Au Mali, avec l’agriculture extensive et des outils de production de l’ère préindustrielle (traction humaine et animale), aucune politique de développement ne peut mettre notre secteur agricole à hauteur de souhait face à celle du tracteur et des semences améliorées des pays développés.
Avec la juxtaposition du droit coutumier et du droit dit positif, on est dans un labyrinthe culturel, juridique et politique dans lequel il est impossible de faire sauter les verrous qui bloquent la mutation scientifique et technologique du monde rural malien. Même les magistrats y perdent leur latin.
Nous savons que dans une économie de marché, exister c’est produire et vendre. Avec toutes ses potentialités, l’Afrique peine à exister avec seulement 2 % du commerce mondial ; 2 % des investissements directs étrangers et 1, 6% des valeurs ajoutées manufacturières mondiales en 2014.
L’Afrique n’est qu’une potentialité. Et une potentialité ne devient richesse qu’à travers sa transformation par le travail des hommes et des femmes. En ce 21e siècle, produire suffisamment des biens et des services implique l’application de la science et de la technologie à la praxis d’où l’impérieuse nécessité non pas de réforme mais d’une révolution fondamentale culturelle, politique et économique pour rompre le cercle vicieux du sous-développement : on ne sort pas d’un cercle vicieux on le rompt.
Tant que nous n’aurons pas le courage et l’intelligence nécessaires à cette remise en cause, à cette adaptation de nos armes culturelles, politiques et économiques à nos besoins de développement, nous continuerons à mourir de faim sur les plus grandes terres arables du monde, et à mendier assis sur des mines d’or. Rappelons que le Mali, le Niger et le Tchad importent 45 % de leurs besoins alimentaires.
Le développement n’est pas un phénomène naturel. Il découle de la capacité à susciter et à entretenir le changement des structures économiques, sociales et politiques. Sans vision, volonté et constance dans une direction déterminée, tout projet de développement est un leurre.
Le Mali en manque d’autosuffisance alimentaire malgré ses immenses potentialités
Aujourd’hui, 25 000 cotonculteurs des USA produisent plus que les millions de producteurs du Mali. L’Afrique dispose de près de 60 % des terres arables du monde. Mais, les terres africaines ne sont que des capitaux agricoles morts d’une part, et sont menacées d’être vendues à vil prix à des sociétés multinationales asiatiques et/ou européennes, d’autre part. Plusieurs millions d’hectares de terres africaines ont ainsi été déjà cédés à des sociétés privées.
L’occupation anarchique des terres et l’imbroglio juxtaposition du droit coutumier et du droit positif font qu’il est difficile aujourd’hui de dégager un espace suffisant pour des projets agroindustriels seuls capables de tirer l’agriculture africaine de sa somnolence millénaire. Après 58 ans d’indépendance, le Mali importe encore des produits de base comme le riz, la pomme de terre, la farine de blé, la tomate, les oignons.
En 1960, le colon a laissé 45 000 ha de terres aménagées à l’Office du Niger (O.N) sur un potentiel d’un million d’hectares. 58 ans après les terres aménagées à l’O.N s’élèvent environ à 120 000ha (45000 +75000), soit une moyenne de 1 339 ha par an. 58 ans pour aménager 75000 ha soit 7,5 % du potentiel foncier de l’office. Pendant ces 58 ans, la population du Mali a été multipliée par 4,5.
Au lieu d’être le grenier de l’Afrique de l’ouest, le Mali court sans succès derrière l’autosuffisance alimentaire. Pire, malheur à vous si vous voulez aménager 1 000 ha quelque part au Mali. Le sous-développement est avant tout une maladie mentale avant d’être comportementale. En terme économique, le sous-développement n’est pas un manque de ressources, mais l’incapacité scientifique, technologique et managériale à tirer profit de nos ressources.
Les Maliens savent tendre la main, mais ils sont incapables de s’associer intelligemment et courageusement avec autrui pour réunir moyens et conditions de transformation du cadre et conditions de leur existence. C’est grâce aux effets combinés des sociétés de capitaux, des apports scientifiques et autres de l’intérieur et de l’extérieur que les infrastructures, équipements et ressources suffisantes ont été réunis pour booster le développement économique et social des pays développés.
Le Mali qui n’a ni ressources financières suffisantes ni capacité scientifique et technologique, piétine dans la recherche de voies et moyens de sortie de la pauvreté.
Comment faire le grand bond en avant ?
Pour aller de l’avant, il faut passer de la traction humaine et animale à la traction mécanique et électromécanique ; de l’agriculture extensive a une agriculture intensive moderne ; de l’élevage extensif à l’élevage intensif avec des races améliorées pour atteindre une meilleure productivité, une diminution (ou disparition) des conflits entre éleveurs transhumants et agriculteurs.
Le Mali a plus que jamais besoin d’une nouvelle économie verte compétitive face au reste du monde
La clé de ce grand bond en avant ne se trouve pas dans des reformes et encore moins dans le conservatisme des «armes». Elle est dans des révolutions fondamentales dans le foncier et l’agriculture, soubassement de tout développement durable. L’industrie est notre avenir, l’agriculture est notre éternité.
Et pour ce faire, il faut une révolution foncière à négocier de façon participative et inclusive sur 5 à 10 ans avec les communautés et toutes les parties prenantes. Tout comme il est indispensable de remettre à plat le droit positif, les us et coutumes en matière foncière. Un consensus final dans ce sens équivaut à réarranger les milliers de branchette d’un nid d’aigle sans se faire becqueter.
La méthode participative et consensuelle de découpage communal du pays est un exemple pédagogique et politique qui doit nous inspirer. Le foncier est plus délicat, mais il existe des hommes et des femmes au Mali, capables de relever ce défi à condition de bénéficier de moyens nécessaires et d’une forte volonté politique de l’ensemble de la classe politique et des forces vives du pays.
L’Ensemble des terres du Mali pourra être recensé et enregistré d’abord au nom et au profit des communautés de base. Il s’agit des espaces exploités actuellement. Compte tenu de l’occupation anarchique actuelle des terres, ramener tous les champs, en 10-15 ans, moyennant juste dédommagements, dans l’espace réservé au village ou fraction des propriétaires.
Lorsque les populations de 20 villages d’une commune rurale se trouvent dispersées dans 120 hameaux de culture, il est pratiquement impossible d’assurer la couverture sanitaire et scolaire d’une telle zone.
Elles peuvent être aussi enregistrées comme réserves foncières communautaires pour 50 ans. Cette réserve est à déterminer et à localiser de commun accord avec les bénéficiaires
Ces terres peuvent être également enregistrées au nom des collectivités comme réserves agricoles et d’élevage. Mais, il faudra veiller à ce que ces réserves ne fassent l’objet de spéculation de qui que ce soit. Il faut aussi des réserves nationales au nom de l’Etat central comprenant notamment des cours d’eau et leurs berges, des forêts classées, réserves nationales agricoles et d’élevages ainsi que de développement couvrant toutes les terres ne se trouvant pas dans les cas ci-dessus cités.
Ces terres doivent être mises à l’abri de la spéculation d’Etat sous prétexte que la terre appartient à l’Etat. Ce qui est d’ailleurs faux. En effet, la constitution du Mali dit que la terre appartient au peuple. Si l’Etat est une émanation du peuple, il n’est ni le peuple, encore moins au-dessus du peuple souverain. La gestion du foncier est une affaire nationale fondamentale.
Une telle réforme fondamentale est donc indispensable face à l’expansion démographique, et aux besoins fonciers du développement. Elle doit être envisagée en termes d’urbanisme, d’infrastructures, de zones industrielles, de services, de reconstitution et d’amélioration de l’environnement face au changement climatique…
Tout cela est préalablement conditionné à une prise de conscience d’un développement durable. En France, la région Parisienne a plus de réserves et un environnement meilleur que le cercle de Kati et le district de Bamako. Cela doit nous inciter à la réflexion sur notre avenir foncier et notre futur écologique.
Le développement est devenu un mot à la mode. Mais, n’oublions pas que celui qui ne pense pas à l’avenir n’a pas d’avenir. Quand nos partenaires ont une vision de 25 à 50 ans sur le Mali, les décideurs maliens s’épuisent dans l’urgence. Par exemple notre pays applique actuellement une Loi de programmation militaire avec des investissements énormes pour la reconstitution des forces armées. C’est une œuvre louable, mais insuffisante.
Pour assurer l’efficacité et la pérennité de cet immense effort, il faut par exemple attribuer en plus 5 à 10 % supplémentaires à l’armée pour la recherche et l’adaptation au changement de l’environnement. Nous allusions (par environnement) à tous les acteurs externes et internes capables d’agir sur le cours de l’évolution de la paix et de la sécurité.
Cela est indispensable pour ne pas revenir à la case départ ou toujours courir pour rattraper le train que tout Etat responsable doit se donner les moyens et le temps de prendre à quai !
Diatrou Diakité
Consultant Indépendant/Analyste politique
Le Combat