L’annonce a été faite par le président de la Commission de la Cedeao, Jean-Claude Kassi Brou, à l’issue du sommet d’Accra
La Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (Cedeao) prévoit de mettre en circulation sa monnaie commune : Eco, en 2027. Les chefs d’État de l’organisation commune à quinze pays, réunis samedi en sommet à Accra, ont adopté une nouvelle feuille de route nécessaire pour lancer cette monnaie, a annoncé le président de la Commission de la Cedeao, Jean-Claude Kassi Brou, à l’issue de la rencontre. «En raison du choc de la pandémie de Covid-19), les chefs d’État avaient décidé de suspendre la mise en œuvre du pacte de convergence en 2020-2021. Nous avons une nouvelle feuille de route et un nouveau pacte de convergence qui couvrira la période entre 2022 et 2026, et 2027 sera l’année de lancement de l’Eco», a-t-il ajouté.
L’entrée en vigueur de l’Eco Cedeao avait initialement été prévue pour 2020. Réuni en sommet le 21 décembre 2019, les chefs d’État et de gouvernement avait pris note des propositions de symbole de la monnaie unique de la Cedeao et adopté le symbole de l’Eco, qui est : Ec. La conférence avait adopté la Banque centrale de l’Afrique de l’Ouest (BCAO) comme le nom de la future Banque centrale de la Cedeao.
Le lancement annoncé va être compromis par des évènements presque inattendus. Quelques heures avant le sommet des chefs d’État de la Cedeao, le président français Emmanuel Macron, et le chef d’État ivoirien et en même temps président exercice de l’Uemoa, Alassane Ouattara, avaient annoncé à la surprise générale une importante réforme du Franc CFA. L’accord signé à cet effet prévoyait, entre autres, le changement du nom du franc CFA qui devient l’Eco, l’arrêt de la centralisation de 50% de nos réserves de change au Trésor français et la fermeture du compte d’opération, le retrait des représentants de la France de tous les organes de décision et de gestion de la monnaie ouest-africaine.
Pour la Cedeao, cette réforme de la zone monétaire de I’Union monétaire ouest-africaine (UMOA) devrait faciliter son intégration dans la future zone monétaire de la Cedeao (ECO). En réalité, cet agenda conclu entre la France et l’Uemoa va contrarier celui de la Cedeao. Le Nigeria a précisé qu’il n’adhérerait jamais à la monnaie unique tant qu’il y aura un lien monétaire avec la France. Cette relation demeure à travers l’arrimage à l’euro et la garantie de l’État français. Les chefs d’État de la Cedeao ont précisé qu’ils voulaient d’un régime flexible. L’Uemao a préféré un régime fixe.
SOUTIEN À LA CROISSANCE ÉCONOMIQUE- Une autre contrainte jugée mineure par certains économistes, est le respect des critères de convergence. Presque les huit État membre de l’Uemao (utilisateur du Franc cfa) les respectaient. Des pays comme le Nigéria semblaient avoir du mal à se conformer à ces critères. Face aux effets pervers de la Covid-19, ces critères ont été supprimés pour 2020-2021. Un nouveau pacte de convergence couvrant les exercices fiscaux allant de 2022 à 2026 a été adopté.
Du côté de l’Uemoa, c’est le statuquo depuis l’annonce très médiatisée des présidents Macron et Ouattara. En début du mois de mai dernier, les autorités françaises ont annoncé en train de transférer vers la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BECAO) cinq milliards d’euros de réserves de change des États ouest-africains utilisant le franc CFA. Cela conformément à la réforme de cette monnaie annoncée en décembre 2019. Information que la Bceao n’a ni infirmé, ni confirmé. Si cela se confirmait, ce serait une avancée dans la mise en œuvre des accords, selon certains experts.
Pour l’économiste togolais Kako Nubukpo, « cette décision pourrait inciter les États de la zone franc à renouveler les modalités de placement de leurs réserves de change et de gestion de la trésorerie des banques centrales ». Cela pourrait aussi les inciter à « imaginer un régime de change moins rigide que celui qui existe actuellement, à savoir la parité fixe entre le franc CFA et l’euro », maintenue par la réforme. En attendant, l’économiste plaide également pour une réflexion sur « le rôle des réserves de change dans la transformation structurelle des économies de la zone Franc », estimant que « cette période de Covid-19 pousse à une utilisation active des réserves de change pour relancer l’économie mondiale ».
Cela semble d’autant plus pertinent que les conséquences économiques dévastatrices de cette pandemie ont fini par convaincre les plus sceptiques de la nécessité de revoir la politique monétaire poursuivie par la BCEAO. De l’avis de ces experts, la révision des statuts de la BCEAO doit se faire sur au moins trois points. Sa principale mission doit être le soutien à la croissance économique et non la lutte contre l’inflation comme c’est le cas actuellement (article 8 des statuts de l’institut d’émission communautaire). Pour eux, la Banque centrale doit soutenir directement l’État dans le financement des secteurs stratégiques à haute valeur ajoutée (infrastructures et industries par exemples).
Actuellement, ce sont les banques commerciales qui s’endettent à la banque centrale pour financer l’État. « Ce double bond coûte très cher à l’État. Au lieu de s’endetter directement à la banque centrale à 3,5% (et même moins pour les bons Covid-19), l’État emprunte auprès des banques commerciales au taux d’enfer de 6%. Pour certaines levées de fonds du Trésor public (OAT) sur le marché financier, ce sont des centaines de milliards de Fcfa d’intérêts qui sont payés par l’État à ses créanciers banquiers», déplore un spécialiste qui propose également la levée des fonds de la Bceao sur le marché financier international où les taux d’intérêt sont très bas au point d’avoisiner et même de descendre sous la barre des 0%.
Pour ce faire et afin de neutraliser le risque pays, ajoute-t-il, elle doit utiliser du cash collatéral (réserves de change qui sont aujourd’hui libres de domiciliation et ses réserves d’or dont plus de 80% sont stockées à la Banque de France). Ces garanties liquides, explique l’expert, bénéficient selon les règles bâloises d’une pondération à 0% permettant de neutraliser le risque de l’emprunteur. «La pondération du collatéral (garantie) se substitue à celle de l’emprunteur», simplifie le spécialiste qui prévient que ces réformes ont un coût politique. Car c’est loin d’être une question purement monétaire. Il y a aussi un enjeu géopolitique, géoéconomique et géostratégique.
Notre spécialiste explique : «Imaginez un seul instant le coût pour la France de l’affranchissement de son tutorat de 15 pays africains (huit de l’Uemoa, six de la Cemac et Comores utilisateur du Franc cfa). L’effondrement d’un «empire» qu’elle a mis plusieurs siècles à construire».
Aucun président français ne prendra cette responsabilité, répond l’expert, affirmant que plusieurs grandes puissances dans le monde (Chine, Italie, USA, Turquie, etc.) envient à la France cet acquis historique qu’elle perpétue sous diverses formes. Et elles le font savoir dans le discours et sur le terrain. «Tant qu’on n’intègre pas cette donne dans notre réflexion, on passera à côté de la bonne réponse», prévient le spécialiste.
Les dirigeants ouest-africain savent à quoi s’en tenir, pour que débute la vraie indépendance pour la zone franc : l’indépendance économique et monétaire.
Cheick M. TRAORÉ
Source: Essor