Première femme et première africaine portée à la tête de l’Organisation mondiale du Commerce (OMC), Ngozi Okonjo-Iweala a pris fonction le 1er mars dernier. Désormais installée au cœur de la Genève internationale, elle entame sous mandat dans un contexte difficile et devra faire face à de nombreux défis dont la pandémie de Covid-19 n’est pas le moindre.
Désignée par consensus le 15 février 2021 lors d’une session spéciale du Conseil général de l’OMC, elle sera la septième à occuper ce poste, six mois après la démission en août 2020, pour convenances personnelles, du Brésilien Roberto Azevêdo.
Dr Ngozi a bénéficié en sus de son parcours impressionnant, d’une dynamique consensuelle mondiale. Sa nomination a en effet été saluée par la plupart des dirigeants de grandes institutions internationales, qu’il s’agisse de la Commission de l’Union africaine, de la Commission européenne, ou encore de la nouvelle administration américaine dirigée par le tout nouveau président des États-Unis Joe Biden. Ce dernier s’est très rapidement impliqué dans le choix définitif concernant le poste de directeur général de l’OMC, d’abord en levant le veto sur la candidature de la Nigériane avant d’annoncer que Washington apportait à celle-ci son « ferme soutien ».
Il s’agit d’un « moment historique », a réagi dans un tweet la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen, elle-même première femme à diriger l’Exécutif européen. Côté africain, les réactions ont été quasi unanimes. Ainsi, le président de la Commission de l’Union africaine Moussa Faki Mahamat a « félicité chaleureusement » la nouvelle directrice générale, insistant au passage sur l’appui que son institution a eu à réserver à la candidature d’une économiste chevronnée, qui a été deux fois ministre des Finances puis cheffe de la diplomatie du Nigéria.
Au Centre William Rappard -siège de l’Organisation, c’est un ouf de soulagement après de longs mois d’attente, sans capitaine depuis le départ anticipé de Roberto Azevêdo. Un vent d’espoir semble désormais souffler sur les bords du lac Léman. Espoir, notamment d’un changement de cap, pour remettre l’institution sur les rails après plusieurs années de blocage, et ce du fait d’une administration américaine qui, sous Donald Trump, n’a eu de cesse de discréditer, voire décrédibiliser l’instance multilatérale que représente l’OMC.
C’est dire que Dr Okonjo-Iweala a du pain sur la planche. Car les enjeux sont multiples. Mais, lucide, elle semble avoir pris la mesure des difficultés qui l’attendent en reconnaissant dès sa nomination que l’institution est confrontée à des défis majeurs, dans un contexte marqué par une pandémie de Covid-19 dont les effets se feront ressentir sur l’économie mondiale. Si on ajoute à cela d’autres problèmes structurels, à un moment où le multilatéralisme est rudement mis à mal, on peut imaginer le travail colossal qui attend la nouvelle patronne.
FOCUS SUR LES NOUVEAUX CHANTIERS
En déclinant son programme à l’occasion d’une conférence de presse virtuelle organisée dans la foulée de son élection, Okonjo-Iweala a égrené ses priorités, non sans insister sur sa volonté de travailler en parfait accord avec les Membres de l’OMC qui l’ont élue. Elle compte s’attaquer rapidement aux conséquences économiques et sanitaires de la Covid-19, insistant du coup sur le rôle que son Organisation est appelée à jouer dans la lutte contre cette pandémie qui continue à sévir dans le monde.
Forte de l’expérience acquise pendant de nombreuses années à la tête de l’Alliance mondiale pour les vaccins (GAVI), elle veut mettre à profit son expertise pour permettre à l’OMC de contribuer davantage à la résolution de la crise sanitaire, notamment en aidant à améliorer l’accès des pays les moins nantis aux vaccins. Objectif immédiat, faire en sorte que les vaccins ne soient plus une « propriété exclusive » des pays riches, mais au contraire qu’ils soient distribués de manière équitable, partout dans le monde. Le Dr Ngozi s’est dit par ailleurs favorable à ce que l’OMC s’implique davantage dans le soutien au mécanisme COVAX mis au point par l’OMS en coopération avec des partenaires internationaux au premier rang desquels l’Union européenne, principal bailleur. Il s’agit d’une initiative certes, dont l’efficacité tarde à se manifester auprès des cibles concernées (92 pays à revenu faible et intermédiaire), mais qui s’inscrit dans le cadre d’un ambitieux plan de riposte au niveau mondial face à la pandémie. Élargir l‘accès aux vaccins à d’autres régions du monde, en particulier en Afrique, constitue donc une priorité majeure pour Okonjo-Iweala. Qui met en garde contre ce « nationalisme vaccinal » qui semble caractériser les pays riches au détriment du reste de la population mondiale.
Et c’est pour pallier aux effets pervers liés à ces pratiques « protectionnistes » dans le domaine de la production et de la distribution des vaccins que Dr Ngozi planche pour un assouplissement des règles de l’OMC en matière de propriété intellectuelle. Le sujet est depuis un certain temps en cours de discussion au sein de l’institution, et aurait comme issue entre autres de permettre à ce qu’un nombre plus important de fabricants de médicaments puissent produire des vaccins. D’où l’idée d’une « troisième voie », un concept qu’elle a lancé et qui concerne notamment le volet approbation des licences de fabrication des vaccins.
Parmi les autres « urgences » dans le viseur de la nouvelle directrice générale figure : la nécessité de réformer le mécanisme de règlement des différends (sorte de cour d’appel de l’OMC), objet d’attaques parfois virulentes de la part des États-Unis, plus particulièrement sous l’administration Trump. Il s’agit là d’une question cruciale restée pendante depuis longtemps au niveau des instances de décision à l’OMC et qui cristallise des divisions parmi les pays Membres. Dans le contexte de la réforme de l’organisation, il ne serait pas étonnant que ce point soit parmi les sujets de fond que les ministres du Commerce devraient aborder lors de la prochaine conférence ministérielle (MC 12) prévue vers la fin 2021. La préparation de cette Ministérielle semble figurer en bonne place dans l’agenda de l’OMC. Et Okonjo-Iweala compte faire de ce premier grand rendez-vous un « franc succès ».
Autres chantiers prioritaires : le développement du commerce électronique ; le renforcement de l’initiative. Aide pour le commerce –un des programmes-phares lancé par l’OMC ; mais aussi et surtout les négociations sur les subventions à la pêche. Celles-ci durent depuis deux décennies et sont sources de nombreuses disparités. Pour Dr Ngozi les choses ne peuvent plus durer : « il est temps de conclure ces négociations ».
Et l’Afrique dans tout cela ?
La question a été évoquée au cours de la conférence de presse en ligne organisée le 15 février dernier : le dossier coton sera parmi les priorités de la nouvelle cheffe de l’OMC. Au grand bonheur de millions d’agriculteurs, en particulier ceux des pays de l’Afrique de l’Ouest à l’origine de l’initiative sectorielle en faveur du coton, et qui sont réunis autour de la plateforme C4 (en anglais Cotton 4). Il s’agit, pour rappel, du Bénin, du Burkina Faso, du Mali et du Tchad.
« Le coton c’est la vie », a-t-on coutume d’entendre dans un pays comme le Burkina Faso où la culture du coton représente près de 10% du produit intérieur brut (PIB). Principale source de revenus, l’or blanc est aussi un gros pourvoyeur d’emplois pour des populations en Afrique vivant dans les zones rurales et souvent très isolées.
Les cotonculteurs africains se battent depuis plusieurs années, occupant très souvent les devants de l’actualité pour rappeler le rôle central de ce produit dans leur développement endogène. Leur combat, relayé par des ONG’s du Nord comme du Sud, a été porté dans toutes les enceintes ministérielles de l’OMC, de Doha à Nairobi en passant par Cancun et Hong Kong. L’OMC ainsi que la FAO ne sont pas restées insensibles à leurs préoccupations d’où d’ailleurs, l’initiative prise depuis quelques années d’instaurer une Journée mondiale sur le coton -occasion de diverses manifestations au siège, avec la participation de nombreux experts en provenance notamment de l’Afrique.
Le secteur coton est justement un domaine, parmi tant d’autres dans lesquels on pourrait loger les attentes de la part des Africains, face à ce fait inédit dans l’histoire de l’OMC : ce souffle puissant qui a porté une femme originaire du continent africain à la plus haute marche d’une organisation réputée être le « gendarme du commerce mondial » et qui n’a pas toujours prêté une oreille attentive aux problèmes spécifiques à l’Afrique.
D’où les questions qui commencent à fuser de toutes parts : Okonjo-Iweala l’Africaine, sera-t-elle plus disposée à l’écoute que tous ses prédécesseurs ? Aura-t-elle un regard plus bienveillant sur les aspects touchant directement au développement du continent africain ? Quelle place et quelles priorités pour une Afrique jusqu’ici marginalisée dans le commerce mondial, et quelles solutions à envisager? Une chose est en tout cas sûre : sur les questions africaines, il est difficile d’imaginer que Dr Ngozi fasse moins que ceux qui l’ont précédée à cette fonction. C’est du moins le sentiment qui prévaut au sein du Groupe des Ambassadeurs africains à Genève.
L’espoir est donc permis, même si en l’occurrence la prudence s’impose, en sachant que le directeur général (ou la directrice générale) d’une institution forte de 164 membres reste tributaire de décisions prises par consensus entre les gouvernements, et n’a pas toujours la marge de manœuvre qui sied pour faire comme il (ou elle) voudrait.
In fine : ce serait déjà un signal fort si d’aventure Dr Ngozi, avec l’équipe qui l’entoure, pouvait dès l’entame de son mandat impulser une nouvelle dynamique en soutenant par exemple les efforts en Afrique dans la bataille engagée notamment par les dirigeants africains et la société civile africaine pour venir à bout de cette pandémie de Covid-19. Elle semble être sur cette trajectoire, si l’on en juge par les mesures avancées durant ses premiers jours de travail. Il faudra sans doute attendre les prochaines semaines, sinon au cours des 4 années à venir, pour trouver les réponses appropriées face aux interrogations émanant du continent africain.
Source: Le Combat