TRIBUNE. L’Afrique a pris conscience du formidable impact du savoir sur la création de valeur. Il lui reste à en domestiquer toutes les données.
Les innovations technologiques favorisent l’émergence de nouveaux modèles économiques, de nouvelles sources de revenus et de nouvelles relations clients tout en réduisant les coûts opérationnels. Les principales valeurs boursières mondiales sont désormais liées à l’intangible et à l’immatériel. Le plus grand hébergeur du monde (AirBnB) ne possède aucun hôtel ! Les plus grands vendeurs de biens au monde (Ali Baba et Amazone) ne possèdent aucune boutique ni aucun supermarché ! Le plus grand transporteur au monde (Uber) ne possède aucun véhicule ! Tous prospèrent grâce aux programmes, logiciels, applications et technologies. Le monde de la connaissance, des savoirs et des technologies a dépassé celui des hauts-fourneaux, des chaînes de montage et des industries lourdes. La création de la richesse et des emplois est désormais portée par l’économie du savoir et de l’immatériel, levier principal de développement, d’amélioration des conditions de vie des populations et de renforcement de la compétitivité de l’économie.
De l’économie de la connaissance
L’économie du savoir est un secteur économique qui fonctionne autour des connaissances. Ce sont également avec de nombreux producteurs de savoirs, en lien avec des transformateurs et des créateurs de valeurs liés à ces savoirs, que de nombreux marchés sont créés autour de la connaissance. La « Silicon Valley » en Californie est une illustration pertinente de la construction d’un véritable secteur économique autour de la connaissance. Cette « success story » se caractérise d’abord par une forte concentration d’universités, de centres de recherche et d’innovation. Les recherches approfondies et appliquées, de nombreuses innovations, un dispositif de brevetage et de protection des entreprises, soutenues par des compagnies de plus en plus grandes, forment une des caractéristiques de cet espace. Il y a ensuite des outils et produits développés en rapport avec les découvertes, un système financier aux moyens illimités, le développement continu de nouveaux secteurs, la création de chaînes locales qui deviennent rapidement des chaînes mondiales, la promotion de l’économie de l’information et des données, avec des implications sur l’hébergement, les transports, les ventes en ligne, l’Internet, le e-commerce… La Californie seule serait la 7e puissance économique de la planète, pas loin de la France et avec un PIB équivalent aujourd’hui à celui de l’Afrique entière !
La prise de conscience de l’importance des TIC
Les pays africains sont de plus en plus conscients de l’importance des TIC et développent plus ou moins des stratégies en la matière en mettant en place des outils institutionnels. La création de ministères en charge de l’économie numérique, la mise en place d’agences de développement des technologies… illustrent cette réalité. Certains prennent de l’avance comme le Maroc, le Sénégal, le Ghana, le Kenya, le Rwanda, l’Afrique du Sud sur certains aspects de la mouvance numérique tels que l’administration électronique, l’investissement dans l’accroissement des débits internet, les paiements mobiles, les universités virtuelles… Cependant, il y a rarement des dispositifs complets se fondant sur la maîtrise du système, le développement des contenus, la disponibilité de stratégies, l’organisation appropriée de l’environnement institutionnel, le soutien aux écosystèmes intégrés et complets, la disponibilité de secteurs intégrés permettant une plus grande diffusion locale des valeurs créées…
De la nécessité pour l’Afrique de combler le gap en matière de savoir
Le continent est encore loin de la réalisation de véritables économies portées par le savoir et les connaissances. Le Rwanda a des intentions crédibles avec l’accueil d’une structure d’excellence mondiale de mathématiques et des universités (physiques ou virtuelles) en lien avec de grandes universités américaines ou suédoises, mais les moyens de ce pays sont limités. Des nations comme le Nigeria, l’Égypte ou l’Afrique du Sud disposent de moyens leur permettant, s’ils le veulent réellement, d’installer des systèmes économiques fondés sur les connaissances et les savoirs.
Il reste toutefois possible qu’en Afrique, sans avoir la prétention de réaliser une « Silicon Valley », l’on puisse développer des modèles adaptés au continent. La source du savoir et de la connaissance est principalement l’école. Mais la source des savoirs et des connaissances peut être également la culture, les habitudes et traditions avec leurs illustrations dans les arts, l’artisanat, en n’oubliant pas les savoirs et savoir-faire traditionnels, voire les cultes. Tous ces vecteurs peuvent offrir des axes de travail afin d’ériger autour d’eux de véritables dispositifs de formation, de recherche et d’application combinant les technologies de l’information et de la communication pour ériger des modèles économiques durables et prospères. Les pays africains ont donc à imaginer leurs propres chemins vers l’économie de la connaissance. Ils doivent le faire en intégrant les constantes observées ailleurs.
Les incontournables pour faire la différence
Selon la Banque mondiale, quelques piliers (Knowledge Economy Index, KEI) que sont l’éducation et le capital humain, les technologies de l’information et de la communication, la recherche-développement & innovation et le régime économique et institutionnel (REI) sont indispensables à l’économie du savoir et des connaissances.
La formation initiale et continue avec la vocation de tendre vers ce qui se fait de mieux dans les domaines visés est le fondement de toute connaissance. Elle peut mettre en avant les avantages comparatifs (aspects culturels, artistiques…). Quels que soient les savoirs, connaissances et leurs sources, ils ont besoin de dispositifs de vulgarisation pour être renforcés, capitalisés, pour sédimenter, foisonner et être approfondis vers l’excellence, la perfection et la différenciation. C’est ce qui suscite l’intérêt et peut générer des revenus et de la richesse. Ce qui est exceptionnel est unique, difficilement duplicable. Mis en place, il maintient et soutient un avantage comparatif qui peut être porteur de valeurs et de richesses.
La recherche est synonyme de quête de perfection, traitement de domaines inexplorés, quête de savoirs et connaissances permettant de donner des longueurs d’avance à une collectivité ou à un pays. C’est la recherche qui permet de créer des biens ou des services, d’élargir des horizons de connaissances, d’explorer de nouveaux domaines. Elle situe ainsi une collectivité dans l’avant-garde en l’aidant à élargir les portes des idées, des savoirs et des connaissances.
De la connaissance au marché
Les vecteurs commerciaux permettent de transformer une idée en moyen de création de valeurs. Les écosystèmes, l’existence d’acteurs capables d’utiliser les savoirs pour créer et mettre en place des biens et services, les chaînes de valeurs, les coopérations et les inter-relations indispensables à la création de valeurs constituent des maillons significatifs de la chaîne économique des savoirs.
Les outils pour fluidifier la circulation des idées, des savoirs et des connaissances et les porter à la hauteur du marché sont également indispensables. Les technologies de l’information et de la communication, les dispositifs de stockage de données, l’intelligence artificielle (application combinant de grandes quantités d’informations utilisées pour conduire des actions prévoyant tous les cas de figure possible d’une fonction donnée), les infrastructures de transport de l’information et des connaissances abolissant la distance et le temps constituent des opportunités pour ce secteur.
Enfin, il faut savoir bâtir un environnement légal propice à l’essor de secteurs conçus autour des connaissances. Cela concerne le dispositif de régulation, supervision et contrôle, des possibilités de facilitations… Il relève des pouvoirs publics qui doivent avoir une vision du secteur, une idée précise des objectifs à atteindre dans le temps, les contraintes à lever, les efforts nécessaires à fournir, les ressources à employer, les décisions à prendre. Ils créent ainsi l’environnement normatif, physique et technique indispensable à l’essor de la nouvelle économie. Des politiques précises, des règles transparentes, des parcs technologiques, des campus numériques, des écoles et universités, des zones franches, une fiscalité appropriée, la facilitation d’installation de grands acteurs aidant la constitution d’écosystèmes nationaux, etc., complèteront et donneront corps à leurs ambitions.
Les raisons pour l’Afrique d’espérer
Ces changements structurels ne sont pas au-dessus des capacités des pays africains. L’avenir étant aux ensembles, il est possible de développer ces grappes de prospérité en synergie, entre régions d’un même pays ou entre plusieurs pays d’une même région, voire dans des zones frontalières appropriées pouvant se prêter à ces bouleversements. L’Afrique a une carte à jouer et de réelles opportunités pour compter sur l’échiquier de la nouvelle économie. Elle peut l’utiliser pour ouvrir des perspectives positives aux Africains, en particulier les plus entreprenants d’entre eux.
Par Moussa Mara