires correspondent à l’âge de l’enfant», assène Assitan Sissoko, 16 ans, coiffeuse et présidente de l’AEJT. Au Mali, l’âge légal pour travailler est de 15 ans. Une barrière peu respectée.

Opportunités à créer

L’association a un petit local dans une bâtisse du centre-ville de Bamako. Elle y héberge régulièrement des enfants migrants. «Beaucoup transitent à Bamako pour se rendre dans les zones d’orpaillage. Nous les informons des dangers et nous cherchons avec eux une alternative à la migration», explique Assitan Sissoko. Acceptent-ils de revoir leur projet de mobilité? «Certains, très fatigués par leur parcours, veulent retourner dans leur village. Nous regardons avec eux comment les protéger, s’ils peuvent retourner à l’école ou monter un commerce», répond-elle.

Pour la prise en charge des enfants migrants, l’AEJT collabore avec Enda Tiers Monde, membre d’un mécanisme de coopération. Mis en place en 2005 avec l’appui du service social international (SSI), basé à Genève, le Réseau Afrique de l’Ouest regroupe quinze Etats et vise une prise en charge individuelle. «Cette collaboration a mis fin aux simples rapatriements à la frontière. Lorsqu’un enfant est identifié, nous recherchons sa famille et mettons en place un projet de réinsertion», explique Djibril Fall, coordinateur du réseau pour le SSI. Les 6500 enfants suivis (chiffres 2016) ont en moyenne 13 ans: 68% ont été scolarisés, un quart ont reçu une formation professionnelle. «Nous développons les activités génératrices de re-venu. Lorsque l’enfant a des opportunités économiques sur place, il renonce à la migration», note Seckna Bagayoko.

 

Au Nord, prise en charge des enfants victimes de la crise

A Tombouctou, Terre des hommes accueille depuis deux ans les enfants en mobilité dans des «Points espoirs». Plus de 400 adolescents de 13 à 18 ans ont reçu un accompagnement social avec des cours d’alphabétisation, et, pour les plus âgés, une formation professionnelle, dans la coiffure, la couture ou le commerce.

La crise qui sévit depuis 2012 a amené son lot d’enfants dépla-cés. Ils sont venus rejoindre ceux qui travaillent dans l’économie domestique, réputée pour être mieux rémunérée au Nord, carrefour de commerce, que dans la capitale.

«Chaque histoire est diffé-rente. L’un quitte son village de peur d’être enrôlé par un groupe armé, une autre fuira un mariage forcé. Avec le conflit, beaucoup de familles sont éclatées», rap-porte Sidi Bah, responsable de projet à Terre des hommes. «C’est grâce à ce travail en ré-seau que nous pouvons les pren-dre efficacement en charge», relève le coordinateur. SDT

Des travailleuses vulnérables

Dans un quartier aux confins de Bamako, là où les déchets jonchent le sol et les motos zigzaguent entre les trous de la chaussée, des travailleuses do-mestiques sont réunies pour par-ler de leurs conditions de travail. Assises sur des bancs de bois dans une cour où courent des chèvres, celles qu’on appelle les «aides-ménagères» ou les «petites bonnes», racontent leur journée de labeur. Elles assument les tâches courantes de la vie domestique: lessives, préparation des repas, nettoyages, garde d’enfants. «Nous avons une heure de pause l’après-midi», relève Fatoumata, 17 ans.

A Bamako, 100 000 à 150 000 domestiques sont engagées pour un salaire de 7 à 20 francs par mois, selon l’Association de défense des droits des aides ménagères et domestiques, qui milite pour une meilleure réglementation. La plupart sont mineures, les plus jeunes ont 8 ans. Elles viennent des régions rurales du pays et la plupart ne sont pas scolarisées.

«Parfois, nous ne recevons pas nos salaires. Et les patrons retiennent une sommes lorsque nous sommes malades», expli-que Aïssa, 15 ans. La jeune fille, qui travaille à Bamako depuis deux ans, souhaite rentrer dans son village, au centre du pays. «Mais mon père considère que je n’ai pas encore suffisamment gagné», soupire-t-elle.

Les insultes et les coups ne sont pas rares

Mama Djakité, enseignante du quartier, reçoit chez elle les domestiques en conflit avec leur employeur. «Les violences sexuelles, commises au sein des familles où elles travaillent sont fréquentes. Et si une fille contracte une grossesse non désirées, elle est renvoyée sans ménagement», témoigne-t-elle. Les insultes et les coups ne sont pas rares non plus. «Les plus âgées savent se défendre. Mais celles qui ont 9 ou 10 ans sont très vulnérables», relève Adjaratou Doumbia, habitante du quartier. Patiemment, les deux femmes vont à la rencontre des employeurs, pour essayer de changer les mentalités. «Souvent, les filles supportent les maltraitances, parce qu’elles ne veulent surtout pas perdre leur travail», note Mama Djakité.

Fatoumata, elle, est bien décidée à travailler comme domes-tique jusqu’à avoir constitué son «trousseau de mariage», tradition encore vive au Mali. «Cela me prendra peut-être 4 ou 5 ans», estime-t-elle. SDT

«La migration est valorisée»

Au Mali, la première «aventure» consiste à partir de son village pour la capitale ou une région à fort potentiel économique. Des enfants de 8, 12 ou 15 ans quittent leur famille pour éviter de représenter une charge finan-cière et travaillent comme gardien, ouvrier, ou dans l’économie domestique. Avant d’aller toujours plus loin, jusqu’en Europe si l’opportunité se présente. Dans certaines ethnies, la migration fonctionne comme un rite de passage: «Pour être bien vu par la société, il faut partir. Et l’enfant qui arrive à destination est valorisé», note Bréma Ely Dicko, sociologue.

Avec l’épuisement des réserves agricoles sonne l’heure du départ. Le boom du «mobile banking», service financier via téléphone portable, facilite l’envoi d’argent aux familles. Les téléphones et les habits ramenés dans leurs communautés par les enfants migrants ont un effet incitatif, comme les récits d’aventure, où les risques et l’exploitation sont soigneusement évités. «Les enfants s’influencent entre eux et partent en groupe, à l’insu de leur famille», souligne Amadou Diarra, chargé de programme à Enda. Certains épargnent et investissent dans l’élevage. «Au-delà des aspects économiques, les enfants se construisent socialement et apprennent des métiers tout au long de leur parcours migratoire», poursuit Amadou Diarra. Dans la restauration, la mécanique ou le maraîchage, ils rapportent des compétences utiles à la communauté.

Maintenir ces enfants sur les bancs de l’école plutôt que de les voir partir sur les routes migratoires est un défi pour les acteurs locaux: «Lorsqu’ils voient des jeunes qui ont passé le bac et sont sans emploi, ils se disent que l’école n’est pas source de mobilité sociale», constate Bréma Ely Dicko. Pour certains, la migration se prolonge jusqu’à avoir un pécule honorable à présenter au village. Au Mali, Enda sensibilise les communautés aux dangers de la migration par des émissions radio. «L’école est le meilleur rempart contre la migration précoce. Et les adolescents scolarisés sont moins vulnérables que les autres lorsqu’ils migrent», note Hawa Kayentao, chargé de programme à Enda. Pour éviter l’exode des filles qui partent travailler comme domestiques, l’association forme des «pairs», des migrants revenus aux villages, qui tenteront de dissuader leurs camarades de prendre la route. SDT

 

Source: lecourrier

Leave a Reply

Your email address will not be published. Required fields are marked *

Suivez-nous sur Facebook pour ne rien rater de l'actualité malienne
Ecoutez les radios du Mali sur vos mobiles et tablettes
ORTM en direct Finance