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Moussa Mara : « Mes priorités pour le Mali «

aujourd’hui président du parti « Yelema » (Changement en bambara) qui se place ouvertement dans l’opposition au président Ibrahim Boubacar Keita, auquel il espère succéder lors de la présidentielle du 29 juillet prochain. Interview exclusive. « L’urgence de sauver le Mali est aujourd’hui encore plus manifeste qu’en 2013 ! », disiez-vous récemment. Est-ce à dire que la situation (à la fois politique, économique et sécuritaire) dans laquelle se trouve aujourd’hui le Mali vous semble pire qu’il y a 5 ans ? Moussa Mara : Oui car tous les maux qui existaient en 2013 se sont soit aggravés, soit maintenus en l’état.

Si l’on prend de manière factuelle la situation de notre pays en termes de sécurité : en 2013, il y avait quelques foyers d’insécurité suite à des résidus de groupes terroristes qui ont dispersés par l’opération Serval. Aujourd’hui, nous avons non seulement ces groupuscules qui se sont renforcés et qui ont fait en sorte que l’Etat déserte certaines parties du territoire au Nord, mais nous avons surtout un groupe significatif de terroristes qui se sont constitués au centre de notre pays, c’est-à-dire au cœur du mali, ce qui n’était pas le cas en 2013. Avec des attaques de plus en plus rapprochées. A 120 kms de Bamako, de l’autre côté du fleuve, il y a eu le 20 février dernier une attaque contre un poste forestier. On ne sait pas qui est l’auteur de cette attaque, mais l’on constate simplement que de plus en plus des attaques ont lieu au centre, au Sud et de plus en plus près de Bamako. Notre capitale elle-même n’a pas été exempte d’attaques : l’attaque du Radisson fin 2015, le campement l’année dernière en 2017. La situation d’insécurité aujourd’hui est assez préoccupante, en tout cas sans doute plus qu’en 2013. Et deux soldats français ont encore tués le 21 février… C’est exact. En 2013, les choses étaient relativement simples : on avait des groupes terroristes à défaire. Aujourd’hui, nous avons toujours des groupes terroristes à défaire, mais nous avons aussi des groupes de bandits et d’autres types de groupes que l’on ne sait qualifier mais qui créent beaucoup de désolation. Et nous avons encore les forces internationales qui subissent des pertes, comme les deux soldats français qui ont perdu la vie le 21 février. Sur le plan de la sécurité stricto sensu, il est clair que la situation est aussi grave qu’en 2013. Maintenant, les autres chantiers importants comme la question de la réconciliation nationale sont quasiment à l’arrêt. Et la corruption, cette nébuleuse qui serpente notre pays depuis plus de 50 ans, si elle ne s’est pas aggravée entre 2013 et 2018, je ne suis pas sûr qu’elle se soit résorbée. L’essentiel des maux dont souffrait notre pays sont donc encore là. On ne peut pas dire bien évidemment que le président IBK est le responsable de tous les maux du Mali, mais l’on peut dire au moins qu’il n’a pas été en mesure de les résorber. « Que la lutte contre la corruption se concrétise par des actes significatifs » Vous venez de participer à la séance d’ouverture du 18ème Forum de Bamako consacré précisément à « l’aménagement du territoire de l’espace sahélo-sahélien, facteur de sécurité, de paix et de développement ». Quelles sont vos priorités pour le Mali ? Les priorités pour le Mali, c’est de constituer aujourd’hui une bonne équipe au niveau du leadership du pays et les élections qui arrivent nous donnent l’occasion de constituer cette bonne équipe, d’engager le chantier important de la réconciliation nationale, de la paix et de la sécurité, de continuer à restructurer et à réformer nos forces armées et de sécurité, ce qui prendra du temps, de reconfigurer notre Etat avec beaucoup plus de décentralisation afin d’amener les services aux Maliens là où ils vivent et non que tous les Maliens viennent tous vivre à Bamako comme c’est l’aspiration de beaucoup de nos compatriotes. Il faut également faire en sorte que l’administration soit au service des Maliens et qu’elle soit débarrassée de la corruption ou, pour le moins, que la lutte contre la corruption se concrétise par des actes significatifs et notamment la grande corruption. Quand on lutte contre la corruption, sanctionner les lampistes, c’est toujours utile, mais il est quand même plus efficace de sanctionner les plus hauts responsables. Nous avons ainsi un certain nombre de chantiers de ce type, mais le plus important c’est de mettre en place une équipe au niveau suprême du pays, avec le chef de l’Etat et son gouvernement, qui regarde dans la même direction, qui soit énergique et qui ait l’ambition de restructurer durablement et profondément notre pays en s’attaquant à ses maux plutôt qu’en pansant simplement ses plaies. Aujourd’hui, on a l’impression qu’on essaie de passer le temps et d’éviter les enjeux les plus importants. Ce qui fait que ces enjeux se dégradent et que la situation est plus difficile à gérer qu’il y a quelques années. Après un gros livre consacré à la « Jeunesse africaine » (Mareuil Editions) comme « le grand défi à relever », vous publiez ces jours-ci un nouveau livre aux Editions universitaires européennes intitulé « Le Mali entre vents et marées »… Ce dernier livre, qui vient de sortir à l’occasion de la Semaine littéraire de Bamako, a pour vocation de traduire l’évolution de la situation de notre pays ces trois dernières années. C’est un examen critique d’une bonne partie du mandat du président. Nous y traitons des aspects de sécurité, de réconciliation et de paix, mais aussi des aspects de gouvernance, de société, et enfin des aspects institutionnels et des questions économiques. Car, pendant cette période-là, le pays a traversé des secousses importantes. Nous avons eu quelques difficultés majeures, notamment l’an dernier avec le projet avorté de la révision constitutionnelle du Président, qui a été mise en échec par un soulèvement populaire significatif. Mais nous restons toujours sur les chantiers classiques qui consistent à rendre l’administration plus performante, plus simple, plus efficace avec pour objectif de lutter contre la corruption de manière vraiment déterminée. C’est le cœur de notre projet à nous, de mon projet à moi personnellement. C’est le défi le plus important pour le Mali et pas seulement pour notre pays, mais pour beaucoup de pays en Afrique. Il y a aussi les questions de la jeunesse liées à la démographie, à l éducation, à la formation professionnelle. Le livre passe en revue tous ces thèmes avec la préoccupation de proposer des solutions pertinentes qui peuvent être mises en œuvre si on en a simplement la détermination et le courage, dont le leadership manque en général dans notre pays. N’est-ce pas aussi votre projet politique pour le pays ? Comme l‘ancien président Dioncounda Traoré le dit très justement et de fort belle manière dans sa préface, c’est aussi un livre programme qui ne dit pas son nom… C’est un projet politique avec un certain nombre d’idées que nous serons amenés à mettre en œuvre si jamais nous arrivons aux responsabilités. « Les nouvelles technologies, ce n’est pas seulement pour les Etats-Unis ou la Chine, c’est aussi pour l’Afrique » La jeunesse africaine, qui bouge dans de nombreux pays du continent, ne se sent-elle pas incomprise ? Aujourd’hui, la jeunesse africaine n’est pas entendue parce qu’elle ne se retrouve pas beaucoup dans le leadership. L’Afrique est un continent jeune, on le dit tout le temps, c’est valable pour le Mali, pour le Togo, pour le Mozambique, c’est valable pour la plupart des pays africains. Nous avons des pays dont la moyenne d’âge est de 16, 17 ou 18 ans. Le Mali, c’est 16 ans et demi. Et nous avons donc une population jeune à plus de 80 %, comme au Mali où 85 % des Maliens n’ont pas 35 ans. Mais, comme le soulignait très justement un participant dans la salle lors du lancement du Forum de Bamako, nous avons un leadership qui est assez vieillissant, pour ne pas dire autre chose. Prenons le cas du Mali, nous avons huit institutions républicaines et sept d’entre elles sont dirigées par des septuagénaires qui ont entre 72 et 76 ans… dans un pays où 85 % de la population n’a pas 35 ans ! Vous voyez l’extraordinaire décalage. D’où la nécessité de rajeunir la classe politique… Nous avons besoin aujourd’hui d’un leadership qui reflète à peu près la population, d’un leadership donc beaucoup plus jeune qu’en France où un président de la République de 39 ans a été élu l’année dernière dans un pays où la moyenne d’âge est pourtant largement supérieure à 30 ans. Chez nous, où la moyenne d’âge est de 16 ans et demi, on devrait élire un président de 22 ans… Cela montre bien l’enjeu. Quand on le dit, les gens sourient, mais c’est bien une réalité : le monde de 2018 ne ressemble en rien avec ce que le monde été il y a seulement dix ans. Il y a dix ans, on ne parlait pas de Google, de Facebook, de You Tube, d’Amazone, d’Airbnb qui rythme la vie non seulement en Europe, mais en Afrique et cela va être de plus en plus le cas. Je pense que, dans dix ans, le monde sera encore plus changeant que celui d’aujourd’hui. C’est pourquoi nous avons besoin d’un leadership qui connaît toutes ces choses, qui soit en phase avec le temps, qui soit ouvert sur le monde, qui soit conscient que les nouvelles technologies offrent de formidables opportunités pour nos pays, en Afrique surtout. Les nouvelles technologies, ce n’est pas seulement pour les Etats-Unis ou la Chine, c’est aussi pour l’Afrique. Ce sont des moyens de croissance et de développement. Pour aller dans ce sens, il faut avoir des leaders qui en soient conscients et non des leaders qui ont fait leurs classes à l’époque de Modibo Keita. C’est simplement la loi de la nature. La jeunesse africaine forcément se trouve non comprise et non écoutée car ceux qui doivent le faire n’arrivent plus à la comprendre car ils ne sont pas de la même époque. Que pensez-vous du dialogue politique qui vient de s’ouvrir au Togo entre le pouvoir et l’opposition ? Cela peut-il calmer les attentes de la jeunesse et ramener la paix dans le pays ? Nous le souhaitons vivement. Vous savez en Afrique on a tellement d’enjeux, de défis. Aujourd’hui les jeunes Togolais ont besoin d’emplois, ils ont besoin de croire en des lendemains meilleurs comme les jeunes Maliens, les jeunes Angolais ou les jeunes Sud-Africains. Et pour avoir de l’emploi, il faut un développement économique, il faut des investisseurs, il faut des Togolais qui entreprennent et, pour tout cela, il faut un Etat qui organise, qui accueille et crée les conditions. Or cet Etat ne peut pas le faire quand vous avez toutes les semaines des marches, des troubles quelque soient les motifs ou justifications. Je pense que nos pays ont besoin de stabilité et d’entente. Si ce dialogue, que nous espérions, arrive à ce résultat, je pense que nous serons tous à l’applaudir et nous souhaitons vivement que cela soit le cas. Il faut donc en appeler au sens de la mesure et des responsabilités de tous les leaders, qu’ils soient du pouvoir comme de l’opposition, de tous ceux qui sont en train de se parler, pour qu’ils puissent mettre l’intérêt du pays au-dessus de leurs intérêts particuliers et immédiats, qu’ils puissent travailler à arriver à un consensus qui permette au Togo de croire en des lendemains meilleurs. Donc nous le souhaitons et nous prions vivement pour cela. Quand un pays africain va bien, c’est aussi de l’espoir pour d’autres. Quand un pays africain ne vas pas bien c’est un malheur pour les autres. Retrouver l’intégralité de cette interview (réalisée en partenariat avec New World TV) sur le site de la chaîne : www.newworldtv.com Propos recueillis à Bamako par Bruno Fanucchi www.lafriqueaujourdhui.net Source: Le Pays-Mali

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