Sevaré, 07 novembre (AMAP) Soudain, la causerie s’enflamma, sous l’arbre aux feuilles mortes : la sécurité est un sujet qui éveille les passions et habite les esprits de tous les habitants. Non loin de la porte d’entrée d’un des plus anciens hôtels de Sevaré, un groupe de jeunes engagent un débat plutôt passionnant. Ils reviennent sur les deux incidents malheureux et inédits passés, quelques semaines plus tôt, à Mopti : le pillage des stocks de consommables de la Mission onusienne et la sortie des épouses de militaires contre le déploiement de leurs maris à Boulkeyssi. Ces deux événements, tous pathétiques, ont volé la vedette aux sujets d’actualité que le groupe décortique à chaque fois qu’il se réunit.
Comme à Bamako ou partout ailleurs, au Mali, une rencontre de jeunes est une belle occasion pour faire du thé. Comportement type du Sahel qui présente pas mal d’avantages, en termes de cohésion sociale et d’entraide entre gens aux valeurs partagées. L’âge ne compte pas beaucoup même si la “gérontocratie”, concept purement africain d’autorité due à l’âge, est appliquée en cas de manquements constatés. La ” cola” est alors payée par le plus jeune. Peu importe qu’il ait raison ou tort. Il en est ainsi.
Deux factions idéologiques se sont vite formés, sous le hangar, au milieu de pièces usagées. Les positions sont tranchées. Chacun y va de ses commentaires et de ses vérités à lui. Le célèbre écrivain et philosophe, Amadou Hampaté Ba, a donné une leçon de vie en matière de vérité. Il y a, dit-il en substance, trois vérités : « ma vérité, ta vérité et la vérité ». Pour l’harmonie du groupe, il préconise que chacun fasse un pas pour s’éloigner de sa vérité pour se retrouver autour de la vérité. Philosophie profonde.
A Sevaré, cette fois, les enseignements du sage ne sont pas observés. Le diable est dans le détail. Enfoncé, confortablement, dans une chaise localement fabriquée en bambous, le premier à dégainer fut un enseignant. Il est visiblement remonté à bloc contre les pilleurs de la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA). Il ne comprend toujours pas comment notre société s’est laissée pervertir au point de voler l’étranger. En bon éducateur, du haut de ses 22 ans de carrière au service de l’école, il s’est senti profondément souillé par l’acte des jeunes qui ont saccagé la demeure des visiteurs. “C’est inadmissible. Nos ancêtres ont dû se retourner dans leurs tombes ce jour-là ” s’emporte l’orateur qui scrute les regards des uns et des autres pour démasquer ceux qui soutiennent cet acte honteux.
COTE FOLKLORIQUE – Il ne tarda pas à essuyer une farouche opposition du mécanicien dont les apprentis ont pris part au pillage des conteneurs de la Mission onusienne. Pour lui, les enfants ne sont pas à réprimander pour la simple raison qu’ils n’y sont pour rien. Ils ont juste profité d’une situation pour acquérir quelques biens dont ils ont besoin pour améliorer leur confort à la maison. « De toutes les façons, dit-il, ces gens-là (casques bleus) ne servent à rien ici. Ils sont toujours en train de se balader, de draguer nos filles, de picoler sans pouvoir combattre le terrorisme ».
Il faut avouer que cette position radicale du mécanicien est largement partagée au sein de la population. Dans le coin, certains les appellent “amusement”, expression savamment trouvée pour montrer du doigt le côté folklorique d’une force lourdement armée qui peine à assurer sa propre sécurité sur le terrain.
La réplique de l’enseignant ne se fait pas attendre. Celui-ci l’accuse de soutenir la forfaiture de ses apprentis qui ont sali la réputation des Maliens. Il reconnaît, à demi-mot, que les forces étrangères ont montré leur limite dans le combat pour la paix. Mais ne cautionne point le vol. Le répétiteur, qui vient de se voir servi un verre à thé par le plus jeune des apprentis du mécanicien, refuse de s’en prendre aux soldats de la paix parce qu’ils respectent les consignes édictées par leur mandat. “Ils ne sont pas chez nous pour combattre les terroristes. Ils sont là pour protéger les populations. Ces deux choses sont totalement différentes”.
Le mécanicien éclate d’un rire moqueur. Pour lui, « les gens instruits prennent les autres pour des cons ». « Comment, interroge-t-il, dissocier la protection des populations de la lutte contre le terrorisme ? » Pourtant, pour son contradicteur, il y a une nuance qu’il ne faut pas perdre de vue. « La lutte contre les terroristes est une mission plutôt dévolue à la force française Barkhane et aux soldats maliens », précise l’instituteur qui tend le verre à thé à l’apprenti après avoir honoré d’un trait l’infusion du thé vert de Chine. Il sait qu’il n’a convaincu personne.
La transition est toute trouvée pour évoquer la manifestation des femmes de militaires qui ont su facilement convaincre leurs époux de ne pas se rendre à Boulkeyssi. Cette fois, c’est le mécanicien qui fait l’avocat du diable. L’enseignant lui oppose cet incident pour dire que l’Armée doit prendre ses responsabilités en allant au contact de l’ennemi là où il se trouve au lieu d’attendre et se faire prendre par surprise, à chaque fois. Son vis-à-vis monte sur ses grands chevaux, en dénonçant le sous-équipement des soldats et les conditions infra humaines de travail. « Les assaillants, croit-il savoir, sont lourdement armés et disposent de complicités solides et bien intégrées dans les sphères du pouvoir et des organisations internationales ». N’empêche, rétorque un troisième personnage qui vient de s’installer sur un siège usager de voiture, ingénieusement adapté pour accueillir les visiteurs. Il était venu réparer la roue crevée de son véhicule. Le vulcanisateur est à deux pas.
“Quand on s’engage dans l’armée, on a fait le choix de la mort plutôt que de la vie. Un militaire doit mourir au service de sa partie », tranche-t-il sans concession.
COMBATTANTS AGUERIS – Le mécanicien manque visiblement de soutien au sein du petit groupe. Là, on ne lui laisse plus le choix, il sort la lourde artillerie, évoquant la double attaque de Boulkeyssi et Mondoro ayant fait plusieurs morts et un dégât matériel jusqu’ici non évalué. Il prétend que des forces occidentales ont pilonné les camps avant l’arrivée des prétendus assaillants. C’est de la trahison. « Sinon, poursuit-il, comment de pauvres bergers, sans formation militaire, peuvent avoir des coordonnées GPS précises d’un camp à une longue distance ». « Ce n’est tout simplement pas possible. Vous, les pseudos instruits, vous voyez la vérité mais vous refusez de la dire. Vous serez complices de la descente aux enfers de notre beau pays », lance-t-il.
A ce niveau du débat, un ancien militaire sort de sa réserve pour éclairer les lanternes. Le vétéran révèle que ces combattants de l’obscur sont loin d’être des néophytes dans la chose militaire. Ils sont bien préparés, au contraire. Certains sont formés en Syrie, en Afghanistan, en Lybie et ailleurs. Mieux, il apprend que le métier des armes recommande l’exercice au tir et au maniement des armes. Eux, ils passent le clair de leur temps à tirer et à comprendre le comportement des armes. Cette explication technique a eu le grand mérite de convaincre les deux parties sur le sujet.
L’enseignant est resté sur sa faim quant aux motivations des militaires à refuser de rejoindre leur base d’affectation. “Empêchés par leurs épouses”, précise brusquement le mécanicien. « C’est alors une bonne nouvelle pour les féministes que de savoir que les femmes sont bien écoutées chez nous au point de pouvoir empêcher leur époux à exercer leur devoir”, lance, avec un brin d’humour proche du sarcasme, l’enseignant qui s’est attiré les foudres de l’ancien combattant.
La roue réparée, le thé servi, le groupe s’est dispersé dans le quartier de Sevaré sans trouver un compromis. Le disciple de Tierno Bocar ne s’est pas senti heureux de voir le groupe se séparer, sans un rapprochement des vérités afin de trouver le juste milieu. Ou peut-être que la vérité de la crise qui secoue le Mali est à rechercher ailleurs, dans les méandres des grandes influences qui font et défont le monde sur une carte, très loin de la vérité du terrain.