Quelle est la position de la population malienne et de la classe politique sur l’intervention militaire étrangère au Mali, notamment française?
Présentée comme une libération, cette intervention militaire française au Mali avait été favorablement accueillie par une opinion publique et une classe politique qui ignorait les enjeux géopolitiques et géostratégiques qu’elle cachait. Il faut reconnaître qu’il y avait un véritable matraquage politique et idéologique sans précédent qui n’a laissé place à aucune réflexion collective, ni analyse des causes profondes de la grave crise (politique, institutionnelle et sécuritaire) dans laquelle le Mali était plongé. Ni même une démarche autonome de solution qui préserve l’indépendance et la souveraineté du Mali. Les quelques rares voix critiques contre cette intervention militaire française qui se faisaient entendre étaient systématiquement combattues et réduites au silence. Le Parti SADI, le Mouvement Populaire du 22 mars, la Coordination des Organisations Patriotiques du Mali (COPAM) et certains intellectuels progressistes de la société civile qui mettaient en doute les intentions réelles de la France au point d’exiger un débat national démocratique pour connaitre les causes profondes du désastre que le pays a connu étaient considérés comme des «pro-putschistes».
On dit également que derrière cette présence étrangère, il y a la formation de notre armée qui doit aller vers plus de professionnalisme?
Ces programmes s’inscrivent-t-ils dans une vision stratégique qui rend non nécessaire la présence de ces formateurs et des troupes étrangères au fur et à mesure que nos Forces Armées et de Sécurité monteront en puissance? Quel est leur contenu? Quels seront les équipements mis à la disposition de notre Armée par l’Union Européenne, la France et l’Allemagne pour lutter efficacement contre le terrorisme, sécuriser nos frontières nationales? Ces équipements seront livrés à quelle condition? S’agit-il de mettre le Mali dans une situation d’endettement qui hypothèque à jamais son indépendance et sa souveraineté? Et comment articuler de façon cohérente ces programmes de formation EUTM avec les engagements pris par les nouvelles autorités maliennes qui veulent mettre de gros efforts dans la formation, le recrutement, l’équipement, le réarmement moral et psychologique de notre armée?
à l’occasion de la fête de l’armée malienne, le 20 janvier 2014, le Président de la République a promis de s’engager sur des bases consensuelles avec les citoyens Maliens réunis au sein des organisations de la société civile, des partis politiques et des syndicats en faisant des reformes structurelles pour assainir et organiser l’environnement de notre sécurité. Il souhaite ramener l’outil de défense à une taille malienne qui réponde à nos besoins pressants de reconquête totale et de contrôle souverain du territoire. Selon lui, ce sera sur la base d’efforts sur fond propre de l’Etat pour permettre aux troupes en conjonction ou seules de relever les défis sécuritaires. Il souligne également que le gouvernement va corriger les disfonctionnements majeurs qui ont gangrené les Forces Armées en changeant son corpus doctrinal, proposant sa réorganisation opérationnelle pour une meilleure instruction et une préparation des forces conformément aux normes de la bonne gouvernance.
Ces programmes de formation ne doivent pas entraver les actions du Gouvernement malien à diversifier le partenariat avec d’autres pays comme la Russie et la Chine qui s’intéressent à lui tout en permettant de garder sa marge de manœuvre. C’est-à-dire, d’avoir le contrôle politique de la guerre qui se déroule sur son sol contre l’occupation jihadiste. Si les autorités parviennent à discerner les intérêts du pays derrière ces programmes de formation, si le contenu est discuté de façon collégiale pour parvenir à une convergence sur des objectifs stratégiques immédiats et lointains, alors ces formations doivent être poursuivies. Mais l’absence d’informations et de débats sur cette question ne nous permet pas d’avoir une opinion définitive.
La volonté affirmée du Président Ibrahima Boubacar Keita de construire une armée digne de ce nom dans la transparence nous permettra de voir clairement la nature de ces formations de l’Union Européenne et d’en faire une évaluation objective. La nouvelle Assemblée Nationale doit éclairer davantage l’opinion nationale sur cette question extrêmement sensible. Ce sera l’un des enjeux majeurs des batailles qui s’annoncent dans le Parlement.
Quelle est la position du parti SADI face à la situation politique actuelle?
Le Parti SADI a conscience du danger que représente une présence prolongée de l’opération Serval et de la MINUSMA sur notre sol. Une présence prolongée de ces forces internationales provoquerait inévitablement la partition du Mali. Face à la situation, il est urgent aujourd’hui de constituer un front patriotique de résistance pour sauver le Mali. De nos jours, l’enjeu essentiel et fondamental demeure la question de la souveraineté, de l’ingérence et de la mainmise étrangères sur notre pays.
Notre premier objectif est de constituer un front patriotique pour résister et sortir de cette situation. Celui qui détient ce levier de mobilisation et de constitution de ce front patriotique et investi de la légitimité populaire est incontestablement le Président de la République, Ibrahim Boubacar Keita. Il doit prendre cette initiative historique capitale et décisive pour l’avenir de notre pays. Sa première tâche est d’éclaircir ses concitoyens sur les conditions d’intervention de la France au Mali et les limites de celle-ci.
Cette démarche du Président de la République doit être appuyée par l’Assemblée Nationale à travers la Commission Défense. Celle-ci doit dépêcher une mission d’enquête parlementaire à Kidal et à Tessalit (composée de la majorité et de l’opposition) pour savoir qu’est-ce qui se passe. Quelle est la réalité de l’occupation française de la base de Tessalit? Pourquoi le MNLA continue-t-il à narguer notre peuple? Quelle est aujourd’hui le point des négociations avec les groupes armés? Quel est le contenu des fameux accords de défense qui existeraient entre le Mali et la France? Le Parti SADI souhaite des informations publiques sur toutes ces questions qui touchent la souveraineté de notre pays.
La France a décidé d’occuper en permanence notre pays et d’y garder l’initiative politique pour le règlement de la crise du Nord. J’ai appris que le coût de l’opération Serval au Mali est estimé à 647 millions d’euros. Le budget 2013 du ministère français de la défense prévoyait 630 millions d’euros pour les opérations extérieures alors qu’en 2013 la consommation réelle de crédits est de 1,25 milliards d’euros. Pour cette année 2014, la loi de finance initiale est de 450 millions d’euros alors que la France reste toujours au Mali et qu’elle vient de s’engager dans l’opération Sangaris en Centrafrique.
Les 450 millions d’euros font partie de la loi de programmation militaire 2014-2018. Le montant nécessaire qui s’ajoutera durant l’année fera l’objet d’un financement interministériel. La France actionne l’Union Européenne pour deux objectifs stratégiques majeurs : d’une part, amoindrir le coût financier de sa présence et d’autre part lui permettre de tenir son rang de puissance moyenne et de lui éviter un déclin. L’Afrique, de par sa richesse, constitue le terrain idéal pour la France d’arriver à cette fin.
Il suffit de voir clairement le coût des forces pré positionnées à Djibouti, à Libreville et à Dakar évalué à 400 millions d’euros. Celui des opérations extérieures sur notre continent est de l’ordre de 900 millions d’euros dont 65 millions en Côte-d’Ivoire, 107 millions au Tchad, 26 millions en océan indien, 22 millions en Centrafrique, 700 millions au Mali sur un budget consacré aux opérations extérieures variant entre 800 millions et un milliard d’euros. Exactement comme en 2011 et il le sera probablement en 2013 au vu de l’opération Serval qui se poursuit. On voit ainsi les intentions réelles des autorités françaises qui sont en train d’élaborer une stratégie régionale de contrôle et de mainmise totale de notre économie et de notre société. Il devient alors urgent de poursuivre la mobilisation et l’information de l’opinion publique nationale. Il est également très important de placer la question de notre armée au centre des débats sur notre avenir en tant que Nation.
Propos recueillis par Bréhima Coulibaly