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Moussa Koné, fédération des exploitants forestiers : “Privilégions le dialogue et mettons de côté les passions”

Un bras de fer est engagé entre les services des eaux et forêts et le Groupement des menuisiers professionnels de Bamako (GMPB) autour de l’exportation du bois. Les exploitants, collaborateurs des deux protagonistes se trouvent, eux aussi, accusés, à tort ou à raison, de complicité d’exportation. Pour leur permettre de donner leur version des faits, sur ce sujet polémique, nous avons rencontré Moussa Koné, le président de la Fédération nationale des exploitants forestiers du Mali. Il prône l’entente cordiale.

Le Point : Il y a une polémique autour de votre activité aujourd’hui. Qu’en dites-vous ?

Moussa Koné : A mon avis, la difficulté majeure que nous rencontrons aujourd’hui, c’est bien l’application des textes qui sont différemment interprétés par les acteurs. Aujourd’hui, toute notre activité est régie par la loi. Au départ, on ne se rend pas compte de certaines insuffisantes dans les textes que la pratique finit par mettre au grand jour. Et à la longue, on se rend compte qu’il y a effectivement des insuffisances. Et c’est dans cette situation de confusion que nous sommes aujourd’hui. Auparavant, on exploitait la forêt sans beaucoup de contraintes, il suffisait d’aller prendre un permis de coupe. Après ça, il suffisait de faire attention aux zones déclarées classées par les textes. C’était les deux termes, à savoir : zone contrôlée et zone incontrôlée.

Mais en 2014, il y a eu l’arrêté interministériel du 10 juillet 2014 portant interdiction de l’exportation du bois d’œuvre, du bois de service, du bois de chauffe, des bambous, des raphias à l’état brut et du charbon de bois. Un arrêté signé, à la fois, par le ministre de l’Economie et des Finances, le ministre du Commerce, ainsi que le ministre de l’Environnement, de l’Eau et de l’Assainissement en son temps. Au terme de cet arrêté, plus personne n’était autorisée à couper du bois dans une localité donnée pour laquelle, il n’y a pas eu au préalable un plan d’aménagement.

Ce plan consiste à délimiter la zone et à dénombrer les plantes. Ce plan permet aussi d’estimer le nombre d’arbres qu’on peut prélever, sans porter trop de préjudice au couvert de la zone. L’autorisation de l’exploitation de la forêt est conditionnée à l’existence de ce plan d’aménagement.

En définitive, l’application de cette nouvelle règlementation a été à l’origine de beaucoup de difficultés de tous les exploitants de la forêt. Car c’est l’Etat qui devait normalement élaborer ce plan. Mais ça n’a pas été le cas.  Face à cette situation, j’ai été obligé de sensibiliser mes militants pour qu’on se mette ensemble afin d’élaborer des plans d’aménagement dans le but de pouvoir continuer avec notre activité.

Grâce à différentes initiatives, nous sommes parvenus à élaborer quelques plans d’aménagement. On peut dire que c’est cela aussi qui a amené des difficultés d’acquisition des bois d’œuvre. Par exemple, dans le temps, pour être autorisé à couper un pied de vène (guénou), il fallait débourser 10 000 F CFA. Mais avec l’arrêté, ce même pied a passé au double (20 000 F CFA). En ce qui concerne le caïlcédrat (jala), le pied est passé de 20 000 à 40 000 F CFA avec la nouvelle application.

Quels sont vos rapports avec les menuisiers ?

 Moussa Koné : A mon avis, il n’y a aucun problème entre les exploitants forestiers et les menuisiers. En aucune manière, il ne peut exister de conflit entre nous si ce ne sont que des malentendus. Nous sommes des exploitants, mais nous ne transformons pas le bois. C’est eux qui font ça. C’est nous qui devons les approvisionner, c’est une même chaine. Mais il y a eu un moment où les menuisiers se sont plaints pour dire qu’ils n’arrivent pas à s’approvisionner en plancher sur le marché. De leur avis, cela est dû au fait que le bois malien est exporté vers la Chine.

Est-ce que ces accusations sont fondées ?

 Moussa Koné : Dans une certaine mesure, on peut dire que c’est fondé. Mais les menuisiers exagèrent aussi souvent dans leur manière de relater les faits. Car la loi a montré que le bois ne peut en aucun cas être exporté du Mali sans connaitre une transformation au préalable. Quand on amène le bois à Bamako, il subit une transformation à l’usine de bois avant d’être exporté. Mais je trouve que les menuisiers font souvent une mauvaise interprétation des faits, certainement sous l’effet de la passion. Ce qui est clair, c’est qu’on ne peut pas s’opposer aux textes, qu’on soit très clair là-dessus. Et tous les acteurs ont obligation du respect de la loi.

Pouvez-vous nous parler de vos relations avec les eaux de forêts qui sont chargés de l’application des textes ? 

 Moussa Koné : Les relations sont mitigées entre les eaux et forêts et les exploitants forestiers. Les eaux et forêts travaillent selon la loi, et cela ne manque pas de provoquer des grincements de dents dans nos milieux. Ce qui est vérifiable, c’est qu’à chaque fois que nous avons tenté de contourner les lois, ils nous attrapent. Il suffit de jeter un œil dans leur rapport annuel pour se rendre compte de l’importance du nombre de saisie de bois. Mais, la loi c’est loi.

 D’où viennent les bois que nous utilisons ici à Bamako ?

 Moussa Koné : Aujourd’hui, l’essentiel du bois vient des régions de Kayes et Sikasso. Notamment, dans les cercles de Kéniéba, Kita (Kayes) ; Bougouni, Kolondiéba (Sikasso).

Comment sont vos rapports avec les communautés chez qui vous vous approvisionnez en bois ?

 Moussa Koné : Il n’y a pas de difficultés spécifiques entre nous et les populations de ces localités. Mais si vous avez des autorisations dûment établies, les populations ne sont pas d’accord, vous ne pouvez pas exploiter le bois. On a été plusieurs fois victimes de cette situation. Une fois à Kolondiéba, la mairie a saisi nos bois alors qu’on avait les autorisations nécessaires. Malgré l’implication des eaux et forêts, nous n’avons pas été mis dans nos droits. C’était la même chose à Naréna avec le charbon.

Combien avez-vous déjà mobilisé pour élaborer les plans d’aménagement de vos zones d’intervention ?

 Moussa Koné : A l’heure où je vous parle, on peut estimer nos dépenses à plus de 500 millions de F CFA. La moyenne pour la réalisation d’un plan d’aménagement dans ces zones dépasse les 32 millions F CFA. Alors que nous en avons aménagé au moins une vingtaine.

Est-ce qu’il y a un impair dans cette pratique, quand on sait que celui qui élabore le plan d’aménagement est en même temps l’exploitant ? Est-ce que le respect des normes peut être garanti quand on sait que l’exploitant a toujours tendance à rentabiliser son investissement ?

Moussa Koné : Non, les normes sont pourtant respectées à ce que je sache. Car, après évaluation, on détermine le nombre de pieds qui peut être prélevé par an dans la zone dans le plan d’aménagement. La loi nous oblige, à chaque opération de communiquer les chiffres aux eaux et forêts qui contrôlent. Donc, en aucune manière, on ne peut pas dépasser le quota dans ces conditions. Si les statistiques montrent que le quota est atteint, les eaux et forêts vous demandent d’arrêter l’exploitation jusqu’à l’année suivante.

Quelles sont les procédures à suivre pour exporter le bois au Mali ?

 Moussa Koné : En fait, je ne maîtrise pas trop les textes. Mais ce dont je suis sûr, c’est que pour exporter le bois au Mali, la loi veut que ce bois soit transformé au préalable pour qu’il y ait de la valeur ajoutée. En tout cas, le bois brut ne peut pas être exporté, selon les textes. Dans le temps, j’ai eu à rencontrer Ousmane Koné, alors ministre de l’Environnement, qui m’a clairement signifié que l’exportation du bois brut est interdite au Mali. C’est dans ce sens que l’arrêté interministériel a été signé en 2014. Aussi, il y a un document que les eaux de forêts délivrent et qu’on appelle le certificat d’origine. Cela est fait une fois le bois transformé.

 Qui achète le bois malien ?

 Moussa Koné : Ce que je sais, c’est que les membres vendent leurs bois à des Maliens. De ce fait, s’il y a des gens qui exportent le bois au Mali, c’est certainement des Maliens. L’essentiel du bois que nous amenons est vendu soit aux menuisiers, soit à l’usine de bois. Nous, nous ne connaissons d’autres clients que ces deux catégories-là. Par ailleurs, le promoteur de l’usine est membre de notre Fédération.

 Le bois est généralement vendu à qui après sa transformation à l’usine ?

 Moussa Koné : Je ne saurais répondre à cette question. Je crois qu’il faut chercher à savoir auprès des responsables de l’usine. Mais ce que je peux témoigner, c’est que l’usine a financé la plupart de nos plans d’aménagement. Il a fait cela sur la base de notre sollicitation quand il y a eu le problème qui a été posé.

Quelles solutions proposez-vous pour mettre fin au malentendu entre les menuisiers et les eaux et forêts par rapport à l’exportation du bois ?

 Moussa Koné : Je les appelle au dialogue. Quoiqu’il y ait beaucoup de quiproquos dans cette affaire. Selon les menuisiers, on doit interdire aujourd’hui l’exportation du bois au Mali quelle qu’en soit la forme. Pour moi, ça c’est une mauvaise appréciation du contexte. Une fois qu’on a règlementé l’activité, je crois que les services des eaux et forêts n’ont plus d’autres missions que de veiller au respect des textes et de sanctionner les contrevenants. Si les menuisiers veulent un dénouement heureux de ce malentendu, ils doivent engager le dialogue avec les eaux et forêts.

Je me rappelle qu’à l’issue d’une réunion qui nous a tous regroupés à la direction nationale, des responsables des eaux et forêts ont eu à communiquer leur contact aux menuisiers tout en les invitant à leur dénoncer tout cas de mouvement suspect de bois. Je crois que la loi est faite pour tous. Seulement, on confie la responsabilité de son respect à des groupes particuliers. Sinon, il est du devoir de tout un chacun de veiller au respect des textes. Mais, on n’a pas le droit de remettre la loi en cause au seul motif que nos intérêts sont menacés.

 Un dernier mot ?

 Moussa Koné : Je remercie la presse pour son impartialité dans cette affaire. Quant aux menuisiers, je leur dis qu’ils ne doivent pas nous voir comme leurs ennemis. Nous partageons le même secteur d’activités. Ça veut dire que quelque part que nous avons les mêmes intérêts. Il est de l’intérêt de nous tous de privilégier la voie du dialogue dans cette affaire et de mettre de côté les passions.

Réalisé par M C. 

 

Source: Le Point

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