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«Nous sommes devenus un jouet entre les forces armées» : à Gossi, la population otage de la guerre informationnelle entre Wagner et Barkhane

Tandis que l’armée malienne accuse la France d’«espionnage» pour avoir, à l’aide d’un drone, déjoué une tentative de désinformation des mercenaires russes, les habitants du nord Mali cherchent leurs morts et se résignent à un climat de peur.

Le croissant de la lune a été aperçu dans le ciel malien. Le gouvernement malien a décrété le 30 avril la fin du Ramadan, et donné le coup d’envoi pour l’Aïd. Mais dans la famille d’Alhassan*, à Gossi, le cœur n’est pas à la fête. Depuis la révélation de l’existence d’un charnier par une double vidéo, l’une des mercenaires de Wagner accusant Barkhane, l’autre des forces françaises dénonçant un coup monté, le Malien n’a plus de nouvelles de ses deux cousins. Font-ils partie de ces corps à demi enterrés sous le sable, autour desquels s’affairent sur les images des soldats blancs non identifiés ?
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«La question nous hante», glisse Alhassan. Côté malien, l’armée a taxé Barkhane de «subversion» et de «provocation». L’utilisation d’un drone pour filmer la scène est également qualifiée d’«espionnage». La dureté de ton est inédite, mais quid des corps ? Affirmant d’abord qu’il s’agissait de «fausses images montées de toutes pièces», le ministère de la Défense, le même jour, ouvre une enquête. Entre ces versions contradictoires, la population est prise en étau. «Nous constatons juste qu’il y a un divorce entre Barkhane et les FAMA, et que tous les coups sont permis. Pour le reste, nous sommes dans l’incertitude totale», confie Alhassan.

Les longues distances et le réseau défaillant font le reste. Au cœur du Sahara, l’information ne circule pas, ou mal. Lorsque, le 17 avril, Barkhane arrête six suspects à quelques encablures, des bergers, dont un vieil homme, et ses deux fils, la veille de son départ, la nouvelle se répand comme une traînée de poudre. S’agit-il des corps retrouvés ensuite dans le charnier ? La rumeur ne cessera qu’à leur libération une semaine plus tard, mais la démarche passe mal de la part d’une armée censée être sur le départ. «Toutes les forces étrangères, qu’elles soient russes ou françaises, sont nocives, commente un membre de la société civile sur les réseaux sociaux. Tant qu’il y aura plusieurs forces, nos populations resteront maltraitées et les auteurs inconnus».

Yacouba* a, lui, une autre hypothèse. Ce Malien était à la foire de Hombori, ville voisine, le 19 avril. «Pour m’approvisionner, comme toutes les semaines», raconte-t-il. Le jour même, les FAMA et leurs supplétifs russes font irruption. Un véhicule de leur cortège explose. Dans cette zone minée à forte présence djihadiste, tout villageois est considéré comme suspect. Ils ouvrent le feu, triste réminiscence de la tuerie de Moura, quelques semaines plus tôt, au centre du Mali. «Certaines personnes sont mortes sur le coup, d’autres ont été libérées, après avoir été torturées. Mais d’autres manquent encore», raconte Yacouba.

Quand il a vu le convoi de l’armée malienne repartir vers Gossi, le lendemain tôt, le jeune homme a saisi son téléphone et appelé tous les gens qu’il connaissait dans les villages et sur la route, pour les avertir de se mettre à l’abri. «Il y a seulement quatre heures de route jusqu’à Gossi, mais ils sont arrivés à 18h seulement. Qu’est-ce qu’ils ont fait entre-temps ? Ils ont arrêté et transporté des gens en cours de route, c’est sûr», croit savoir le Malien.

Si la Minusma s’est dite inquiète sur les exactions à Hombori, l’armée malienne est, elle, restée coite. Yacouba, diplômé de l’université de Bamako, a pris lui-même l’initiative avec plusieurs proches de recenser les disparus. «Chaque jour, quelqu’un m’appelle pour me dire : j’ai tel frère dont je n’ai pas de nouvelles, tel oncle», raconte-t-il. Une trentaine de noms y figurent déjà. Une autre liste, établie par les villageois alentours, compte les morts et blessés. Avec cet appel pressant en bas de page : «Ces informations sont à vérifier. Nous voulons des compléments au cas où vous en aurez ! C’est ainsi que nous avancerons». «On cherche, on cherche encore les disparus, mais tout porte à croire que ces corps sont les gens disparus à Hombori», répète Yacouba.

« On craint beaucoup plus Wagner que les terroristes, en réalité. Les terroristes, eux, ne sont jamais venus décimer un marché ».

Yacouba*, habitant de Gossi
En réalité, le jeune homme a du mal à croire à la responsabilité de Barkhane. «Je ne peux pas dire si c’est telle ou telle armée qui l’a fait. Mais, personnellement, je vais accuser la partie qui prend le parti d’ignorer, et dit que ça n’existe pas, tranche-t-il. Barkhane est là depuis 2013. S’ils avaient fait des massacres, il n’y aurait plus personne dans la zone». Une opinion que partage Abdoulaye*, un berger de la région. «Je pense que si Barkhane avait commis de telles exactions, il aurait pris le temps de mieux cacher les victimes. Et les soldats entretenaient de très bonnes relations avec la population de Gossi».

Après le départ des derniers soldats français de la base, voilà deux semaines, la population s’attend à une période difficile. Le marché hebdomadaire de Hombori et celui de Gossi sont fermés, jusqu’à nouvel ordre. «On vit dans la peur. On craint beaucoup plus Wagner que les terroristes, en réalité. Les terroristes, eux, ne sont jamais venus décimer un marché, confie Yacouba. Ce qui fait mal dans ces massacres-là, c’est que nous, la population, sommes devenus un jouet entre les forces : les terroristes, d’un côté, les armées de l’autre côté. C’est vraiment indigne. Ma colère est grande».

Source : Le Figaro

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