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Ouattara, Sassou Nguesso, Mohammed VI… Macron et les chefs d’Etats africains : Il est urgent que la France et l’Afrique réinventent leur relation. L’édito de Michel Taube

Imaginez le défilé du 14 juillet 2024 et les 53 chefs d’Etats africains assis au côté du président Emmanuel Macron et saluant les troupes françaises et celles de leurs pays.

Entre la realpolitik et des utopies africaines, entre les résidus de la Françafrique et des sociétés civiles bouillonantes et si jeunes, le coeur (et les intérêts) de la France balance !

Depuis qu’il a accédé à l’Elysée, Macron l’Africain a commis des erreurs qui ont contribué, il faut oser le dire, à attiser le sentiment anti-français sur le continent africain. Ces fautes furent d’autant plus stratégiques qu’elles concernèrent la relation du président de la République à ses homologues africains.

Du show de Ouagadougou en novembre 2017 où il humilia en public un chef d’Etat, – un aîné -, devant sa propre jeunesse, jusqu’à la suppression des Sommets France – Afrique au niveau des chefs d’Etat, Emmanuel Macron s’est coupé d’une relation de confiance, directe et collective avec ses homologues africains. Grave erreur !

La pire des décisions a vraiment été de renoncer à la tenue des Sommets France – Afrique au niveau des chefs d’Etat. Pendant ce temps, les Etats-Unis, l’Inde, le Japon, la Russie, la Chine multiplaient les rencontres au plus haut niveau, Emmanuel Macron organisant de pseudo-Sommets… avec de pseudo-sociétés civiles, comme l’humiliante rencontre de Montpellier en 2021.

Le président français a aussi voulu jouer les chevaliers blancs, parié sur les sociétés civiles contre les gouvernants, pris des élites françaises des diasporas africaines pour les porte-paroles de l’Afrique (alors qu’elles étaient plus préoccupées par leurs propres affaires et étaient totalement déconnectées des réalités africaines).

Enfin, à des moments cruciaux, Emmanuel Macron a annoncé des décisions stratégiques souvent de façon non concertée avec ses homologues africains, manifestant des sautes d’humeur froides qui ont perturubé la donne de notre présence en Afrique.

On l’oublie un peu vite, mais le début de notre désengagement militaire du G5 Sahel a été décidé, sans concertation, par le chef de l’Etat français. Il avait annoncé le 9 juin 2021, à la surprise générale et en marge d’une conférence de presse sur un tout autre sujet (le G7 de 2021 qui allait se tenir au Royaume Uni), “la fin de l’opération Barklhane” et le début de retrait des troupes françaises. La convocation manu militari du Sommet de Pau du G5 Sahel le 13 janvier 2021, au lendemain de la mort tragique de 13 soldats français, avait déjà fort déplu dans les capitales africaines.

Au passage, les milliards d’euros prévus dans le volet développement du G5 Sahel ont été allègrement détournés par un pouvoir corrompu, celui d’IBK, au Mali. La France aurait dû taper du point sur la table avant même qu’un coup d’Etat ne vienne rectifier les choses en notre défaveur.

 

Que faire pour surmonter cette fragilisation de la France en Afrique ? Il est urgent que la France renoue au plus haut sommet une relation de confiance collective et continentale avec l’Afrique.

Oui, mais avec quels chefs d’Etat commencer cette réconciliation ?

Tout d’abord, il est temps de revenir à un réalisme géopolitique qui permettra à la France de retrouver sa place dans le concert des nations africaines.

Cette realpolitik, elle consiste tout d’abord à ne pas se mettre à dos systématiquement les auteurs de coups d’Etats.

Nous nous sommes offusqués un peu vite des putschs militaires au Niger et au Gabon : rappelons que les coups d’Etat politiques (le syndrome du troisième mandat) et militaires font partie du mode de gouvernance à l’africaine. Près de 230 coups d’Etat ont secoué l’Afrique depuis 1950… 110 d’entre eux ont réussi !

Aujourd’hui à la tête de la CEDAO, de la CEMAC et plus largement de l’Union Africaine, des chefs d’Etats en exercice ont eux même été souvent des putschistes ou des hommes de guerre devenus des éléphants africains.

Ainsi va la gouvernance en Afrique et la France n’a pas vocation à changer l’Afrique.

Par exemple, au Niger, la France a fait preuve de trop de zèle pour condamner la prise du pouvoir par des militaires. La sur-réaction d’Emmanuel Macron au coup d’Etat (récemment réitérée par Sébastien Lecornu, ministre de la défense), presque plus vindicatif que la CEDEAO elle-même, n’aide pas à consolider l’avenir de notre présence au Niger..

Et pour tout dire, comme l’expliquent des personnalités aussi diverses que l’ancien premier ministre du Niger, leader de l’oppostion, Hama Amadou, dans un entretien exclusif dans nos colonnes et qui a eu un fort écho en Afrique (leader qui est rentré cette nuit-même à Niamey, après deux ans d’exil forcé), ou l’excellent Renaud Girard dans Le Figaro, rien ne serait pire qu’une intervention française au Niger pour déloger les putschistes et rétablir Monsieur Bazoum.

La chute d’Ali Bongo au Gabon est, somme toute, un salutaire petit tremblement de terre qui permet aux plaques tectoniques qui travailent la société gabonaise de se remettre d’équerre. Espérons que Paris aidera Brice Oligui Nguema, le nouvel homme fort du Gabon, à préparer la transition démocratique.

Pourquoi au fond la France, qui se veut de surcroît proche des sociétés civiles africaines, n’accompagnerait-elle pas ces transitions, ces nouveaux pouvoirs, espérons provisoires, vers des élections plus libres, vers une alternance des pouvoirs, plutôt que de menacer d’interventions militaires hasardeuses ?

La rencontre aujourd’hui même entre Emmanuel Macron et Faustin-Archange Touadéra, président de la Centrafrique, certes aussi en tant que facilitateur de la Communauté économique des États d’Afrique centrale (CEEAC) et président de la CEMAC, augurerait-elle d’une prise de conscience plus réaliste à l’Elysée ? Voué aux gémonies depuis qu’il a sollicité l’appui de la Russie et de Wagner, le nouvel homme fort de Bangui (rééligible à vie depuis le référendum constitutionnel du 30 juillet 2023) serait-il de nouveau fréquentable à Paris ?

 

Mais l’essentiel de notre propos est pour maintenant : la France aurait dû, pourrait encore, miser sur les régimes et les dirigeants les plus stables et influents d’Afrique.

Dans le concert des 53 nations africaines, quelques hommes jouent un rôle de parrain, d’anciens, de sages et de médiateurs dans les conflits qui secouent souvent l’Afrique. Ces trois hommes sont en plus francophiles. Leur relation à la France peut se résumer ainsi : un grand “je t’aime moi non plus”. Leur passion de la France ne s’arrête pas aux soubresauts de leurs différends avec les chefs d’Etat français.

Alassane Ouattara en Côte d’Ivoire, Denis Sassou Nguesso au Congo Brazzaville – qui nous avait reçu le 26 janvier 2023, Mohammed VI au Maroc (notamment comme Commandeur des croyants), sont des piliers de l’Afrique stable, des acteurs clé pour aider à endiguer la montée de l’islamisme radical, le réchauffement et le déréglement climatiques, l’explosion démographique qui rend ingouvernables leurs populations, la corruption endémique et les conflits inter-régionaux comme la Libye.

Pourquoi cela marche mieux dans ces trois Etats ?  Le ruissellement des richesses, des savoirs et des pouvoirs d’agir, des avancées concrètes sur le plan social et économique, y sont observées. A Brazzaville, il se dit qu’une grande loi sociale serait en préparation.

Les Africains ont aussi besoin de patrons bâtisseurs comme Denis Sassou Nguesso, Alassane Ouattara et Mohammed VI. Nous aurions pu citer d’autres chefs d’Etat comme au Togo, Faure Gnassingbé.

 

Que doit faire la France ?

Certes, il nous faut prendre de la hauteur, renouer avec des élites africaines intègres, se retirer progressivement militairement et miser davantage sur les partenariats économiques, agricoles, environnementaux, industriels, sportifs, culturels avec les leaders les plus intègres de ces pays.

Mais surtout Emmanuel Macron devrait “profiter” de cette période de turbulences pour renouer avec les chefs d’Etats africains.

La tenue du 26 au 28 octobre du Sommet des trois bassins des écosystèmes de biodiviersité des forêts tropicales à Brazzaville serait une occasion d’une telle reconquête.

Avant une invitation lancée au 53 chefs d’Etat à un nouveau Sommet Afrique – France ?

 

Michel Taube

opinion

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