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Moussa Mara : le plaidoyer de l’ancien Premier ministre malien pour la jeunesse africaine

Moussa Mara : « Les jeunes Africains ne sont pas vraiment différents des jeunes Chinois, des jeunes Américains, des jeunes Brésiliens ou des jeunes Français… »

moussa mara ancien premier ministre parti yelema

Expert-comptable de profession, maire d’une commune de Bamako au Mali, Moussa Mara est devenu ministre de l’urbanisme et de la politique de la ville en 2013 avant de se voir confier, un an plus tard, le poste de Premier ministre à 39 ans, en étant le plus jeune politique à occuper cette fonction au Mali. Actuellement à la tête du parti Yelema, Moussa Mara est souvent présenté comme un probable futur président de la République du Mali. Dans son dernier livre, il dresse un diagnostic sans concessions de la démographie africaine, mais il estime que la jeunesse représente une force incroyable de développement. L’ancien premier ministre Moussa Mara a accordé quelques interviews dans des médias français à l’occasion de la sortie de cet ouvrage et il a accepté de répondre aux questions de Yannick Urrien sur Kernews.

« Jeunesse africaine : le grand défi à relever » de Moussa Mara, est publié aux Éditions Mareuil.

Kernews : On pourrait penser que votre livre est d’abord destiné à la jeunesse malienne. Or, on comprend qu’il s’adresse à toute la jeunesse de l’Afrique et qu’il contient aussi de nombreuses leçons à l’attention des jeunes du monde entier. Finalement, les questions existentielles que la jeunesse se pose sont souvent les mêmes sur la planète…

Moussa Mara : Vous avez raison. Aujourd’hui, la mondialisation n’est plus un mot, c’est une réalité grâce à l’évolution des technologies et, finalement, le citoyen africain, américain ou européen est un citoyen du monde. Ses aspirations et ses attentes sont impactées par ce qu’il voit de mieux, ou de moins bien, ailleurs et la jeunesse est encore beaucoup plus en avance sur cette question puisque, par définition, elle a davantage d’ouverture vers les autres, elle est curieuse, elle a besoin de voir ce qui se passe ailleurs. La jeunesse africaine est aujourd’hui très bien connectée, je dirais même qu’elle est ultra connectée, dans les villes comme dans les campagnes. Elle sait ce qui se passe ailleurs et elle devient beaucoup plus active, notamment vis-à-vis de sa propre situation, et ses besoins s’en trouvent impactés. Quelque part, nous avons un certain nombre de valeurs qui sont partagées et les attentes s’uniformisent, que les jeunes se trouvent à Singapour ou à Banjul. Cela étant dit, il y a quand même des spécificités, puisque l’Afrique est en retard sur les autres continents par rapport au train du développement. Mais je suis d’accord, certaines aspirations sont tout à fait les mêmes chez les jeunes dans le monde : notamment sur la question de l’exemplarité du leader, celle de la bonne gouvernance et de la transparence, celle de l’emploi ou encore la volonté d’avoir un idéal et d’être entraîné par des décideurs.

Ceux qui connaissent l’Afrique avaient tendance à penser que sa jeunesse était protégée de la mondialisation par un socle de valeurs et de traditions qui la mettait à l’écart de l’individualisme que nous connaissons dans nos sociétés occidentales. Or, votre livre rappelle que cet état d’esprit affecte le monde entier…

Je suis là aussi d’accord avec vous : souvent, l’Afrique est idéalisée ou stéréotypée, alors qu’elle est peuplée d’êtres humains qui ont des aspirations simplement matérielles, très individualistes, qui ont besoin d’être formés et de trouver un emploi, afin de répondre à des besoins matériels qui sont les plus normaux possible. Il faut aussi savoir que l’Afrique ne peut pas être considérée comme un îlot à part, avec un certain nombre de préceptes, de stéréotypes, ou d’étiquettes qui sont passés de mode aujourd’hui. Les jeunes Africains ne sont pas vraiment différents des jeunes Chinois, des jeunes Américains, des jeunes Brésiliens ou des jeunes Français… Il y a des spécificités liées à l’environnement, mais 90% de leurs besoins sont similaires. D’ailleurs, c’est un message qu’un leader africain devrait lancer. Ce que l’on attend d’un leader, ce n’est pas simplement de répondre aux besoins de la population, c’est-à-dire de la soigner et de l’éduquer, mais aussi de travailler avec sa population pour répondre à ses attentes, loin des paroles qui s’envolent en l’air sans actes concrets. Dans le livre, je m’adresse aussi aux leaders du continent en leur demandant d’être exemplaires, de travailler dans le cadre de la bonne gouvernance et de prendre des jeunes comme partenaires, plutôt que de les confiner dans des espaces dans lesquels il ne s’épanouissent pas.

L’autre surprise, c’est cette vision que les occidentaux ont de la jeunesse africaine à travers ce que l’on appelle sa « débrouillardise » : en lisant votre livre, on découvre que cette jeunesse dégourdie rêve en fait de devenir fonctionnaire et de pantoufler dans des administrations…

Effectivement, c’est une piste très intéressante. Nous, les décideurs publics et politiques, nous devons offrir des alternatives sur cette question de l’emploi et du chômage des jeunes. Dans une bonne partie de l’Afrique, particulièrement l’Afrique du Nord et l’Afrique francophone, les jeunes sont formés pour devenir des employés, des salariés et des fonctionnaires. L’esprit d’entrepreneuriat n’est pas très développé, alors que l’Afrique est un continent où la « débrouillardise », comme vous le dites, c’est de l’entrepreneuriat. Beaucoup de citoyens qui ne sont pas formés et qui ne sont pas allés à l’école développent un sens entrepreneurial souvent remarquable. http://bamada.net Cette créativité est quelque part innée et elle doit être mise en valeur dans l’éducation et la formation pour que les jeunes ne s’orientent pas tous vers le salariat. On doit cultiver la volonté de créer son entreprise, de la développer et de s’imposer au niveau national, voire international. Tout le monde ne peut pas devenir salarié ou fonctionnaire et nous devons créer des opportunités pour que les jeunes s’orientent vers d’autres destinations que le salariat.

Votre livre comporte une analyse fort intéressante sur le poids des villes et la démographie galopante dans ces grandes cités que l’on pourrait qualifier, en Occident comme en Afrique, de villes de grande solitude et vous soulignez que l’urbanisation accroît le mal-être de la population. Face à cela, on doit encourager la mise en place de réseaux de villes moyennes. Malheureusement, c’est une tendance mondiale, alors que l’on constate que les gens se sentent mieux dans des villes de taille humaine, face à des mégalopoles qui favorisent la solitude et l’insécurité. N’est-ce pas trop tard ?

Vous avez raison d’insister sur l’urbanisation du continent. La grande mégalopole dont vous parlez, en Afrique, c’est surtout un grand bidonville ! L’urbanisation est encore plus subie en Afrique qu’ailleurs. Elle est moins planifiée et on voit des populations venir s’entasser dans des bidonvilles, sans eau, sans électricité, sans voies de communication et sans perspectives autres que d’être condamnées à des petits boulots, voire au banditisme. Tout cela s’accompagne d’une augmentation importante de l’insécurité. Nous devons savoir penser notre urbanisation. Ce n’est pas trop tard, mais il faut une volonté politique importante et, surtout, une capacité de leadership pour amener la population dans le mouvement. Le moyen de gérer au mieux cette urbanisation, c’est de créer un réseau de villes. L’urbanisation en Afrique s’accompagne souvent de la mise en place d’une très grande ville à côté de petits villages. Au Mali, par exemple, plus de la moitié des urbains vivent dans la capitale, donc nous avons une ville qui concentre plus de la moitié de la population et c’est le cas dans d’autres pays, comme à Conakry ou à Brazzaville. Il nous faut des villes moyennes qui puissent être comme des éponges et que la population qui quitte un petit village pour aller en ville n’aille pas directement dans la capitale, mais dans une ville moyenne qui dispose d’équipements et de services appropriés. Nous devons mieux gérer et planifier cette urbanisation pour que les populations puissent en bénéficier, notamment les jeunes, parce que l’urbanisation est aussi un facteur important de création de richesses. Nous avons l’occasion de créer des services nouveaux en donnant la chance à des jeunes de pouvoir innover et donc de vivre de cette urbanisation.

40% des Africains sont analphabètes. Dans les années 60 -70, on tentait encore les former à la mécanique, l’hôtellerie, la restauration ou aux services. Aujourd’hui, dans un monde très technologique, l’analphabétisme n’a plus sa place. Comment résoudre cette question ? Le tourisme est-il un facteur de développement ?

Il faut aussi revenir sur la démographie, car cela a une incidence sur l’éducation. Chaque année, nous avons 10% d’enfants de plus qui arrivent dans le système scolaire, donc les gouvernements doivent faire de plus en plus d’efforts et cela épuise les autorités publiques. La question de la démographie mérite une attention particulière sur le continent. Elle a aussi une incidence sur l’analphabétisme, puisque l’analphabétisme n’est rien d’autre que la résultante de l’incapacité de nos systèmes éducatifs à donner une éducation et une formation à l’ensemble de la population. Je ne pense pas que la promotion des métiers de production – vous avez cité le tourisme, mais on pourrait aussi parler de l’agriculture, de la mécanique et de l’artisanat – soit insuffisante. Dans certains pays, ces métiers représentent une partie de la production intérieure et les promouvoir en faisant en sorte que les jeunes déscolarisés et analphabètes puissent avoir accès à ces métiers, c’est une piste importante et je dirais plutôt que l’évolution technologique constitue une opportunité. Là où dans les années 70 on avait quelques difficultés à former les analphabètes, aujourd’hui les analphabètes pourraient très facilement avoir accès à la connaissance en utilisant les nouvelles technologies de l’information et de la communication. Aujourd’hui, c’est une bonne opportunité pour permettre au continent de rattraper ces retards et rien n’est inéluctable en la matière. Comme d’habitude, il faut une bonne volonté publique et une bonne capacité d’entraînement du leader pour entraîner la population vers la direction souhaitée.

Vous faites aussi preuve d’humour dans votre livre lorsque vous évoquez le ministère de la Jeunesse et des Sports : « Étrange combinaison d’une catégorie sociale et d’un secteur d’activité, comme si la jeunesse n’était que muscles et force physique… »

C’est le cas un peu partout et je me demande d’ailleurs si ce n’est pas un peu un héritage de la colonisation, parce qu’en France je vois que la jeunesse va toujours avec le sport… Mais on retrouve cela sur tout le continent, y compris dans les pays anglophones. Ce sont souvent des ministères qui sont situés en queue de protocole et qui n’ont pas beaucoup de budget pour mener des politiques appropriées. Après avoir fait le constat de cette situation, il est temps d’y mettre fin et de faire en sorte que nous ayons de vrais ministères en charge des politiques et des ministères qui ne travaillent pas à la place des jeunes sur les questions des jeunes. Là aussi, on a des ministères servis par des agents qui ont la prétention d’identifier les aspirations des jeunes pour apporter des solutions à leur place. Le ministère doit être un cadre d’élaboration des politiques, mais les actions doivent être conduites par les jeunes à travers les réseaux, les organisations et les associations, où les jeunes sont souvent très dynamiques, sans avoir besoin de personne pour indiquer ce qu’il faut faire pour s’en sortir. Il s’agit de révolutionner notre façon d’approcher notre question de la jeunesse afin de placer les jeunes au cœur de l’action publique les concernant.

Vous évoquez l’extrémisme religieux à plusieurs reprises, en plaidant pour la nécessité de canaliser cette énergie vers une autre direction, celle des idées généreuses. Malheureusement, le Mali est loin d’être épargné et certaines zones de votre pays sont réputées très dangereuses. Comment sortir de cette spirale infernale qui est en train de toucher toute la zone sahélienne et comment reprendre en main l’éducation religieuse de ces jeunes ?

Pour lutter contre le terrorisme, il faut savoir agir de manière multidimensionnelle. Le terrorisme est souvent la conséquence d’un mal-être, souvent la conséquence d’interprétations de la religion et souvent l’illustration du banditisme. Il faut savoir agir à différents niveaux. Le premier, le plus évident, c’est le niveau sécuritaire au niveau des renseignements. On ne peut pas lutter contre le terrorisme sans la volonté de détruire les groupes terroristes, c’est-à-dire les traquer, les affaiblir et les éliminer, avec des moyens sécuritaires qui doivent être renforcés. Mais cet aspect sécuritaire ne peut marcher que si l’on dispose de services de renseignements efficaces, car la menace terroriste n’est pas celle d’une armée classique : c’est généralement une menace émanant de groupuscules diffus, souvent insérés dans la population, dans nos villes et dans nos campagnes et, pour traiter cette menace, on a besoin d’un dispositif de renseignements efficace à taille humaine, qui ne sera pas du tout technologique, mais qui fera appel aux hommes. En la matière, nous avons beaucoup d’efforts à faire. Pour lutter contre le terrorisme, il faut aussi de la solidarité entre les pays, puisque le terrorisme ne connaît pas les frontières. Tous les pays de par le monde doivent s’insérer dans un dispositif de collaboration et de partage de renseignements, afin d’agir et d’éviter des attentats ici ou là. L’autre dynamique qui est importante, et qui n’est pas souvent mise en avant, c’est la dynamique religieuse. Le terrorisme islamiste est une déviance de la religion, c’est une interprétation erronée de la religion, il faut donc faire en sorte que la question religieuse soit importante dans nos pays.

Enfin, vous savez que les Bretons voyagent beaucoup et qu’ils ont été très présents en Afrique au cours du XXe siècle. D’ailleurs, on trouve une crêperie bretonne dans toutes les grandes capitales africaines…

Absolument !

Alors, espérons que les amoureux de l’Afrique pourront un jour retourner, comme simple touristes ou entrepreneurs, en toute quiétude en Afrique…

On va se battre pour cela. On reste en contact et peut-être que je viendrais vous rendre visite à La Baule !

Source : kernews

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