Pendant que l’attention et tous les efforts sont orientés vers l’Accord de paix, plus précisément dans sa composante « Autorités intérimaires », l’avenir du Mali se joue à Kidal où la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA) et le Groupe d’autodéfense touareg Imghad et alliés (Gatia) sont engagés dans des combats meurtriers à l’arme lourde pour le contrôle de la capitale de l’Adrar des Iforas et l’ensemble de la région. Cette lutte sans merci entre frères d’hier tourne aujourd’hui à l’avantage des combattants du Gatia qui assiègent Kidal. A tout moment, « ça peut péter » avec les conséquences que nul ne peut imaginer. Pour parer à une telle éventualité, on négocie. Jeudi dernier, en effet, un avion de la Minusma a amené des responsables de la CMA à Bamako où des négociations sont ouvertes depuis vendredi entre les deux belligérants, la Plateforme, l’Etat et la Médiation. Ces négociations vont-elles aboutir à une solution définitive sur le cas Kidal ? Rien n’est moins sûr au vu de multiples facteurs qui mettent plusieurs intérêts en jeu. En fait, le vrai problème de Kidal aujourd’hui, c’est le Hcua (une branche d’Ançardine de Iyad Ag Ghali) qui joue sur trois tableaux : faire de Kidal « sa propriété privée », continuer à parlementer avec l’Etat, et faire chemin avec les terroristes. Dans l’un ou l’autre cas, Kidal s’érige en vache laitière pour Alghabass Ag Intallah et ses hommes. Gamou et le Gatia disent Non à cette duplicité du Hcua. D’où le risque d’enlisement des combats de Kidal qui évoluent dangereusement vers un conflit communautaire entre Ifoghas et Imghad, actuellement en pourparlers à Bamako.
Alghabass Ag Intallah, colonel Hassane Fagaga, Brahim Ould Sadati, Inawilan Ag Ahmed, Mossa Ag Charatmane, tous responsables de la CMA, sont à Bamako depuis le jeudi 11 août. Ils ont rallié la capitale à bord d’un avion affrété par la Minusma. La raison de leur séjour ? Les négociations avec le Gatia sur la situation à Kidal où des combats opposent ces derniers temps leurs combattants à ceux du Groupe d’autodéfense touareg Imghad et alliés.
Dans ces pourparlers, ouverts en principe vendredi dernier, Alghabass et ses hommes auront en face les responsables du Gatia, notamment El Hadj Gamou et Fahad Ag Almahmoud, ainsi que les représentants de l’Etat, de la Plateforme et de la Médiation.
Que se passe-t-il à Kidal pour nécessiter de drainer un tel aréopage d’acteurs autour de la Médiation ? Rappel.
La CMA et le Gatia s’étaient affronté les 21 et 22 juillet derniers dans la ville de Kidal, à l’arme lourde.
Les deux camps avaient remis ça le 30 juillet à une quarantaine de kilomètres à l’est de la ville.
Le 31 juillet, la Minusma annonce avoir mis en place un « dispositif d’interposition pour éviter des combats » à Kidal, ainsi qu’un « dispositif d’observation » pour contrôler les accès à la ville et éviter ces combats, qui viennent à nouveau violer le cessez-le-feu accepté par la CMA et la Plateforme dans le cadre de l’Accord pour la paix et la réconciliation de mai-juin 2015.
Avec cette assurance de la Mission onusienne, l’on pensait les armes rangées pour de bon. Mais, à la surprise générale, de nouveaux combats ont éclaté mardi dernier entre les deux camps. Ce sont les combattants de la CMA, à bord d’une longue colonne de véhicules (entre 40 et 80) qui sont allés attaquer les positions du Gatia à 65 km de Kidal. La riposte fut brutale, et même très brutale. Bilan provisoire très lourd. On avance 30 morts du côté de la CMA, plus 7 véhicules calcinés et 3 véhicules abandonnés. La Plateforme perd 2 hommes et des blessés.
Comment cette attaque du 9 août a-t-elle pu se faire ? Le dispositif d’interposition de la Minusma est mis en cause. Le secrétaire général du Gatia, Fahad Ag Almahmoud, interrogé par notre confrère Jeune Afrique, pointe du doigt la Mission de l’ONU au Mali qui avait pourtant donné toutes les garanties données ; or les combats se sont dérouler à Edjarer, assez loin de Kidal pour qu’une file de plus de 50 véhicules ne passent inaperçue. « La Minusma nous a invités à ne pas rentrer dans la ville de Kidal et a garanti qu’elle ne laisserait pas les autres s’organiser pour nous attaquer », a-t-il dit.
Sur le sujet, le gouvernement malien avait indiqué dans un communiqué suivre avec « une vive préoccupation » ces affrontements. Il « condamne la reprise des hostilités » et demande aux belligérants « d’y mettre fin dans l’intérêt supérieur des populations ». Il estime que « la situation créée par la reprise des hostilités constitue une menace grave pour la mise en œuvre de l’accord ».
Le triple jeu du Hcua
Depuis cet épisode, le Gatia a mis la vitesse supérieure, assiégeant Kidal, plongeant la CMA dans la terreur. C’est dans cette atmosphère que furent initiées les négociations, en cours à Bamako. Nous en revenons à la question: les négociations de Bamako vont-elles aboutir ?
Les grands analystes et vrais connaisseurs de la géopolitique de Kidal et de la nature des composantes de la CMA en doutent. Car, il est établi que le véritable problème de Kidal aujourd’hui n’est ni plus ni moins que la CMA, particulièrement le Hcua (Haut conseil de l’unité de l’Azawad), parce que le Mnla semble mort de sa belle mort. Pourquoi ?
Ce mouvement, sorti des entrailles d’Ançardine sous l’autorité de Alghabass Ag Intallah, joue à un triple jeu.
Primo, dans ses rapports avec l’Etat malien, le Hcua est pour l’Accord de paix. Tous les discours tenus à Bamako prônent la paix, la réconciliation, le retour de l’administration à Kidal, l’unicité du Mali. Avec ce langage, les responsables du mouvement soutirent l’argent à l’Etat, à l’image de ces 400 millions débloqués par le trésor pour l’organisation d’un forum à Kidal, mais qui n’a jamais eu aucun impact sur le processus de paix. Le Hcua filoute Koulouba et la Primature.
Secundo, à Kidal, le Hcua demeure toujours ce mouvement indépendantiste qui ne parle jamais du Mali aux populations de la ville et même de la région. Pour preuve, le drapeau malien et aucun symbole de l’Etat n’existent sur le territoire contrôlé par les rebelles du Hcua. C’est le drapeau de l’Azawad qui flotte aujourd’hui à Kidal dont les enfants de 10 ans (ceux qui avaient 5 ans au moment du coup d’Etat de mars 2012) n’ont peut-être jamais entendu le nom MALI.
Tertio, il est de notoriété quasiment publique que le Hcua est avec les autres mouvements terroristes et djihadistes comme Aqmi, Al Mourabitoune et le Mujao. Car, c’est Iyad Ag Ghali qui tire les ficelles. L’ex rebelle, devenu djihadiste, reste donc présent dans le processus de paix au Mali sans avoir signé l’Accord de paix.
Cette triple configuration fait comprendre que le Hcua ne voudra jamais du règlement du problème de Kidal. D’où son hostilité à la mise en place des Autorités intérimaires et du MOC (Mécanisme opérationnel de coordination). Il pense que le Gatia lui met les bâtons dans les roues.
Donc, la guerre actuelle de Kidal est un conflit entre les Ifoghas (Hcua) et les Imghads (Gatia). C’est ça le fond du problème de Kidal. Et l’Accord de paix ne pourra jamais être appliqué tant que ne sera réglé cette guerre de positionnement et d’intérêt entre Ifoghas et Imghads, à savoir la gestion socioéconomique et sécuritaire de la zone. En clair, les autres composantes des natifs de Kidal veulent être associées à cette gestion qui reste aux mains des Ifoghas.
Il s’agira donc, au cours des négociations en cours à Bamako, de convenir de l’ « implication équitable de toutes les communautés dans la gestion de Kidal ». Il faut surtout la présence effective de l’Etat…
CH Sylla
Source : L’ Aube