Davantage que les sanctions de la CEDEAO, c’est la transition qui préoccupe et retient l’attention de la majorité des Maliens, ceux qui rêvent déjà de lendemains qui chantent, qui voient déjà leur quotidien s’illuminer et prendre les couleurs de l’arc en ciel. Effets pervers d’une vie de privations et d’espoirs toujours déçus mais sans cesse renouvelés, sans doute.
Quelle transition après IBK ? Majoritairement militaire ou civile ? Transition équilibrée entre dirigeants militaires et civils ? Quels critères de choix pour la composition de l’équipe gouvernementale : cadres militaires compétents ou membres du CNSP ? Technocrates civils apolitiques ou chefs de partis ayant contribué à l’animation du M5/RFP ? Quelle durée pour la transition? Quelles priorités pour la nouvelle autorité nationale ?
Telles sont, entre autres, les questions qui taraudent les esprits des Maliens, pas toujours enclins à l’analyse distancée. En ces temps d’incertitudes et d’oisiveté imposée par les conjonctures, les bureaux, les Grins, les milieux d’affaires et les marchés tentent, avec plus ou moins de discernement, de démêler les fils de ce nouvel écheveau.
Pendant ce temps, les deux principaux protagonistes, le Comité National pour le Salut du Peuple (CNSP, qui a mis fin à l’improbable dialogue IBK-Opposition) et le Mouvement du 5 Juin-Rassemblement des Forces Patriotiques (M5/RFP, qui a impulsé le mouvement de contestation du régime IBK) jouent au chat et à la souris, sans que l’on puisse déterminer le chasseur et la proie.
Mercredi dernier, jour de leur première rencontre formelle, les deux équipes ne sont pas allées au-delà des formules de politesse et de l’expression de leur commune volonté de travailler pour une transition réussie.
L’on peut, toutefois, avancer, sans trop risquer de se tromper, que chaque camp est plutôt absorbé dans des calculs visant à s’assurer le leadership de la nomenklatura qui se profile.
L’attentisme marqué par les jeunes putschistes (qui pourrait être le signe d’une certaine prudence) semble plutôt dicté par la volonté de déjouer les tentatives de phagocytage des contestataires de l’ex-Chef d’Etat.
Les véritables intentions devraient toutefois transparaitre lors des discussions à venir autour du document du projet de refondation annoncé par Choguel K. Maïga à l’issue de la réunion de prise de contact.
A l’occasion, de la confrontation des thèses des deux entités sur le format, la durée et les changements fondamentaux devant être menés par la Transition devraient émerger leurs visions communes et divergentes.
Si les premières paraissent faciles à gérer, il en ira autrement des points de désaccord et de friction. Ces derniers pourraient-ils avoir un impact sur la mise en place des instruments de la Transition ? Ces divergences ne vont-elles conduire à la cristallisation et au durcissement des positions affichées ?
Si tel devait être le cas, notre pays courrait le risque de voir ternie l’image d’un « Coup » d’une rare civilité (au point de le rendre suspect), de voir resurgir les démons des manifestations populaires opposant sympathisants des militaires (dont les affidés de l’ex président de la République) et ceux du M5/RFP.
Les deux camps, qui se sont déjà affichés en Champions de la reconstruction nationale, porteraient ainsi les lourdes responsabilités d’une déconfiture nationale, doublée d’une déconsidération certaine au plan international, au moment où nous assistons à un retour progressif à la tolérance des partenaires pour la nouvelle situation créée par la « démission suscitée ou forcée d’IBK ».
Le CNSP et le M5/RFP devraient tenir compte du fait que la tendance générale au double plan national et international est à une Transition de durée modérée, variant entre 12 et 16 mois.
Ce qui équivaut à un rejet d’une longue Transition et, par conséquent, du projet de refondation du Mali, porté par le M5, qui ressortirait plutôt d’un programme de Gouvernement. Vouloir s’accrocher à ce projet de refondation, c’est courir le risque de relancer les suspicions de l’opinion nationale pour d’éventuelles arrière pensées alimentaires. Comme c’est souvent le cas au cours des transitions africaines.
Jeunes loups militaires et vieux briscards politiciens devraient nous épargner cette désagréable épreuve. D’autant qu’elle pourrait nous faire regretter (à Dieu ne plaise !) l’ancien régime. Dont les nombreuses prévarications ont pu rendre les Maliens nostalgiques de GMT.
Avec les représentants des organisations de la Société civile, le CNSP et le M5/RFP devraient s’atteler à s’accorder sur l’essentiel (largement exprimé par l’opinion nationale et les intellectuels) pour engager, dans les meilleures conditions, le pays dans une Transition, qui crédibiliserait le formidable mouvement social qui a bouté IBK hors du Pouvoir et, surtout, nous réconcilierait avec nos partenaires, sans l’aide desquels, il nous serait quasiment illusoire de rebondir.
Dans cette exigence de « se hâter doucement », il nous parait raisonnable de s’inspirer des suggestions de l’ex-Premier ministre, Moussa Mara qui fixe une Transition de seize mois et un Gouvernement restreint de vingt membres.
A moins que les appétits inassouvis ou nouveaux des uns et des autres ne puissent se satisfaire d’un tel schéma…
Mamadou Kouyaté
koumaté3@gmail.com