L’idée de se mettre face à des tueurs aux armes fumantes, pour parler du drame que vivent frères et sœurs ne peut que perturber. En panne de solution à la crise persistante, notre microcosme politico-religieux rumine cependant deux postures distinctes.
L’armée nationale, renforcée de troupes sous régionales et adossée à la puissance de feu internationale, est mise en échec par l’Assaillant. Doit-on persister dans une guerre ubuesque, une guerre sous traitée, dont nous ignorons toutes les connexions ?
2 / Après Obandansago, Dioura, Indelimane, Boulkessy , Mondoro etc que peut-on attendre de ces tueurs impénitents ?
Il en résulte ces deux questions : – Faut-il abandonner la patrie à la chienlit ?
– Peut-on négocier avec le diable ? Plutôt que de négocier dans l’incertitude, discutons vaillamment, dans la rectitude et dans le bon esprit du Dialogue National Inclusif.
Qui sommes-nous donc pour refuser les discussions, quand la voix, l’une des plus nobles, des plus illustres et des plus saines de la planète, a tracé cette voie utile pour l’humanité ?
Le Messie de la paix en personne traça ce chemin de dignité. Jésus (PSL), nous guident les Ecritures, accepta quarante jours de tète à tète avec ce qu’il y a de plus diabolique sur terre, Satan soi même : quarante jours pour tester et imposer la force du bien sur le mal, quarante jours pour atténuer les ardeurs sataniques de ce destructeur atroce (Evangile selon Luc ch 4 )
Allons-nous refuser de discuter avec Iyad et Kufa, nos frères révoltés et égarés, mais nos frères quand même ?
Discuter de quoi, si ce n’est la place du droit musulman dans notre société actuelle. Quelle place devra ou pourra être celle du Cadi dans le Mali d’aujourd’hui?.
Question épineuse mais lancinante : différents gouvernements ont trébuché sur le sujet, en douceur ou avec secousses.
La deuxième République avec hardiesse et foi avait brandit un grand Projet de tribunaux islamiques pour toutes les régions du pays, aux fins de s’affranchir de la pesanteur du système de justice en place. En cela elle ne voulait que ressusciter ou renégocier deux Accords signés par la 1ere République avec le partenaire saoudien des 1965, des accords qui furent d’application quasi impossible : le Mali socialiste n’avait pas que des amis dans un monde en guerre froide. Il était contré un peu partout. L’un des deux accords signés portait sur la recherche pétrolière pour un montant de cinq millions de dollars ; et l’autre, d’un montant de un million deux cent mille, devait soutenir le régime dans ses orientations affirmées d’assainissement des mœurs et de revalorisation de la vie confessionnelle.
Or, au nom de l’unité d’action et de pouvoir, il avait été mis fin aux fonctions du Cadi de Tombouctou. Ce dernier, déporté, était en exil dans le Wassouloun, loin de ses terres. Pour compenser cet épisode quelque peu fâcheux, un code de la famille magistral et impérial fut élaboré des 1963. Il colla si bien à la vérité du droit musulman, la charia, qu’il provoqua quelques remous dans le pays des frères musulmans, où la presse se déchaina pour saluer le code malien qui doit inspirer le pouvoir du Raïs d’Egypte.
En outre, au nom de la pureté des mœurs, la croisade contre les petites tenues indécentes féminines s’intensifiera jusqu’au Dabanani de Bamako.
En reprenant ce flambeau à partir de 1972 consécutivement à la visite de notre ministre de l’Information en Arabie, la construction de la grande Mosquée de Bamako fut mise en scelle et le pays continuera de montrer sa bonne volonté dans une saine coopération avec le généreux Serviteur de la sainte Mosquée de la Kaaba. La libération du Cadi de Tombouctou et sa réinstallation dans sa Cité et dans ses fonctions rassurèrent le pays des Saoud. En outre un organe de dialogue, l’A.M.U.P.I. fut créé, et le mois de Ramadan sera, de façade, sacralisé par la fermeture des bars et débits de boissons impures (pendant que les portes dérobées de ces établissements prenaient le relais des entrées connues).
Mais tout cela ne pouvait qu’irriter les révolutionnaires de 91 qui devaient enterrer vif le projet des tribunaux islamiques classés projet de la dérive antidémocratique. Or les Accords d’Alger vont gentiment rappeler à l’ordre le »pouvoir démocratique » en ordonnant l’accroissement et l’extension du rôle des Cadis si le pays veut réellement vivre longtemps en paix. L’article 46 des Accords est sans équivoque:
-…pour une véritable réconciliation nationale… » il faut «la revalorisation du rôle des Cadis dans l’Administration de la justice…»
A l’interne, le religieux avait commencé à sortir ses griffes face à l’accentuation des dérives de la démocratie naissante. Et le pouvoir dû céder du terrain, une première fois en créant le Haut conseil de l’Islam pour donner une voix unique et une vraie force aux centaines d’Associations islamiques surgies et assises sur la jeunesse, le genre, les ulémas ou encore les Imams.
Une seconde fois et paradoxalement une fleur inattendue sera offerte aux religieux en faisant de l’Achoura le 10eme jour du 1er mois du calendrier lunaire, une journée chômée et payée, ne figurant pourtant sur aucun texte des fêtes légales du pays. Faut-il rappeler que l’Achoura, loin d’être une fête musulmane, est la plus grande fête du judaïsme. Si un pays musulman, le Maroc, l’avait adopté fête du royaume, c’est que massivement, les Juifs y étaient implantés des siècles avant la création de l’Etat d’Israël en 48, et cela ne changera pas après le retour progressif des Juifs en terre promise.
Faut-il rappeler aussi que l’Achoura était honoré par notre Saint Prophète les 8 et 9 du mois et non le 10, pour ne pas être assimilé aux Juifs. Toutefois, après son pèlerinage d’adieu, et rendant visite aux Juifs de sa Cité médinoise a l’occasion de leur grand jour, il dira aux doctes de la confession : »Si je suis en vie la prochaine année, je ferai avec vous le jeûne du 10eme jour » aussi pour honorer avec vous Moise (PSL), ce grand messager de Dieu. Nos musulmans ont ainsi gagné, par l’acharnement dans la dévotion, en plus de fêtes musulmanes, la grande fête du judaïsme !
Mais les Accords signés en Algérie exigent plus : le retour à une paix durable et stable nécessite »la formation de juges religieux » et le renforcement de leur poids dans l’Administration judiciaire du pays. Imaginons un grand Cadi à Hamdallaye, disposant d’antennes périphériques : Amadou Kuffa n’aurait peut-être aucune raison de se livrer à des massacres insensés, car il serait en paix avec son Dieu, notre Dieu à tous.
Le poids du Cadi, l’Administration coloniale l’avait estimé à sa juste valeur : une nécessité à Tombouctou, le but de toute organisation judiciaire étant de cultiver la paix sociale. Mais hors de Tombouctou le syncrétisme battait son plein et il était inutile d’y introduire ce que les populations ne comprendraient guère à l’époque.
Aujourd’hui que faut-il entendre par le renforcement du poids du juge religieux ? Il ne peut s’agir que d’élargissement géographique, le contenu intrinsèque étant immuable. Le critère de cette extension spatiale sera alors déterminé par la réceptivité ou la réactivité à son emploi dans le terroir d’introduction. D’une manière générale on peut affirmer l’existence d’une réelle frilosité face au projet a cause d’un certain terme en son sein : celui de la Charia.
Or, la Charia, nous y sommes déjà et depuis fort longtemps sans crier garde. Toute la vie sociale dans le pays est largement construite sur la charia.
Le terme est arabe et existe bien avant la naissance de l’Islam. Il désignait dans ces terres arides du désert, où l »eau est rare, un droit chemin menant à une eau pure, une eau qui coule de source. L’Islam adopta le terme pour désigner les chemins purs qui doivent régir les relations humaines conformes à l’éthique sociale. Le saint Coran utilise une seule fois le mot charia : dans le verset 18 de la sourate 45. Au delà des règles courantes de l’étique sociale et du vivre ensemble, il désigne aussi le »Fiqh » ou droit positif musulman.
Voyons quelques règles de la vie sociale de chez nous pour ensuite mettre le doigt sur ce qui dérange.
Cérémonie de mariage : y être présent en simple témoin c’est déjà se conformer à la Charia. L’Imam posera les questions rituelles, à savoir, la fiancée est-elle consentante, les témoins des deux familles sont-ils présents, la fiancée est-elle dans un mariage en cours de validité, est-elle en état de grossesse, la dot est-elle payée ?… Les réponses à ces questions sont appréciées par l’Imam qui décide d’officier ou de s’abstenir.
Tout cela relève de la Charia –
Baptême : on se rend le matin à la cérémonie chez le voisin, chez l’ami ou le proche, c’est de la Charia ; l’officier de cérémonie criera le nom accompagné des versets coraniques adaptés, fera les bénédictions pour le nouveau-né, ses père et mère, et priera pour tous les fideles présents… c’est la Charia
Cérémonie mortuaire : y aller c’est encore se conformer à la Charia ; le corps est enveloppé dans un linceul blanc (et non placé dans un cercueil), il sera posé sur le côté droit et tourné vers la Kaaba (l’Est), l’Imam fera alors la prière, c’est la Charia. Le lavage rituel du corps, la prière des quatre »tekbir », l’accompagnement du corps à sa demeure, tout cela relève de la Charia
Cérémonies initiatiques : faire circoncire les enfants mâles avec ou sans manifestations, c’est la Charia ; ne pas infliger l’excision à ses filles, c’est encore la Charia (le Saint Prophète ne l’a pratiquée à aucune de ses quatre filles) ; appliquer une excision modérée, c’est aussi de la Charia
Autres us et coutumes : après un mois de jeûne du Ramadan, s’habiller chic et dans cet état de pureté, faire le tour des voisins et des parents pour salutations et bénédictions, c’est la Charia ; durant tout le mois de pénitence, multiplier les aumônes et l’assistance aux autres, c’est la Charia ; le vendredi après un bain rituel s’habiller beau, se parfumer et se rendre à la mosquée, y entrer en avançant d’abord le pied droit, écouter dans le silence le sermon de l’Imam, tout cela, dans les moindres détails, appartient à la Charia.
S’immobiliser dans la rue au passage d’un convoi mortuaire, saluer et marquer du respect au mort, même s’il n’est pas musulman, c’est de la Charia. Rendre visite aux malades sans y trainer le pied, c’est aussi de la Charia ….. Etc.
Malgré tout, le terme effraie. C’est qu’il renferme des aspects qui posent problèmes : ceux du »FIQH ». En particulier il y a les trois écueils suivants : – la lapidation pour adultère, – la sanction du vol par la main à couper, et surtout – l’école de la déculturation.
Or à les examiner de façon scientifique, c’est la supercherie extrême qui et manifestement, il n’est pas question ici d’aller en quête de la théologie islamique. Les Ulémas des hadiths et du Coran ne seront pas à trouver en Chine. Cette parabole signale les difficultés à affronter dans la quête du savoir, notamment la barrière linguistique, les longues distances à surmonter, la résistance sociologique à vaincre.
Un hadith complémentaire guidera : »Vous (les ulémas) connaissez le mieux votre monde » pour distinguer le saloir utile à votre religion de la »science » qui lui est nuisible.
L’école qui tend à la déculturation peut être un danger pour l’Islam. Hier les livres de classe enseignaient dans certaines écoles coloniales : Nos ancêtres les Gaulois.
Aujourd’hui, pire, on veut enseigner et introduire ce qui est fondamentalement rejeté par la confession musulmane : l’homosexualité ! Pire et pire encore, des tentatives en cours veulent expliquer aux tout jeunes enfants les bienfaits de la pédophilie, ce crime abominable !
Si les jihadistes s’en prennent aux écoles dites d’Occident, c’est en raison des programmes néfastes de formation périodiquement distillés pour raffermir les assises de la colonisation culturelle ou de la déperdition sociale. La protection de la société incombe aux dirigeants de l’Etat et moralement aux ULEMAS aussi.
En conclusion discuter avec Iyad et Kufa est une nécessité, sous couverture de l’Etat. Ces discussions à mener par nos chefs religieux peuvent contribuer à faire taire les armes. Mais elles seront torpillées, il faut s’y attendre, par tous ceux qui étaient à Alger autour de la table pour dicter et signer, et qui ne ressentiront que frustrations et désaveu par leur absence dans les discussions.
Les Maliens se parlent entre eux, et sans ces invités internationaux, ceux-là, dont la bonne volonté manifeste n’a pas payé.
Notre précieuse laïcité ne sera point écorchée, tant que sa définition restera clairement la liberté confessionnelle et la protection des pratiques cultuelles pour tous les cultes monothéistes.
Que gagneront nos jihadistes en échange ? L’ouverture de vraies négociations pour la définition des Cités d’implantation des Cadis et la définition des périmètres d’intervention de ces juges religieux qui seront installés pour le compte et aux frais de l’Etat. Depuis fort longtemps ces Cités seraient identifiables. On peut en citer quelques-unes : Tombouctou, Djenné, Kidal, Nioro, Hamdallaye …
Par contre, si Kita ne veut pas de Cadi, gardons bien à l’esprit la lettre du texte coranique : «A vous votre religion, a moi ma religion»(C 109 … V 6)…//…
* Ancien ministre, ancien Ambassadeur, Spécialiste de l’Islam, promoteur de l’ISPRIC
Source : l’Indépendant