Monsieur le Secrétaire général,
Chers Maîtres, chers congressistes,
Le juge, surtout le juge constitutionnel devait être le premier à ouvrir le débat sur son rôle et sa responsabilité en période de transitions politiques, lui qui s’est accoutumé dans ses décisions à statuer ultra petita ces dernières années allant jusqu’à désigner des Chefs d’Etat issus des coups d’Etat et à leur faire prêter serment.
Les Professeurs de droit et de science politique devraient s’interroger sur leur rôle et leur responsabilité en période de transitions politiques. Les partis politiques ou plus exactement les hommes politiques devraient susciter le plus tôt possible le débat sur leur responsabilité dans l’avènement des crises épisodiques qui paralysent le fonctionnement normal des institutions.
En plaçant le 5ème Congrès du SYNAF sous le thème : « Avocat et transitions politiques au Burkina Faso : précaution et responsabilité », vous, avocats, avez osé toucher à l’évidence que l’on s’efforce d’engouffrer dans les couloirs du tabou afin que nul n’en parle, d’autant plus que le corps sociétal burkinabè est coutumier aux instabilités politiques et, subséquemment, aux transitions politiques à dominance militaire, mais, les réflexions n’ont guère fécondé pour barricader à jamais le phénomène. Si le silence des mathématiques, de la médecine, de la physique et de la chimie, en un mot des sciences exactes et appliquées face au phénomène d’instabilité politique peut être toléré et que la négligence des autres branches des sciences sociales peut être concédée, par contre, s’agissant des sciences juridiques et politiques, ses experts, professeurs et praticiens, notamment les magistrats et avocats sont d’office présumés coupables de manière irréfragable, tantôt pour leur mutisme, tantôt pour leur négligence, souvent pour leur couardise, parfois pour leur attentisme mais toujours pour leur complicité. Et parlant de complicité, plus particulièrement, à tort ou à raison, il est malheureusement courant que l’avocat ou le juge soient au cœur des rumeurs faisant état de leur participation à la conception, à l’exécution, à la légitimation, à la juridisation ou à la judiciarisation des changements anticonstitutionnels de gouvernement par des artifices juridiques qui défient toute l’éthique juridique et judiciaire.
S’agissant du juge, à l’issue de l’insurrection populaire des 30 et 31 octobre 2014, le législateur de la Transition de 2015 l’a intimé clairement de rester loin de la politique (en toute circonstance) à travers l’article 111 du Statut de la magistrature qui énonce qu’« il est interdit au magistrat quelle que soit sa position, d’être membre d’une formation politique ou d’exercer des activités politiques. Le magistrat désirant s’engager en politique doit, préalablement, rendre sa démission ». Une disposition similaire ne semble pas exister à l’encontre de l’avocat dans les textes statutaires de sa profession. Dès lors, faut-il comprendre par-là que l’avocat est ivre de liberté pour mener toute sorte d’activité politique ?
L’avocat est-il ivre de liberté pour donner toute sorte de conseils et de consultations juridiques en période de transitions politiques, civiles ou militaires, même si de telles prestations ont pour objet ou pour effet la remise en cause des valeurs qui lui sont chères telles que l’état de droit démocratique, l’indépendance de la justice, les droits de l’homme et les libertés fondamentales ?
En d’autres termes, sans réveiller la théorie de la « mauvaise cause ou de la cause reconnue mauvaise », est-ce que l’avocat est tenu à un choix en cohérence avec son éthique professionnelle en période de fragilité politique et, en cas de non-respect, sa responsabilité est susceptible d’être engagée ?
En tout état de cause, sur le banc des accusés, s’il fallait prononcer une peine infamante contre les praticiens du droit coupables des faits de complicité, contrairement au juge, l’avocat bénéficierait des circonstances atténuantes pour deux (02) raisons :
– La première tient au fait que les textes sont lacunaires, voire silencieux, relativement aux rapports entre l’avocat et la politique, a fortiori en période de transitions politiques ; or, au-delà de l’interdiction statutaire à lui faite de s’aventurer dans des errements politiques, le juge, notamment le juge constitutionnel, est le dernier rempart de la société et comme tel, il a le devoir de s’écarter de toute légèreté en période de fragilité juridique propre aux régimes transitionnels. La seconde tient au fait qu’à travers ce Congrès, l’avocat a eu le courage au moins de susciter le débat sur sa responsabilité en période de transitions politiques, ce qui semble être une première en Afrique et peut-être dans le monde.
L’interrogation de l’avocat sur sa responsabilité présage déjà une prise de conscience sur les possibles débordements dans l’exercice des charges de sa profession ; c’est aussi ouvrir la tribune de l’autocritique ; ce qui est très salutaire. C’est pourquoi, le SMB exhorte les panélistes et congressistes à aiguiser les réflexions sur le thème du Congrès afin d’aboutir à des propositions concrètes pouvant inspirer les acteurs et animateurs du droit et de la science politique. Et ce sera justice ! Sur ce, plein succès à vos travaux !
Je vous remercie de votre attention soutenue !
Pour le Syndicat des Magistrats Burkinabè (SMB)
Le Secrétaire général Diakalya TRAORE