Après le Nord, les attaques des groupes terroristes deviennent de plus en plus fréquentes dans le Centre du Mali (Mopti et Ségou). Le conflit asymétrique s’est intensifié et complexifié et a causé la mort de plusieurs centaines de personnes (civiles et militaires) au cours de massacres ou de combats : assassinats ciblés, exécutions sommaires, attaques terroristes… Aussi, la région de Ségou se trouve actuellement dans le collimateur des djihadistes, précisément à Nampala, où un nouveau groupe armé affilié à l’Etat Islamique s’est implanté.
Le Centre du Mali est depuis 2015 touché, lui aussi, par la fièvre djihadiste. Menée par un homme issu de la région, le prêcheur djihadiste Amadou Koufa, l’insurrection a gagné du terrain et en intensité jusqu’à plonger de larges zones des régions de Mopti et de Ségou, notamment le Nampalari, le Macina, le Séno et le Hayré, dans un conflit meurtrier d’une intensité inconnue jusque-là dans cette zone, même lors des débuts de l’insurrection touarègue et djihadiste de 2012-2013…
La première attaque attribuée aux combattants djihadistes dans le Centre du Mali a eu lieu cinq ans presque après la déroute de Konna. Le 5 janvier 2015, plusieurs dizaines d’assaillants frappent le camp militaire de Nampala (cercle de Niono). Un bilan non officiel fait état de 8 soldats maliens tués, et de 9 autres blessés ; une dizaine de djihadistes auraient également été tués durant la bataille. Puis les hommes armés investissent la ville et y font flotter leur drapeau noir pendant plusieurs heures. D’autres attaques seront menées dans le cercle de Ténenkou les jours suivants : à Dioura le 7 janvier 2015 et à Ténenkou ville les 8 et 16 janvier 2015. Depuis lors, les djihadistes, qui se font appeler les « hommes de la brousse » n’ont cessé d’étendre leur zone d’influence. Et depuis les attaques contre les FAMas vont crescendo…
Et chaque jour apporte son lot d’actes à une chaine déjà longue… Sokolo, Niono et la dernière attaque a eu lieu dans la nuit de samedi à hier (dimanche) contre un poste à Alatona (Ségou). Bilan : 3 gendarmes tués.
Avant cette attaque, le jeudi 6 février dernier, aux environs de 7 heures, les FAMas ont repoussé une attaque contre un poste militaire à Dinangourou, dans le cercle de Koro (région de Mopti). Bilan : 6 soldats ont été blessés et deux engins brûlés. Côte ennemi, précise le communiqué de l’armée malienne, plusieurs assaillants ont été calcinés. « Une vingtaine de motos ont été brûlées ».
Selon des sources locales, les assaillants qui ont attaqué le camp avec une plus d’une cinquantaine de motos se sont vus opposés, durant une heure, une opposition des militaires maliens.
De Diafarabé à Mindoro, en passant par Dioungani, Dioura, Boulkessi… tous situés dans la région de Mopti, les camps militaires de ces localités ont été la cible d’attaques.
En espace d’une année, ce sont plusieurs centaines d’éléments de nos forces armées et de sécurité qui ont perdu la vie dans des attaques perpétrées par des « djihadistes » dans le Centre du pays.
Ségou comme Mopti !
En effet, depuis quelques temps, les attaques contre les positions de l’armée se multiplient dans la région de Ségou. En espace d’une semaine, deux attaques particulièrement violentes ont visé l’armée. Il s’agit de l’attaque d’un check-point à Sarkala et de l’attaque du poste de Sokolo.
Le check point des Forces armées maliennes (FAMa), appelé « Point A », dans le village de Sarkala, à une dizaine de km de Markala (cercle de Ségou) a été attaqué dans la nuit du 5 au 6 février derniers. Des individus non identifiés se sont attaqués, entre 02h et 03h du matin, à cette position stratégique. « Des hommes, lourdement armés, ont commencé à tirer sur tout ce qu’ils voyaient. En surnombre face aux militaires, ceux-ci se sont repliés », a précisé une source.
Les assaillants ont pris le contrôle du poste et sont repartis avec du matériel trouvé sur place dont un véhicule. Après ce forfait, ils se sont rendus au poste de contrôle de la gendarmerie, toujours dans la même zone du « Point A ». Là aussi, ils sont repartis avec les motos du personnel. « Il n’y a eu que des dégâts matériels. Pas de perte en vie humaine », précise une source locale. D’autres sources, sur place, indiquent que l’attaque a été perpétrée par une centaine d’hommes armés non identifiés circulant à motos. Les mêmes témoins indiquent, également, que les colonnes d’individus armés se sont dirigées vers M’bewani, dans la Commune de Seribala. En janvier 2018, ce même poste, tenu par la gendarmerie, a été attaqué et incendié par des individus armés non identifiés.
Le 26 janvier 2020 à l’aube, plusieurs dizaines d’hommes, lourdement armés, à bord des motos et pick-ups, ont lancé l’assaut sur le poste militaire. Le bilan est très lourd du côté de la gendarmerie : une vingtaine de morts et de nombreux blessés. Les assaillants sont revenus encore occuper le camp (détruit) le lendemain de l’attaque avant de se retirer…
Si les mesures adéquates ne sont pas prises face à cette montée des djihadistes, c’est toute la région de Ségou qui risque de basculer dans l’insécurité totale comme la région de Mopti.
Un nouveau groupe affilié à l’Etat Islamique dans zone de Nampala ?
Selon un document de la Minusma, le 26 janvier 2020, dans une vidéo de 3 minutes 33 secondes mise en ligne sur les réseaux sociaux, un groupe de terroristes, se disant de Nampala (à proximité de la frontière avec la Mauritanie), prête allégeance à Abu Ibrahim al Hashimi al Qurayshi, le nouveau chef de l’Organisation État islamique (EI). « Un combattant arabophone, parlant couramment la langue arabe, de peau claire (cheveux longs et longue barbe, cachés par un foulard) récite des extraits du Coran et des paroles du Prophète appelant les musulmans à l’unité, et à l’application des règles de la loi islamique, puis le groupe fait allégeance à EI. Apparaissent sur la vidéo, une soixantaine de terroristes avec des armes légères, quatre pickups équipés de mitrailleuses, deux autres pickups sans armement et des dizaines de motos », précise le document.
Le 31 janvier 2020, le « groupe EI de Nampala » publie une courte vidéo (une trentaine de secondes) montrant armes, munitions, 2 véhicules, 8 motos et des matériels récupérés par ses combattants lors des deux attaques simultanées le 30 janvier contre les postes FAMa et gendarmerie de Sarkala (35km NE Ségou).
Pour le commentateur de la vidéo (un locuteur arabophone), les auteurs de l’attaque sont « vos frères, les soldats du califat au Mali, région de Ségou, zone de Nampala ». Au passage, il lance des menaces.
Les deux vidéos publiées dans les réseaux sociaux n’ont pas été diffusées par les canaux officiels de EI (agence Amaaq), ni par la branche médiatique d’ISWAP (EI en Afrique de l’Ouest) comme c’est le cas désormais pour EIGS. Contrairement à ce qui a été dit sur certains supports sociaux (WhatSapp en particulier), la revendication ne fait pas allusion à EIGS, ni à ISWAP. « Pour l’instant, il n’y a pas eu de retour de cette allégeance de la part de EI (en Irak et en Syrie). Pas de réaction non plus de la part de EIGS ou d’ISWAP », lit-on dans ce document.
D’où vient ce groupe ?
Il est indiqué que cette double attaque du 26 janvier sur les postes de Sarkala est donc le premier fait d’armes de ce nouveau groupe, dans la zone d’opérations de la katibat Ansar Dine Macina de JNIM. Ce dernier a revendiqué le 27 janvier l’attaque meurtrière de la veille sur le poste FAMa de Sokoko (à moins de 150km au nord de Sarkala). Mais d’où vient ce groupe agissant au beau milieu de la zone dans laquelle Amadou Kouffa (Ansar Dine Macina) règne en maitre depuis janvier 2015 ?
« On connait la concurrence entre JNIM et EIGS, et on sait que ce dernier est parrainé par ISWAP et a reçu l’appui manifeste de EI Maison Mère en Irak/Syrie depuis le printemps 2019. Cela explique ses attaques spectaculaires d’Indelimane (Mali, 1 Nov.), Tabankort (Mali, 18 Nov.), Inates (Niger, 10 Déc..), Chinadogar (Niger, 9 Janv.), etc.
Fort de ces succès tactiques, on ne peut exclure qu’EIGS essaie d’ouvrir un nouveau front dans la région de Ségou exploitant les divergences au sein de la katibat Macina, avec l’idée de prendre en tenaille la région Centre par le sud venant de Gossi et par le nord venant de Nampala.
Le nouveau groupe de Nampala est probablement formé d’ex-combattants Peuls qui ont quitté la katiba Macina. En effet, certaines informations faisaient état depuis début Janvier 2020 de conflits internes au sein de la Katiba d’Amadou Kouffa. On rapporte que le 9 ou 10 janvier, vers Dogo (cercle de Youwarou), des combats ont opposé des éléments fidèles à Amadou Kouffa et les troupes de deux de ses ex-adjoints (dont un nommé Mamadou Mobbo), semble-t-il proches de EIGS. Mobbo, un Peulh originaire du Gourma, avait aidé Kouffa en 2015 (né à Niafunké, dans la région de Tombouctou) puis vivant dès les années 90 dans le secteur de Youwarou/Ténenkou à légitimer son combat pour rallier les Peuls du Centre Mali… ».
Par ailleurs, l’on révèle dans le document qu’il est trop tôt pour dire si le « groupe EI de Nampala » est rattaché ou non à EIGS, à ISWAP ou s’il a l’ambition d’être rattaché directement à « EI Maison Mère » : « Mais il est certain qu’Amadou Kouffa perd petit à petit le contrôle de certains de ses combattants… Dans ces conditions, le groupe de Nampala pourrait voir gonfler ses effectifs rapidement, étant donné le vivier humain que représentent les deux régions de Mopti et de Ségou. Et cela pourrait intéresser EI au plus haut point par l’ouverture d’un nouveau front au cœur même du Mali ».
La « Moptisation » de la région de Ségou est en marche, c’est le moins que l’on puisse dire. Cela dit, il y a urgence à agir !
Mohamed Sylla
Source: L’Aube