JUGEMENT. L’ex-commandant ougandais de l’Armée de résistance du Seigneur est jugé devant La Haye pour crimes contre l’humanité et crimes de guerre.
nlevé sur le chemin de l’école par l’Armée de résistance du Seigneur (LRA), Dominic Ongwen, aujourd’hui âgé de 45 ans, a passé près de trente ans au sein de cette sanguinaire milice ougandaise, terrorisant de larges zones d’Afrique centrale avec enlèvements d’enfants, mutilations de civils à grande échelle et asservissements de femmes. Sur le banc des accusés depuis cinq ans, la Cour pénale internationale l’a jugé coupable ce jeudi 4 février de crimes de guerre et crimes contre l’humanité, reconnu coupable de 61 chefs d’accusation, dont celui de grossesse forcée qui n’avait jusqu’à présent jamais été prononcé par La Haye. Quant au fondateur de la LRA, Joseph Kony, il reste introuvable, mais plusieurs autres commandants ont péri ou se sont rendus après avoir été pourchassés pendant des années par des troupes africaines et les forces spéciales américaines.
De victime à bourreau
Selon le tribunal, Dominic Ongwen, à l’allure frêle, a ordonné au début des années 2000 des attaques contre des camps de réfugiés, alors qu’il était l’un des commandants de la LRA, dirigée alors par le fugitif Joseph Kony qui a mené une guerre brutale en Ouganda et dans trois autres pays afin d’établir un État basé sur les dix commandements de la Bible. « Sa culpabilité a été établie au-delà de tout doute raisonnable », a déclaré le président de la cour, Bertram Schmitt, prononçant le verdict à l’encontre de Dominic Ongwen, surnommé la « fourmi blanche », jugé notamment pour meurtre, viol, esclavage sexuel et conscription d’enfants-soldats. En tant que commandant de la brigade Sinia, Dominic Ongwen est également responsable de l’enlèvement de filles afin d’en faire des domestiques et des esclaves sexuelles, ainsi que de garçons qui devaient servir de soldats, ont déclaré les juges. Entre 2002 et 2005, sept femmes ont été forcées à être les « épouses » de Dominic Ongwen, deux d’entre elles donnant naissance à des enfants, ce qui a conduit à une condamnation historique de la CPI pour grossesse forcée.
Dominic Ongwen a nié l’ensemble des accusations « au nom de Dieu » et ses avocats avaient plaidé l’acquittement, soulignant qu’il avait lui-même été victime de la brutalité du groupe rebelle qui l’avait enlevé à l’âge d’environ neuf ans. « La chambre est consciente qu’il a beaucoup souffert », a déclaré le juge Schmitt. « Cependant, il s’agit dans cette affaire de crimes commis par Dominic Ongwen en tant qu’adulte responsable et commandant de l’Armée de résistance du Seigneur. » « La chambre n’a pas trouvé de preuves confirmant l’affirmation de la défense selon laquelle il souffrait d’une maladie mentale ou qu’il avait commis ces crimes sous la contrainte », a déclaré Bertram Schmitt.
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30 ans de terreur en Afrique centrale
La LRA a été créée dans la deuxième partie des années 1980 pour contrer la prise du pouvoir en Ouganda par un autre rebelle, Yoweri Museveni, en 1986. Dans la droite lignée de mouvements armés menés par des leaders spirituels de la tribu Acholi du nord du pays, ses hommes attaquent alors torse nu, le corps enduit d’une lotion huileuse, et en chantant des cantiques. Mélangeant mystique religieuse, techniques éprouvées de guérilla et brutalité sanguinaire, Joseph Kony souhaitait libérer l’Ouganda de Museveni pour instaurer un régime fondé sur les Dix Commandements. Il a, par la suite, ajouté un onzième commandement interdisant de rouler en vélo, sous peine d’amputation. Lorsque les Acholi refusent de rejoindre sa rébellion, Joseph Kony se retourne contre eux, attaquant des civils, kidnappant des femmes et enfants, et massacrant des villages entiers. L’enlèvement est d’ailleurs devenu une des marques de fabrique de la LRA, qui a transformé, après les avoir kidnappés, des dizaines de milliers de garçonnets en soldats dociles, à l’image de Dominic Ongwen, et de fillettes en esclaves sexuelles.
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La LRA et la CPI
En 2005, la CPI a délivré des mandats d’arrêt contre cinq leaders de la LRA, dont Joseph Kony et Dominic Ongwen, les accusant de crimes de guerre et crimes contre l’humanité. La pression internationale provoquée par la CPI a contribué à la participation de Joseph Kony, l’année suivante, à des pourparlers de paix, qui ont toutefois échoué. Les mandats d’arrêt de 2005 étaient les premiers délivrés par la CPI, entrée en fonction en 2003 à La Haye, et qui enquêtait en Ouganda à la demande de Kampala. Selon l’ONU, la LRA a tué plus de 100 000 personnes en 25 ans, enlevé entre 60 000 et 100 000 enfants et provoqué le déplacement de 2,5 millions de personnes.
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La LRA dans le viseur des États-Unis
À la suite d’une campagne menée par des activistes aux États-Unis, le président américain Barack Obama a autorisé en 2010 le déploiement de quelque 100 membres des forces spéciales américaines devant travailler avec les armées régionales pour traquer Joseph Kony. Un des groupes d’activistes, Invisible Children, a publié en 2012 une vidéo dénonçant les activités de la LRA et de leur chef. Vue plus de 100 millions de fois sur Internet en quelques jours, la vidéo est devenue virale, mais a aussi été fortement critiquée pour sa version simpliste des conflits dans la région. En 2017, l’armée américaine a annoncé mettre un terme à ses opérations contre la LRA, estimant que la rébellion ne constituait plus une menace. La même année, l’Ouganda abandonnait à son tour la traque des derniers combattants de la LRA pour les mêmes raisons. La LRA ne prospère plus et semble tout juste survivre. Les rebelles de la LRA ne sont plus que quelques centaines, dispersés en République démocratique du Congo, en République centrafricaine, au Soudan du Sud et au Soudan. Les États-Unis et l’Union africaine ont placé la LRA et Joseph Kony sur la liste des « terroristes mondiaux », même si la menace est désormais locale et limitée. Selon l’organisation Crisis Tracker, la LRA a été responsable d’un meurtre et de 169 enlèvements en 2020 lors d’attaques contre des villages reculés proches des frontières congolaise, centrafricaine et sud-soudanaise. La localisation exacte de Joseph Kony demeure inconnue.
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« Enfin, la justice a été rendue »
À Lukodi (Ouganda), théâtre d’un des massacres, des survivants, comme Mohammed Olanya qui a vu « 15 membres de (sa) famille tués lors de l’attaque », des victimes et d’anciens combattants rebelles ont suivi l’audience sur un poste de radio fourni par un dirigeant local, avant de laisser éclater leur joie à l’annonce du verdict. « Bien ! » a crié Angelina Okiror, une habitante de Lukodi de 38 ans. « Enfin, la justice a été rendue », s’est félicitée Ann Maria Angwech, 43 ans. « Parce qu’Ongwen a tué, il mérite la mort, parce que de sa main il a emporté des vies innocentes et laisse les survivants dans la misère », a-t-elle estimé. Human Rights Watch a salué un verdict « historique ». Dominic Ongwen s’était rendu début 2015 aux forces spéciales américaines qui traquaient Joseph Kony en République centrafricaine, avant d’être transféré à la CPI. La Cour doit prononcer sa peine à une date ultérieure. Il encourt la perpétuité.
Par Le Point Afrique