Reportage
La base aérienne projetée de Niamey est le porte-avions de l’opération Barkhane dans le Sahel. Depuis la capitale du Niger, les Français surveillent l’ensemble du théâtre où ils interviennent, frappent les groupes djihadistes, tout en protégeant le repli des troupes et du matériel du Mali.
Ils cherchent et frappent l’ennemi dans l’immensité du désert, le regard fixé pendant des heures sur un large écran. Dans ce voyage immobile qui caractérise le pilotage d’un avion à distance, l’équipage d’un drone Reaper engagé dans la guerre menée par la France dans le Sahel vole à 20 000 pieds (6 096 m), ausculte la surface minérale pendant des heures, épie silencieusement les villes et les villages sous l’œil précis des optiques sophistiquées de l’engin autonome. Le voici concentré sur un mouvement suspect, étudiant les habitudes d’une katiba (une unité de combattants djihadistes), analysant ici les images d’un rassemblement, surveillant là un déplacement, se renseignant ailleurs sur un attroupement.
Les quatre pilotes sans nom (tout juste des prénoms) de ce Reaper en vol sont, en quelque sorte, les anges gardiens des convois et des interventions au sol, semant le feu et l’effroi parmi les terroristes. Ils sont enfermés dans des caissons blindés et insonorisés de la base française de Niamey.
Dans la capitale du Niger où près d’un millier de militaires tricolores sont positionnés, le quartier réservé aux drones de la force Barkhane – cinq Reaper achetés aux Américains – ne paie pas de mine. Des hangars, des abris en kit se succèdent et se mélangent derrière des murs de protection et des sacs de sable sous un soleil à la verticale et une température extérieure de 45 °C. Rien n’indique que ce quartier est devenu, au fil des années, le lieu le plus redouté de la lutte anti-djihadiste conduite par Paris dans la bande sahélo-saharienne (BSS). Avec ses Reaper et ses cinq Mirage 2000, la « composante chasse » de Niamey est bien le bouclier et le glaive de Barkhane.
Des dangers qui hantent les militaires
Pressée par l’Élysée de quitter au plus vite le Mali, chassée par Bamako de ce pays qu’elle a libéré en 2013 de l’emprise djihadiste, l’armée française plie bagage en veillant à assurer la sécurité de ses troupes. Ce repli – une simple « réarticulation » dans la langue des communicants – doit s’achever d’ici à la fin du mois d’août.
Le calendrier est très court, les militaires le savent mais ne le disent pas. Du moins, pas publiquement : « Nous aurions préféré plus de temps, une planification moins serrée. Mais le politique fixe les objectifs, nous nous mettons en ordre pour les atteindre », confie un officier supérieur dans la base française.
Or, rien de plus vulnérable et de plus exposé pour une armée que de se retirer, qui plus est dans un environnement aussi hostile que le Sahel, où les distances sont considérables, le climat impitoyable, le soutien de la population aléatoire et les groupes armés déterminés. Ces derniers, eux, sont parfaitement adaptés à cet environnement exigeant.
La liste des dangers encourus par les Français lors de cette « réarticulation » ne cesse de hanter les militaires de la BSS : explosifs disséminés le long des voies empruntées par les convois, embuscades préparées ou opportunes, instrumentalisation de la foule pour pousser les Français à la faute. Comme à Tera (dans le sud-ouest du Niger), en novembre 2021.
« C’est un épisode sensible », convient un militaire : une manifestation organisée pour s’opposer au passage d’un convoi de Barkhane a conduit les soldats français à ouvrir le feu. Bilan : trois Nigériens tués, des dizaines de blessés. Des tirs de sommation qui ont ricoché ? Des tirs directs ? La tragédie de Tera n’a pas fini d’empoisonner la présence française au Niger, où exceptionnellement, aucun drapeau tricolore ne flotte sur les emprises militaires de Barkhane.
Ses soldats doivent-ils craindre d’autres épisodes de ce type ? Plus d’une quarantaine de convois sont prévus pour acheminer à Niamey le matériel issu des deux dernières bases françaises au Mali, à Gao et Ménaka. Les plus importants convois comptent jusqu’à cent véhicules : un tiers assurant la protection et deux tiers le fret des marchandises.
Le Tchad, un pilier qui s’effrite
Depuis leur engagement en 2013, jamais les Français n’ont été dans une position aussi délicate et explosive dans cette région en pleine mutation. Leur divorce d’avec Bamako en annonce-t-il d’autres ? Tout le monde y pense, beaucoup le craignent au sein de l’opération Barkhane. Les manifestations antifrançaises ne cessent de se multiplier dans le Sahel jusqu’au Tchad, le pilier historique sur lequel repose sa présence militaire.
Or, la base de ce pilier s’effrite elle-même depuis la mort d’Idriss Déby, l’homme que Paris a contribué à installer au pouvoir en 1990, tué sur le front en avril 2021. Elle vacille sous les coups répétés des mercenaires de la société russe Wagner, dont l’un des objectifs est de chasser la France de ce qui lui reste de son ancien « pré carré africain ».
Éviter un effet Saïgon et Kaboul
Les forces tricolores sont contraintes de s’adapter à la nouvelle donne géopolitique du Sahel avec un méta-objectif fixé par l’Élysée, jamais dit mais toujours présent à l’esprit : tout faire pour éviter l’effet Saïgon et, depuis le 15 août 2021, l’effet Kaboul. Autrement dit, pas de retrait catastrophique, comme ceux de l’armée américaine du Vietnam dans les années 1970 et, plus récemment, d’Afghanistan.
À bien écouter l’exécutif français, il n’envisage pas de quitter militairement le Sahel. Et encore moins l’Afrique de l’Ouest dans ce moment où la région paraît rongée par l’hydre djihadiste et mafieuse (narcotrafiquants, commerce illégal, trafic des humains). La doxa gaullienne est toujours en vigueur à l’Élysée : sans l’Afrique, la France perdrait son rang sur la scène internationale.
Rester donc, mais comment ? « Les gens n’imaginent pas à quel point nous avons l’intention de changer notre façon de faire, répond le général Laurent Michon, le commandant de Barkhane de passage à Niamey. Nous nous mettons en position de soutenir les différentes capitales africaines qui le souhaitent à travers la coopération et la formation, en y engageant 2 500 hommes.Et nous ouvrons la porte à tous les pays européens qui souhaitent s’engager dans ce soutien. » Autrement dit, il ne s’agit plus d’être le fer de lance ni la tête de pont de la lutte anti-djihadiste, mais d’être, à l’image des Reaper pour Barkhane, les anges gardiens des forces africaines.
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94 sorties de drones Reaper en mai
La base aérienne projetée de l’opération Barkhane est située depuis 2013 à l’aéroport international Diori Hamani de Niamey, la capitale du Niger.
Les drones Reaper de la force Barkhane sont armés depuis 2019.
Pour le seul mois mai 2022, le détachement Reaper de la base de Niamey a assuré 94 sorties. Les avions de chasse ont effectué 110 sorties, et le détachement d’avions ravitailleurs et de transport, 316 sorties.
Lors de la dernière semaine de mai, les soldats de Barkhane ont tué une dizaine de djihadistes.
Source: .la-croix.com