Ancien ministre de l’Artisanat et du Tourisme (2002-2011), N’Diaye Bah, depuis sa retraite consacre son temps à l’écriture et à ses fonctions de chef du village de Kayes-Ndi. Auteur des romans “La Saga de rois maudits ou Cimetière des illusions”, “Les Mausolées de sang”, M. Bah vient de publier chez L’Harmattan-Mali un nouvel ouvrage intitulé “La ronde des crocodiles”. Roman de 123 pages qui met en exergue les conséquences néfastes de la corruption dans nos sociétés actuelles. Dans cet entretien qu’il a bien voulu nous accorder, N’Diaye Bah nous parle de sa nouvelle publication ainsi que de ses projets d’écriture, notamment un quatrième roman qui verra le jour dans un an.
Aujourd’hui-Mali : Pouvez-vous nous présenter votre ouvrage “La ronde des crocodiles” ?
N’Diaye Bah : Cet ouvrage traite de la corruption dans nos pays. La corruption est un phénomène très complexe et multidimensionnel qui menace les fondements existentiels de nos jeunes nations. Il sape toute perspective de développement. Ce fléau tire nos pays vers le bas en les enfonçant dans la pauvreté et la précarité. Avec la corruption, nos pays ne sont pas indépendants.
La corruption, ce sont plusieurs écoles, hôpitaux et routes qui ne sont pas construites et ce sont des esprits gangrenés. C’est l’une des plus graves conséquences de la corruption. Cette corruption est un phénomène qui n’est pas propre à un pays, elle est générale. Elle n’épargne ni les États riches ni les États pauvres. Dans “La ronde des crocodiles”, la petite corruption côtoie la grande corruption.
Le roman commence dans un bar mal famé de la ville et se termine dans une décharge publique et au cimetière. C’est pour dire à mes lecteurs que le bien mal acquis ne profite guère. Voyez des chefs d’État comme Mobutu et Bokassa qui ont pillé leur peuple et qui ont tous fini dans la poubelle de l’histoire.
Comment expliquez-vous le choix du titre “La ronde des crocodiles” ?
Vous savez, les romanciers utilisent des paraboles pour s’exprimer. Dans notre société, le crocodile est porteur de plusieurs symboles. D’abord la rapacité. Le crocodile est rapace. La trahison parce qu’il t’attaque toujours dans le dos. Le sang parce qu’il te suce ton sang et la violence. Quant à la ronde, elle a une connotation festive. Les corrompus sont toujours organisés en bande et ils narguent la société par des festivités. Chacun veut étaler ses signes de richesse. Aussi, le crocodile a longue vie. Ce qui signifie que la lutte contre la corruption est une lutte de longue haleine. Je compare la corruption à une boite noire dont l’interpellation des données requiert des moyens très sophistiqués. Les différents acteurs de la chaîne de la lutte contre la corruption doivent suffisamment être outillés pour mener une traque efficace contre les délinquants financiers.
Dans votre ouvrage, vous évoquez différents types de corruption qui gangrènent notre société, quels sont-ils ?
Effectivement, la corruption touche malheureusement tous les segments de la société, du citoyen lambda aux plus hautes sphères de l’administration publique et privée. Tout s’achète, se négocie et se monnaye aujourd’hui et à tous les niveaux. Celui qui commet une infraction à la circulation corrompt le policier, celui qui va à une mairie pour un acte de naissance corrompt la ou le secrétaire. Un opérateur économique corrompt tous ceux qui peuvent bloquer son dossier et les grands hommes politiques pillent les caisses de l’État.
La corruption est partout et elle est actuellement notre grande équation à résoudre. Le salut de nos sociétés viendra d’une justice indépendante.
Dans votre livre, nous constatons que l’islam et les pratiques anciennes se côtoient dans notre société à travers le personnage Fangatigui, un musulman qui fait des sacrifices aux fétiches pour la protection de son fils rouquin, Warablen, alors quel est le message que vous voulez faire passer à travers cette histoire ?
Le fait que Warablen soit né albinos, il y a eu toutes sortes de personnes qui viennent taper à la porte de son père pour lui proposer, certains de tuer l’enfant, d’autres de faire tel ou tel sacrifice. Cela est malheureusement l’essence de notre société. Nous sommes musulmans, mais nous n’avons pas abandonné nos pratiques fétichistes. Malgré nos religions modernes en force, nous n’arrivons pas à abandonner nos croyances anciennes.
Par exemple, au Mali aujourd’hui, quand une personne convoite une place, elle va voir et le marabout et le féticheur. Nous avons beau être des musulmans et des chrétiens, nos anciennes pratiques sont toujours là en force, même s’il y a beaucoup qui se cachent pour les pratiquer.
Parlant de la mendicité du couple Sadia-Gnina, vous évoquez un sujet pas le moins déplorable dans notre société, la mendicité des valides…
Dans le contexte d’insécurité que nous vivons, la mendicité tout court est très inquiétante. Ces enfants que vous voyez mendier à la circulation et dans les rues de Bamako sont des djihadistes potentiels. Ce sont généralement des enfants pauvres. Ils connaissent le coran. Ils sont faciles à embobiner par les djihadistes. C’est un sujet très inquiétant et nous devons tous être conscients de ce fléau. Je pense que le pouvoir doit pendre ce problème à bras le corps. Je pense que le pouvoir doit interdire la mendicité à travers des réinsertions sociales des jeunes mendiants.
Suite à l’arrestation des activistes farouches (sur les réseaux sociaux) contre la corruption, le peuple déchaîne et fait tomber le régime, alors la révolution populaire peut-elle être un moyen de lutte contre la corruption dans nos sociétés ?
Quand j’écrivais ce roman, j’avoue que le phénomène activiste n’était assez perceptible. En tout cas, les activistes ne jouaient pas le rôle qu’ils jouent aujourd’hui, à travers les réseaux sociaux. Mais un écrivain doit toujours anticiper. Je crois que l’activisme, notamment sur les réseaux, est synonyme de l’éveil des consciences. Grâce aux réseaux sociaux, tout le monde est informé et le peuple connaît la vérité sur telle chose ou telle chose dans la société. Cependant, ces réseaux peuvent être négatifs dans la mesure où des fausses informations sont relayées. Je crois que les réseaux jouent un rôle important dans nos sociétés actuelles car ils permettent d’informer le citoyen lambda qui peut désormais suivre et surveiller ses dirigeants dans leur gouvernance. Et quand les citoyens savent la vérité sur la corruption de leurs dirigeants, ils peuvent demander réparation en se révoltant contre de telles pratiques.
Avez-vous d’autres projets d’écriture ?
Oui ! Je suis actuellement sur un autre roman qui parle des conséquences de l’émigration dans nos sociétés. Un livre que je compte publier dans un an.
Réalisé par Youssouf KONE
Source: Aujourd’hui-Mali