Lutter contre le piratage des œuvres artistiques, augmenter la rentabilité des artistes musiciens maliens et de les aider à vivre de leur art sont, entre autres, les objectifs visés par la plateforme Zikmali. Le fondateur de cette jeune plateforme, Mohamed Diarra, titulaire d’un Master en Gestion des ressources humaines et en Droit public, nous a accordé une interview, dans laquelle il précise la particularité de sa plateforme, les difficultés rencontrées lors de sa mise en œuvre, avant de donner son avis sur le développement de l’économie du numérique au Mali.
Aujourd’hui-Mali: Parlez-nous de la plateforme Zikmali ?
Mohamed Diarra: Zikmali est une plateforme de streaming légal et de vente en ligne d’œuvres musicales dédiées à la culture malienne. Le site web est déjà disponible sous le nom de domaine www.zikmali.com. L’application mobile sera disponible bientôt sur Playstore et Appstore. Nous signons des contrats de distribution numérique avec les artistes et nous mettons leurs œuvres musicales en vente et en streaming légal sur la plateforme. Le client, en venant sur ZIKMALI, peut soit s’abonner mensuellement et ainsi accéder à tout le contenu pendant la durée de son abonnement, soit acheter uniquement la musique qu’il veut.
Il faut noter que les musiques achetées sur Zikmali ne peuvent être copiées sur un autre support ou être envoyées par quelque procédé d’envoi que ce soit (Bluetooth, Xender, etc.). C’est une façon de lutter contre le piratage. En prenant un abonnement, le client a accès à toute une bibliothèque musicale dédiée à la musique malienne et composée de tous les genres musicaux du Mali et a aussi accès à tout le service Zikmali. Il peut, entre autres, accéder à une multitude de playlists créée par des professionnels de la musique malienne, créer ses propres playlists et les partager avec ses amis, composer sa propre bibliothèque musicale et y accéder n’importe où, n’importe quand et sur n’importe quel support (smartphone, tablette, ordinateur), écouter en mode offline, etc. Ainsi, chaque écoute génère une somme forfaitaire qui est versée au “compte artiste” de l’artiste écouté. Le compte artiste est un compte de suivi que nous créons pour chaque artiste signé. À travers ce compte, l’artiste peut consulter en temps réel ses états de vente et retirer ses gains en quelques clics, chaque fois qu’il est égal à une somme bien définie dans le contrat.
Qu’est-ce qui vous a motivé à lancer cette plateforme ?
Vous savez, le Mali dispose d’un patrimoine culturelle musicale très riche, très diversifiée et surtout très sollicitée. Mais avec l’évolution des nouvelles technologies amenant la dématérialisation de la musique, les CD, cassettes et vinyles ne se vendent plus trop. Notre industrie musicale n’a pas pu s’adapter pour mettre en place une plateforme adaptée à nos réalités, c’est pourquoi le taux de piratage a atteint un seuil drastique ici au Mali. Ce qui engendre un manque de rentabilité pour nos artistes qui n’arrivent plus à vivre de leur art et qui engendre à son tour la fuite de nos talents.
Plusieurs de nos grands artistes sont déjà distribués sur des plateformes étrangères, mais la plupart des artistes maliens peu connus à l’international n’y figurent pas puisqu’il faut être signé par une grande maison de production.
Zikmali offre à ces artistes les mêmes circuits de distribution professionnelle que les artistes les plus connus, sans être signés par une maison de production. Ainsi, nous leur donnons la chance de vivre de leur art car vivre pleinement de ce que l’on aime est la meilleure façon de le faire bien. Il y a également le fait que nous craignons que, d’ici 10 ans, nous n’allions chercher la culture malienne sur un site américain ou européen.
Aujourd’hui, il y a plusieurs plateformes de streaming. Alors quelle est la particularité de Zikmali ?
La particularité de Zikmali réside principalement en deux choses : nous sommes spécialisés dans la culture malienne. Nous prévoyons de constituer la plus grande bibliothèque musicale dédiée à la musique malienne. Nous distribuons tous les genres musicaux du Mali, même les contes et légendes appelés “Maana” et aussi la musique des chasseurs “Donso n’goni” sont distribués sur la plateforme. Des musiques, des plus anciennes aux plus récentes, ainsi des artistes et des musiques uniquement disponibles sur Zikmali. Ensuite, nous avons adapté notre plateforme aux réalités maliennes, non seulement par l’intégration d’un moyen de paiement local basé sur le “mobile banking” (Orange Money, en plus des moyens de paiement par carte bancaire) ; mais aussi par la politique des prix. Un abonnement mensuel est de 2000 Fcfa, et une musique coûte 199 Fcfa. Nous proposons les prix les plus bas du marché.
De son lancement à nos jours, votre plateforme a-t-elle rencontré du succès ?
De sa création à nos jours, notre plateforme “Zikmali” a déjà remporté quelques prix. En 2018, nous avons été 2è national au Prix Orange de l’Entrepreneur Social en Afrique et au Moyen-Orient. Nous avons également été parmi les lauréats du concours Next Economy (Grow Your Business) 2018. En 2019, nous avons remporté le prix spécial du jury au concours Startupper de l’année Total. Depuis la mise en ligne de notre beta, nous avons constaté assez d’engouement pour être optimistes pour la suite.
Avez-vous rencontré des difficultés dans la création de Zikmali ? Si oui, lesquelles ?
Des difficultés, nous en avons rencontrées et nous continuons d’en rencontrer.
La plus grande difficulté reste le problème de contenu. Beaucoup d’artistes maliens ne connaissent pas trop ce système et sont sceptiques face à ce que nous leur proposons. Il y a aussi le fait que le système de major n’est pas du tout développé ici au Mali, donc nous devons signer individuellement tous les artistes. Cela prend énormément de temps. Il faut ajouter à cela le problème de tous les jeunes entrepreneurs : le financement notamment. Tout ce que nous avons réalisé, nous l’avons fait sur fonds propres.
Y a-t-il une collaboration entre Zikmali et les labels de musique au Mali ? Si oui, quelle est la nature de cette collaboration ?
À ce jour, nous avons une collaboration uniquement avec Essakane Production. Cette collaboration concerne uniquement la distribution des œuvres dont les droits d’exploitation sont détenus par la maison de production. Nous signons directement avec les artistes puisque presque tous les artistes maliens font de l’auto production. Ils ne signent pas de contrats de production avec les maisons de production, donc ils détiennent les droits d’exploitation de leurs œuvres.
Comment envisagez-vous le développement de l’économie numérique au Mali dans les prochaines années ?
Je dirais que nous sommes condamnés à aller vers cette évolution numérique et cela a déjà commencé. Vous pouvez constater la création de startups dans tous les secteurs et la prolifération d’incubateurs. L’État du Mali a même dédié tout un département, cela veut dire qu’ils prennent conscience du fait que nous existons (créateurs de solution numérique).
Avez-vous un message à transmettre aux jeunes qui veulent lancer leur propre start-up ?
À ces jeunes qui veulent se lancer, je leur dirais que le Mali est comparable à un grand champ fertile, qui ne demande qu’à être cultivé, semé et récolté. Ayez le courage de sauter, armez-vous juste de résilience. Un entrepreneur est celui qui se jette du haut d’une falaise et ajuste son parachute pendant la chute ; s’assurer que son parachute n’est pas défaillant pour minimiser les risques s’appelle l’étude de marché. Donc, minimisez les risques et foncez.
Votre mot de la fin ?
J’invite tous les mélomanes à adopter cette nouvelle méthode de consommation de musique : ensemble, aidons nos artistes à vivre de leur art. Je remercie votre journal pour cette interview et je remercie sincèrement l’incubateur Createam pour son accompagnement. Enfin, je remercie toutes les personnes qui y ont cru et continuent de nous soutenir.
Réalisé par Mahamadou TRAORE