Les 17 et 18 janvier 2020, sept chefs d’États africains se sont retrouvés à Lomé en vue de la signature d’un accord-cadre portant sur la création d’une législation pour criminaliser le trafic de faux médicaments, en plus de l’intégration des pays présents aux accords internationaux déjà existants – dont la Convention Médicrime – et le renforcement des services de détection et de répression. Le Mali, de son côté, se hâte lentement, alors que faire barrage au trafic de faux médicaments mobilise désormais les Etats africains, au même titre que la lutte contre le trafic de drogue.
Les deux dernières années, les pays africains en général et ceux de l’Afrique de l’ouest en particulier, ont sonné le tocsin de la lutte contre le trafic de faux médicaments. C’est ainsi que des opérations d’envergure ont été menées dans certains pays et il en résulte un démantèlement de plaques tournantes de ce trafic illicite, notamment au Bénin, plus précisément au marché Adjégounlè de Cotonou, où d’importantes quantités de faux médicaments ont été saisies. Elles venaient du Nigeria, pays qui est reproché d’abriter de véritables laboratoires clandestins de fabrication de faux médicaments, disséminés ensuite dans toute l’Afrique de l’ouest.
Entre juin 2018 et juin 2019, les services de sécurité du Togo ont saisi à Lomé près de 67 tonnes de produits pharmaceutiques contrefaits, qui ont été ensuite brûlés. Et au mois de novembre de l’année dernière, 200 tonnes de faux médicaments ont été saisies à Abidjan par la gendarmerie ivoirienne et quatre suspects, dont un ressortissant chinois, ont été alpagués.
Au Sénégal, suite à des pressions exercées par l’Ordre des pharmaciens qui en avait marre de subir une concurrence illégale devenue de plus en plus agressive et impunie, les autorités ont finalement engagé une grande opération de démantèlement des réseaux de trafic de médicaments. C’est ainsi que des quantités impressionnantes ont été saisies dans des entrepôts entre Dakar et la ville sainte de Touba où se trouvaient établis les plus gros dealers de médicaments.
Ces quelques exemples donnent une idée sur l’ampleur du phénomène. Selon l’Organisation mondiale de la Santé (Oms) 42 % des “produits médicaux de qualité inférieure ou falsifiés” découverts depuis 2013, l’ont été en Afrique. Dans certains États, on estime même que les médicaments contrefaits représentent 30 à 60 % des produits médicaux.
Une situation aux conséquences désastreuses pour l’Afrique car ces produits peuvent être très nocifs, voire mortels car, toujours d’après l’Oms, ils seraient responsables de plus de 100 000 morts par an sur le continent africain. Il y a quelques années, le Niger a été victime de ce trafic de faux médicaments pour avoir fait face à une épidémie de méningite avec des vaccins contrefaits.
Le trafic de médicaments est juteux et il suffit de se parcourir les rues de Bamako pour s’en rendre compte car les produits qui devaient être exposés dans des conditions idéales des rayons de pharmacie sont abandonnés à d’autres rayons, ceux du soleil qui ont un effet néfaste sur les médicaments. Les médicaments se vendent partout et dans n’importe quelle condition. S’agit-il d’ailleurs de bons médicaments !
La plupart des antipaludéens, antibiotiques et antidouleurs vendus hors pharmacies sont des produits de contrefaçon. Le Mali qui n’est donc pas épargné par le trafic illicite de médicaments. Pourtant Bamako n’est ni dans L’Initiative de Lomé ni dans Médicrime. Alors que le Mali a toujours été à l’avant-garde des combats en matière de santé publique, plus précisément, en matière d’accès des populations aux médicaments. C’est tellement vrai que c’est à Bamako que fut signée la célèbre Initiative de Bamako, relative à l’usage des génériques et qui a tant de succès.
En signant “L’initiative de Lomé”, les sept chefs d’Etat africains présents dans la capitale togolaise les 17 et 18 janvier dernier, aux côtés de Tedros Adhanom Ghebreyesus, directeur général de l’Organisation mondiale de la santé (Oms) ont voulu donner un coup d’accélérateur à la lutte contre le trafic de médicaments, après avoir pris conscience de l’ampleur du phénomène qui nécessite une mise en commun des efforts dans un cadre législatif suffisamment répressif et dissuasif.
Les signataires de cette opération sont : les présidents Denis Sassou Nguesso (Congo), Macky Sall (Sénégal), Nana Akufo-Ado (Ghana), Adama Barrow (Gambie), Yoweri Museveni (l’Ouganda) et Mahamadou Issoufou (Niger) et Faure Gnassingbé (Togo).
Il faut retenir qu’au plan international, le trafic de faux médicaments est très lucratif et cette manne financière profite à des circuits de commerce informel, dont la plupart, 60 % d’après l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (Onudc), sont basés en Chine. Le reste se trouve niché entre l’Inde, le Paraguay, le Pakistan, le Royaume-Uni.
C’est d’ailleurs pour mieux lutter contre ce trafic illicite de médicaments que le Conseil de l’Europe a élaboré Médicrime, une convention internationale qui “constitue, pour la première fois, un instrument juridique contraignant dans le domaine du droit pénal en criminalisant la contrefaçon, mais aussi la fabrication et la distribution de produits médicaux mis sur le marché sans autorisation ou en violation des normes de sécurité”, comme le précise ce texte qui est “ouvert à la signature de tous les États ayant un intérêt à travailler avec le Conseil de l’Europe sur ce sujet vital”.
La convention Médicrime introduit des sanctions pénales et des mesures de prévention et de protection des victimes. Elle offre également un cadre de coopération internationale et des mesures destinées à améliorer la coordination à l’échelon national.
La force de la Convention Médicrime, outre qu’elle s’est donnée une vocation mondiale, c’est qu’elle érige en infraction certains actes, y compris la complicité et la tentative de commission d’une contrefaçon, mais également elle met en place des mesures de prévention et de protection des victimes.
Notons aussi que la Convention Médicrime s’applique à tous les produits médicaux : les médicaments à usage humain et vétérinaires ; les dispositifs médicaux (destinés à des fins diagnostiques et thérapeutiques) ; les diverses substances actives, excipients, éléments ou matériaux qui les composent ; que ces produits médicaux soient ou non protégés par des droits de propriété intellectuelle ou qu’ils soient ou non des produits génériques.
Il faut préciser aussi que la Convention s’applique également pour les infractions similaires qui recouvrent la fabrication, le stockage, le trafic et l’offre de vente de produits médicaux passant délibérément outre le contrôle des autorités médicales.
Presque tous les Etats voisins du Mali ont déjà adhéré à cette convention, en attendant que le Ministère des Affaires étrangères veuille bien prendre conscience de l’importance de ce dossier afin de le présenter à la ratification par l’Assemblée nationale.
Amadou Bamba NIANG
Source: Aujourd’hui-Mali