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Parlons-nous

La crise politique, sécuritaire et diplomatique du Mali interpelle tout citoyen malien. Cette crise est la conséquence d’une série de coups d’Etat, notamment contre l’ancien Président Ibrahim Boubacar Kéita – IBK – et contre le Président intérimaire Bah N’Daw qui a fortement irrité les partenaires du Mali à commencer par la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest – Cédéao, qui, en l’absence d’une proposition concrète de calendrier électoral, a décidé alors de sanctionner d’abord des dirigeants, puis le Mali dans son ensemble.

 

Ces sanctions, qui se sont traduites par le gel des avoirs du Mali et sa suspension des instances de la Cédéao, ont été très mal reçues par la population malienne, qui estime simplement qu’elles n’auront pas d’effet sur ceux qui dirigent, mais plutôt sur la population déjà meurtrie.

Le gouvernement malien a dénoncé ces sanctions avec une position assez radicale, estimant qu’elles sont illégales et téléguidées par les acteurs extérieurs à notre sous-région. Il a décidé de fermer à son tour les frontières maliennes et de rappeler ses ambassadeurs dans les pays de l’espace Cédéao. Le gouvernement va plus loin et appelle, pour la première fois dans l’histoire du Mali, la population à manifester dans la rue pour protester contre les sanctions citées.

Au cours de cette manifestation, il y a eu des propos forts agressifs contre à la fois la communauté internationale au Mali avec à sa tête la France, des messages de bienvenue à la Russie perçue comme sauveur comme la France il y a 8 ans lorsque le Président Dioncounda Traoré fit appel à son homologue français François Hollande.

La présence russe en appui des forces armées régulières du Mali a irrité les partenaires occidentaux du Mali ainsi que les pays de la Cédéao.

Toutefois, les Maliens justifient cela par leur libre choix de pouvoir travailler avec les partenaires qu’ils souhaitent et aussi par le sentiment d’inefficacité des forces internationales présentes depuis bientôt 10 ans.

Une suite de passe d’armes diplomatique s’est ensuite enchaînée entre le Mali et la France, conduisant à l’expulsion de l’ambassadeur français suivi des forces militaires danoises venues appuyer Takuba. Cela entraîna une frustration généralisée conduisant à la décision de retrait de l’opération Barkhane et à celle de Takuba. Il faut rappeler que les Etats Unis d’Amérique ont été les premiers à suspendre leur coopération militaire avec le Mali.

Le maintien de la Mission de formation de l’Union européenne au Mali (Eutm) qui forme les forces maliennes a été également remis en question par l’Union européenne qui avait prévenu de l’incompatibilité de sa présence aux côtés de forces “non étatiques” Russes au Mali. Elle envisage de dépêcher une mission d’évaluation pour décider de son sort.

Les autorités de la transition ont dénoncé ces mesures, qu’elles ont qualifiées de violations des accords. Les sanctions citées ont rendu le quotidien du citoyen malien de plus en plus difficile avec l’augmentation des prix des denrées de première nécessité. La vie chère s’installe partout, particulièrement en cette période de Covid-19.

La polarisation du débat et la restriction, malheureuse, des espaces de liberté d’expression sont une autre résultante de la gestion de la crise. Elles se traduisent notamment par le fait qu’un nombre important d’acteurs de la société civile, du champ politique, et aussi des professionnels de média s’appliquent une autocensure, afin de ne pas contrevenir aux restrictions imposées. Une série d’arrestations sont suspectées d’être liées à l’expression d’opinions divergentes de celles du pouvoir actuel. Un journaliste de Jeune Afrique a été expulsé et les correspondants de médias internationaux ont été rappelés à l’ordre récemment.

Dans ce contexte, les faîtières des médias maliens se doivent de manifester un engagement à la hauteur de la situation. La liberté d’expression, surtout celle de la presse, et la démocratie ont été obtenues au prix du sang de nombre de nos concitoyens. Sa restriction pourrait entraîner à court terme des conséquences graves.

En effet l’approche contradictoire est l’énergie du dialogue productif, le moteur du développement. Il serait regrettable que toute opinion contradictoire soit vouée aux gémonies et au lynchage sur les réseaux et que leurs auteurs soient qualifiés d’apatrides. En absence de cette contradiction, ne risquons-nous pas de glisser vers la pensée unique ?

Il faut par ailleurs rappeler qu’à la suite des Assises nationales de la Refondation, il y a eu un ensemble de conclusions qui en sont issues, mais qui ont été contestées, car l’organisation et la conduite de ces assises n’ont pas été inclusives si on considère le fait qu’une frange très importante des acteurs politiques et de la société civile n’y ont pas pris part, certains groupes armées signataires des accords pour la paix et la réconciliation non plus. Malgré ces irrégularités, force est de constater qu’à la faveur de la révision de la charte de la transition, les conclusions de ces assises vont devenir une des missions de la nouvelle phase de la transition.

Le Mali se trouve alors aujourd’hui dans une situation inédite d’isolement jamais rencontrée. Les conséquences des sanctions déjà très lourdes pour le pays aggravent ce sentiment d’isolement. Elles doivent être levées dans les meilleurs délais. Nous ne pouvons pas continuer à vivre en vase clos. C’est seulement ensemble qu’on gagne.

Pour y parvenir, le Mali a un besoin urgent de retourner à l’ordre constitutionnel normal et d’aller de l’avant.

Ce retour doit se faire nécessairement à travers l’organisation d’élections transparentes, libres et crédibles.

Il faut un retour à l’ordre constitutionnel normal, car c’est l’état de droit et la démocratie qui doivent prévaloir, non pas l’état d’âme d’individus en dehors de ce cadre.

C’est pourquoi nous estimons qu’organiser les élections dans un délai raisonnable est fondamental. Pour sortir de cette crise, le Président de la transition devrait s’atteler à rassembler les Maliens autour d’un seul objectif, revenir à l’ordre constitutionnel normal par l’organisation de l’élection présidentielle suivant le schéma légal déjà existant.

Ce qui implique que l’organisation des élections doit être confiée à une Céni dont les missions seront revalorisées, à l’Administration territoriale dont la neutralité devra être prouvée et enfin la proclamation définitive des résultats devrait être faite par la Cour constitutionnelle dont les statuts doivent être revus afin d’assurer la sincérité de ses décisions.

L’organisation de la présidentielle permettra de normaliser les relations du Mali aux autres acteurs nationaux et internationaux, ce dont nous avons ardemment besoin.

Notre pays n’a pas besoin de se mettre en marge de la communauté internationale, ni de devenir un paria.

Nous devons fonctionner en intelligence avec le monde pour pouvoir réussir et émerger.

La démocratie n’engendre pas la mauvaise gouvernance et la corruption, qui sont deux fléaux ravageurs résultant du défaut de valeurs d’éthique des individus parvenus au sommet des instances décisionnelles, souvent par népotisme. Ils y parviennent parce que ceux qui en ont le mérite ne sont souvent pas assez ambitieux ou combatifs face à l’adversité, l’injustice et l’immoralité.

Dans la formulation du calendrier devant mener aux élections, il est important d’avoir à l’esprit que les réformes profondes que requiert la refondation sont de la responsabilité d’un Président de la République et d’un parlement qui tirent leur légitimité d’une élection non pas d’un dispositif transitoire qui souffre du déficit de légitimité.

Ce leadership étatique légitimé par des élections crédibles doit s’atteler à l’organisation d’un référendum sur les questions institutionnelles.

Les forces vives de la nation doivent accompagner ce processus au travers de la mise en place par l’Etat d’un cadre multi acteurs permanent dirigé, de manière bénévole, en alternance par les partis et groupements de partis et par la société civile. Le parlement et l’administration devront participer comme membre avec des ressources humaines.

Ce cadre doit être doté d’un comité d’experts dirigé par la société civile et par les partis politiques. Il doit être indépendant de toute emprise de l’exécutif pour protéger sa neutralité.

L’exécutif qui sera issu des élections doit avoir pour priorités : renforcer, moderniser et autonomiser les forces armées et de défenses afin de leur permettre de défendre le territoire national contre des forces armées non conventionnelles et hostiles; renforcer la croissance économique à travers la diversification, l’accroissement de la productivité et du taux d’intégration local et la facilitation du commerce et soutenir le développement social au travers de politiques publiques orientées vers l’inclusion, la répartition équitable des richesses et le renforcement des services sociaux de base.

Cette politique d’inclusion doit s’étendre à une plus grande participation des femmes à la gestion des affaires de la cité. L’implication des jeunes dans l’articulation des politiques publiques les concernant devra être un choix stratégique. Les politiques d’intégration des personnes vivant avec un handicap et les personnes du 3e âge doivent être renforcées.

La conception, l’articulation et l’exécution des politiques publiques doivent s’adosser à une approche de décentralisation poussée des compétences et des ressources ; engager une politique étrangère intelligente et dynamique articulée autour des intérêts stratégiques de notre pays.

Il ne peut y avoir de grande démocratie sans une grande armée républicaine, et une armée ne peut être républicaine que lorsqu’elle respecte les règles de l’Etat de droit et qu’elle accepte d’obéir aux autorités civiles, ces mêmes autorités qu’elle est chargée de protéger.

Il est évident que ces réformes citées doivent se faire sans aucune pression externe. Aucun Etat n’a le droit de donner des leçons à un autre quand il s’agit de définir son avenir. Le Mali n’a pas à subir la volonté d’un autre Etat.

Ainsi, les partenaires internationaux ont tout intérêt à accompagner le Mali en lui apportant leur expertise, les ressources humaines et financières nécessaires pour son essor, plutôt que de lui prescrire sa marche vers son destin.

Evidemment les enjeux liés à la démocratie sont des défis qui nous concernent tous, mais les enjeux liés à notre développement commencent par nous d’abord, car des choses décidées sans nous sont souvent perçues comme contre nous.

Voilà pourquoi nos partenaires doivent lever les sanctions sans délai, car ces sanctions ont des conséquences lourdes sur la population et elles ne feront qu’aggraver une situation déjà tendue.

Le Mali, une fois de retour à l’ordre constitutionnel normal pourra alors raffermir sa démocratie, une démocratie qui ne devrait pas nécessairement être prise comme une démocratie d’élection, mais une démocratie à caractère participatif et soucieuse de la satisfaction des besoins essentiels des populations. Pour que cela soit, les réformes doivent prendre en compte les opinions et les avis des populations depuis la base de notre pyramide jusqu’à son sommet, avec une implication substantielle des autorités des collectivités territoriales. Cela nécessite donc une forte participation citoyenne, faire en sorte que le citoyen joue pleinement son rôle sans être inquiété.

Cela nécessite également de laisser la presse libre de ses paroles et de ses gestes. Évidemment une presse ne peut être considérée comme acceptable que si elle respecte les règles professionnelles d’éthique et de déontologie sans lesquelles elle risque de devenir un outil de déstructuration du tissu social, de l’entente et de la concorde nationales déjà fragilisés par tant d’années de crises inter et intracommunautaires.

Voilà pourquoi la presse a toute sa responsabilité dans ce retour à la normalité et surtout pour la refondation. Une refondation qui pourrait nous permettre finalement d’être une démocratie forte et brillante, une démocratie durable.

Une fois le processus démocratique amélioré et rodé, faire confiance à la population, à la base, sera fondamentale. Car c’est de la base qu’on peut monter vers le haut de la pyramide. Aucune structure aussi brillante qu’elle soit ne peut s’épanouir que si elle est fondée sur des bases solides et les bases de notre nouvelle démocratie doivent partir des collectivités décentralisées. L’on doit tout faire pour qu’elles participent à la conception, à la prise de décisions et à leur exécution et suivi.

Nous devons aussi accepter d’abandonner certains de nos textes ou du moins de les réviser parce qu’ils ne sont plus adaptés au contexte nouveau. Au nombre de ces textes figure l’Accord pour la paix et la réconciliation. En effet, cet accord quoi qu’on dise n’est pas nécessairement consensuel et peut être amélioré à travers sa relecture au Mali, par les maliens et pour les maliens.

Effectivement réduire le Mali à une bipolarité Nord-Sud ne répond pas aux réalités nouvelles. Et c’est cette erreur qui ne cesse de nous diviser or le Mali quel que soit l’endroit où nous sommes, constitue un Mali un et Indivisible. L’unité ne saurait exclure la diversité et justifier l’uniformité. C’est pourquoi nous devons une fois de plus travailler à chérir et à promouvoir la mosaïque culturelle et ethnique de notre peuple; car c’est grâce à elle que finalement le vivre ensemble va avoir tout son sens.

Pour conclure, nous pensons aujourd’hui, plus que jamais, que le Mali devrait agir pour revenir à l’ordre constitutionnel normal pour une démocratie durable et vigoureuse portée par le peuple dans un état de droit.

Tidiani Togola

CEO Tuwindi,

Alexis Kalambry

Directeur de Publication Mali Tribune

Ambassadeur Cheick Sidi Diarra

Diplomate

Source : Le Républicain

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