Au nom de l’équilibre économique et financier du service public de l’électricité, suite à l’étude sur la restructuration de sa dette conduite par la Banque mondiale, à la demande du Gouvernement, EDM a revu à la hausse ses tarifs de vente de l’électricité, excepté les tarifs de la basse tension (catégorie sociale et normale). Une mesure qui met l’Organisation patronale des industriels du Mali (OPI) dans une colère noire. Et pour cause.
Par une lettre laconique de deux petits paragraphes, en date du 24 juillet 2019, la Commission de Régulation de l’Électricité et de l’Eau (CREE) transmettait au Directeur général de la société Énergie du Mali SA une copie de la Directive portant fixation des tarifs de l’électricité applicables à compter du 1er août 2019. Il s’agir de LA DIRECTIVE N° 19-001/C-CREE DU 23 JUILLET 2019 PORTANT FIXATION DES TARIFS DE L’ÉLECTRICITÉ APPLICABLES À COMPTER DU 1er AOUT 2019. Ce qui est à l’origine de la levée de boucliers des industriels de notre pays. Cela pour deux raisons.
L’aberration
La première, c’est que cette mesure viole un accord avec l’UNTM relativement à la réduction des tarifs de l’électricité, de l’eau, du téléphone. Il y a donc une remise en cause d’un acquis syndical qui représente la pire des aberrations que puisse commettre un partenaire social.
La seconde, depuis le mois d’avril (et ça continue de plus belle), la continuité et la qualité du service public de l’électricité laissent fortement à désirer. Ce que CREE reconnaît dans son exposé des faits : ‘’considérant que le secteur de l’électricité connaît de nombreux dysfonctionnements qui affectent la continuité et la qualité du service’’. Aussi absurde que cela puisse paraître, c’est en plein délestage où les industries tournent au ralenti, entrainant d’importants manques à gagner, en raison de l’incapacité avérée d’EDM à satisfaire la demande d’électricité que la société doit mettre en application une Directive portant fixation de nouveaux tarifs de l’électricité révisés à la hausse. Ce, quand bien même elle confesse elle-même cette incapacité notable dans son exposé des faits : ‘’considérant que ces dysfonctionnements sont la conséquence d’une forte augmentation de la demande dans un contexte de limitation de l’offre et d’une forte hausse des charges opérationnelles, en particulier des charges de combustibles pour la production de l’électricité’’.
Une opération louche
Par ailleurs, c’est la CREE elle-même qui donne les arguments mettant à nu la gestion calamiteuse de la société Energie du Mali SA. Elle dit en effet dans son exposé des faits : ‘’considérant que la mesure la plus importante pour le rétablissement de l’équilibre du secteur de l’électricité est la modification du mix énergétique par l’élimination de la location des groupes, la réduction de la production thermique nationale, l’augmentation de la production d’énergies renouvelables (hydroélectricité, solaire et éolienne), et l’accroissement des importations de l’électricité à moindre coût à partir des pays voisins’’.
Sans y avoir pris garde, la CREE étale au grand jour une des plus grandes arnaques à son niveau : la location de groupes électrogènes. Sous le prétexte de l’incapacité de EDM de supporter les charges, elle sous-traite à des sociétés créées uniquement pour faire profit dans cette activité très lucrative. Mais, ne s’agit-il pas de sociétés écran ? Ne s’agit-il pas de EDM qui vend l’électricité à EDM par des moyens détournés ? De nombreuses sources répondent par l’affirmative. Une vérification des services compétents s’impose à ce niveau. Selon des sources dignes de foi, le montant de ses dettes s’élevait à 537 millions $ en mars 2018, un montant prévu pour s’accroître d’environ 350 millions $, au terme de l’exercice 2018. En août 2019, elle a réglé à hauteur de 90 milliards de francs CFA (153 millions $), les sommes dues aux principaux fournisseurs d’électricité.
La patate chaude
Au nom de l’équilibre économique et financier du service public de l’électricité, ce sont les usagers qui devraient payer cette dette par le truchement d’une augmentation des tarifs de l’électricité. Parce que, comme le dit la CREE :’’que dans ce cadre le Gouvernement du Mali a apporté un soutien important au secteur à travers l’attribution de subventions pour faire face aux charges d’exploitation et assurer la viabilité économique et financière de la commercialisation de l’énergie électrique par EDM-SA dans le périmètre de sa concession ;
Que l’incidence de ce soutien sur les finances publiques est de plus en plus forte ;
Considérant que le Gouvernement envisage à l’avenir d’éliminer l’attribution des subventions d’exploitation…’’ Ainsi, EDM, submergée par ses dettes, veut refiler aux usagers sa patate chaude incognito.
Des impératifs inconciliables
La CREE démasque également EDM par cet exposé : ’’considérant que l’innovation technique introduite à travers la mise en service des compteurs à prépaiement a eu un impact positif sur la trésorerie de l’opérateur tout en permettant aux clients de mieux maîtriser leurs consommations d’électricité’’. Contrairement à ce qu’elle prétend, le service à prépaiement n’est pas une innovation au Mali. C’est un vieux projet qui a été volontairement entravé pour des raisons que seuls les responsables de EDM savent. Jusqu’à preuve du contraire, l’obtention d’un compteur prépayé relève du parcours du combattant. La bonne santé de la trésorerie est-elle réellement un souci de l’opérateur ?
En réalité, par cette mesure controversée, il s’agit d’allier deux impératifs : le maintien des pratiques douteuses et la satisfaction des exigences de la Banque mondiale. Pour cela, la CREE édicte :
‘’Article 1 : Les tarifs de vente de l’électricité sont arrêtés conformément aux grilles tarifaires E1, E2, E3, E4, E5 annexées à la présente Directive
Article 2 : Les tarifs de la basse tension (catégorie sociale et normale) n’ont pas changé et restent maintenus à leur niveau de 2014.
Les tarifs de la moyenne tension (monôme et binôme horaire) et ceux de la première tranche (basse tension) de l’éclairage public sont augmentés de 3,16%, taux calculé en application de la formule d’indexation sur la base de l’IHPC (Indice Harmonisé des Prix à la Consommation).’’
En somme, la présente Directive est une violation flagrante de l’article 4 de l’Ordonnance n° 00-019/P-RM du 15 mars 2000 portant création et organisation de la CREE, selon lequel ‘’il est assigné à celle-ci, entre autres missions, de veiller à l’équilibre du secteur, d’assurer le développement des services publics concédés et de défendre les intérêts des usagers’’. Il est évident que les intérêts des usagers sont ignorés ici.
À cela, il faut ajouter qu’elle foule du pied les recommandations du Livre blanc de l’OPI.
Comment peut-on, dans ces conditions, faire de l’industrie l’un des moteurs du développement, en sachant qu’aucun pays ne se développe sans industrialisation ?
PAR BERTIN DAKOUO
Info Matin