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Modibo Sidibé : “la marche de la démocratie sur le continent doit se poursuivre”

Entretien du magazine 54 États avec Modibo Sidibé, président du parti politique Fare An Ka Wuli

Modibo Sidibé, ancien Premier ministre malien sous Amadou Toumani Touré. L’avenir du Mali, la paix, la stabilité, la sécurité et le développement sont ses préoccupations. Il est à présent président des Forces alternatives pour le renouveau et l’émergence (Fare- An Ka Wuli). Il apporte ici son regard sur la situation politique et sécuritaire au Mali.

 

C’est la première fois que le Mali a à sa tête un président et un vice-président. Une première dans l’histoire du Mali indépendant. Le colonel-major à la retraite et ancien ministre de la défense, Bah N’Daw, devient président de la transition, et son cadet d’une trentaine d’années, le colonel Assimi Goïta, président du CNSP, devient son vice-président. Un compromis qui équilibre les rapports de force entre le CNSP et la Cédéao dans un contexte sécuritaire dégradé.

54 États : Modibo Sidibé, vous aviez le profil idéal pour cette transition ; que pensez-vous de l’ex-ministre de la Défense Bah N’Daw désigné président de transition (officiel) par la junte ? Et que pensez-vous de ce compromis qui semble équilibrer les rapports de force entre le CNSP et la Cédéao ?

Modibo Sidibé : Je me demande si c’est sous cet angle là qu’il faut aborder cette question. Qu’est-ce que cela représente pour le Mali ? Pourquoi en sommes-nous arrivés à une transition. Qui doit faire cette transition ? Voilà à mon sens les questions les plus importantes.

Nous nous sommes battus au sein du M5 et pas seulement les forces patriotiques, face à une gouvernance complètement erratique.

Le Président Ibrahim Boubacar Keïta, l’ancien Premier ministre et son gouvernement n’avaient aucune vision, aucun programme pour faire face au Mali en crise, à ses multiples dimensions, à sa complexité. Un Mali qui a vu la situation sécuritaire se dégrader. La population a souffert et l’insécurité s’est installée dans l’ensemble du pays.

L’action du M5 a été parachevée par l’intervention des militaires le 18 août.

Nous attendions depuis longtemps d’opérer une transition politique réussie. Une transition qui puisse permettre au Mali de réformer sa démocratie, d’avoir une réelle vision, de légitimer son État, de pouvoir créer un horizon afin d’évoluer dans un Mali redressé. Un pays capable de jouer parfaitement son rôle dans la sous-région.

 

Ce qui nous semble important, c’est de pouvoir, avec la Cédéao, sortir de l’incompréhension sur les formes d’un coup d’Etat classique, d’une transition classique, pour bien comprendre, que les questions du temps et du pourquoi sont des questions prépondérantes, si nous voulons que le Mali vainque ce vide structurel, qui l’a jusqu’à présent tant affecté.

Je me refuse à parler d’un rapport de force avec la Cédéao. Il s’agit davantage de l’importance d’avoir une architecture de la transition qui soit tournée vers la refondation de notre pays.

 

54 États : Que devient cette révolution citoyenne qui a marché les 5 et 19 juin, le 19 juillet, réclamant un renouveau de la gouvernance, un renouveau de la démocratie ?

 

Modibo Sidibé : Le mouvement citoyen qui s’est développé visait à aller à la conquête de cette démocratie, à la conquête d’un regain de confiance entre l’État et les citoyens. Si on ne tisse pas d’autres formes de relation entre les gouvernements et les gouvernés, j’ai bien peur que notre développement et notre démocratie soient constamment pris en otage.

Il n’y a aucune fatalité à ce que le Mali se donne des alternances pacifiques.  Et des institutions stables et durables.

 

Le combat du M5 visait à ouvrir le pays à une autre phase de notre démocratie, à appeler à une gouvernance nettement plus renouvelée, et qui est en phase avec ce qui se passe en Afrique, où l’on appelle ici et là, au respect des valeurs citoyennes. Un combat en phase avec les mouvements nés dans différents pays d’Afrique où les jeunes ont commencé par porter très haut ce besoin de démocratie.

 

54 Etats : Oui, le Printemps arabe

La démission du président Ibrahim Boubacar Keïta et de son régime, c’était simplement pour stopper la spirale dans laquelle se trouvait le Mali

La démission du président Ibrahim Boubacar Keïta et de son régime, c’était simplement pour stopper la spirale dans laquelle se trouvait le Mali et enclencher un processus de redressement du Mali qui passe par le dialogue et par des discussions endogènes sur la sécurité et l’économie. Cela visait à répondre par  un projet commun lié aux enjeux écologiques, démographiques, sanitaires mais aussi aux enjeux de la jeunesse. Cette jeunesse qui est confrontée à de nombreux problèmes.

Par ailleurs, ce changement à la tête du pouvoir doit permettre de sortir le pays du cycle infernal de la pauvreté, de l’insécurité, d’une croissance aujourd’hui qui ne permet pas de créer de l’emploi et qui jette dans les eaux de la mer méditerranée tant de jeunes  maliens, tant de jeunes africains.

 

54 États : Croyez-vous que le président de transition, Bah Ndaw et le Premier ministre, Moctar Ouane pourront ensemble créer une dynamique sécuritaire ?

 

Modibo Sidibé : Quand vous parlez de dynamique sécuritaire du président de transition, du vice-président de transition ou du Premier ministre de transition, nous, nous en parlons autrement.

Aujourd’hui, la transition doit reposer sur “un socle process” qui permet à l’ensemble des maliennes et des maliens de dessiner le projet dans lequel ils veulent voir leur pays progresser.

Encore une fois, je n’associerai pas la dynamique sécuritaire à la transition mais je remettrai le peuple au cœur de la transition. Au titre des urgences il y a la sécurité physique, alimentaire, sanitaire, sociale, etc. Et dans un autre temps, sur le moyen-terme, conduire toutes les réformes structurelles dont le pays a besoin pour se relever. Relever son modèle économique et son environnement. Il s’agit d’une dynamique de résurgence, de fond structurel qui devrait permettre d’aller vers ce “Mali nouveau” que le Mouvement du 5 juin réclame.

Permettez-moi de rappeler que nous possédons 1,24 millions de km2.

Il nous faut repenser notre géographie, la remettre au cœur du cycle politique, par un aménagement du territoire consensuel, prévisible, équitable et qui permette à chaque citoyen, pour y avoir participé, de savoir qu’il est partie prenante de l’ensemble des infrastructures qui vont se développer dans son pays.

 

54 États : Un commentaire sur l’embargo imposé au lendemain du renversement d’Ibrahim Boubacar Keïta le 18 août et qui a « terriblement affecté » les commerçants qui sont privés depuis un mois d’échanges financiers avec leurs voisins de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cédéao).

 

Modibo Sidibé : Depuis la nomination dimanche du diplomate Moctar Ouane comme Premier ministre, la Communauté économique des États de l’Afrique de l’ouest (Cédéao) est attendue sur la levée des sanctions contre le Mali. Ces sanctions pèsent sur l’économie malienne. Le Mali est un État très important en Afrique de l’Ouest.

Le Mali n’est pas un arrière-pays ou un sous pays de la Cédéao

Nous avons des potentialités. Nous avons des flux économiques. Nous avons des transformations à mettre en place par rapport à notre richesse.

 

Je voudrai ajouter que le Sahel, comme le Mali, a besoin d’aménagement. Aussi, il faut tenir compte d’un autre espace qui est le Sahara. C’est dans ce cadre-là, régional, transrégional, qu’il faut aborder les questions de résolution dans la durée de la crise au Sahel. Une crise qui est à la fois économique et sécuritaire.

Le Mali a besoin d’aménagement de son territoire, l’espace sahélien aussi

Je le répète, le Mali a besoin d’aménagement de son territoire, l’espace sahélien aussi. Entre ces deux zones là, Sahara et Sahel, il faut des passerelles où l’on pourra développer l’économie qui mettrait l’ensemble de notre région à l’abri des dérives terroristes.

 

54 États : La présence de militaires français et onusiens depuis sept ans au Mali est contestée par une partie de la population. Pourtant, le colonel Assimi Goïta a dit lors de la Fête nationale : « Nous demandons à la population malienne de soutenir les forces armées de défense et de sécurité. Et c’est l’occasion aussi, pour moi, de demander à la population de soutenir nos partenaires, avec la force Barkhane, la Minusma, la force G5, la force Takouba. ». Modibo Sidibé, la France doit-elle rester au Mali ?

 

Modibo Sidibé : Nous avons des rapports historiques avec la France. La première construction de Défense et de sécurité, ce sont les Forces Armées Maliennes  (FAMa) qui doivent être réformées. Cela veut dire simplement que nous créions un environnement dans lequel nous pouvons travailler à la sécurité de la sous-région, mais en ayant la ferme conviction que l’agenda que nous allons tracer est ce même agenda dans lequel la communauté internationale nous soutiendra.

La constitution de ces Forces armées et de sécurité, doit être adossée à une construction de nos États. Ce sont des États forts, des États solides, des États relégitimés avec une autre gouvernance qui sont à même de soutenir les efforts nationaux et de coopération en matière de sauvegarde de la sécurité et en matière de développement dans l’ensemble de la sous-région.

 

54 États : Êtes-vous favorable à une coopération avec des pays comme la Russie ou la Turquie dont l’offensive est très poussée ces derniers temps sur le continent ?

 

Modibo Sidibé : Permettez-moi de rappeler que la coopération avec la Russie, (auparavant Russie soviétique), date de plus de 50 ans. Le Mali a la liberté de choisir sa coopération, dans le cadre de la construction d’un meilleur système de défense.

La coopération avec la Russie date de plus de 50 ans

Le rendre plus opérationnel pour l’adapter aux efforts d’une guerre asymétrique. Le Mali choisira ce qui lui convient le mieux pour l’amélioration de son dispositif sécuritaire. Cela n’empêche nullement les partenariats avec la France pour des intérêts convergents, partagés et dans le respect mutuel de la souveraineté de chaque État. Le Mali doit s’affirmer dans la gestion de ses problèmes sécuritaires.

Le Mali doit s’affirmer dans la gestion de ses problèmes sécuritaires

Aujourd’hui, on ne peut pas être dans des partenariats ficelés et cloisonnés. Privilégions les partenariats ouverts, horizontaux.

 

54 États : Monsieur Sidibé, aspirez-vous, après la transition à devenir président de la République du Mali ?

 

Modibo Sidibé : Nous avions proposé un projet intitulé “Mali, Horizon 2030”.

La richesse du Mali, la richesse du continent, c’est sa jeunesse

Il faut lui donner la possibilité  de s’exprimer. Il faut lui donner la possibilité d’être autonome. Il faut lui donner la possibilité de travailler et pour travailler, d’être éduqué, d’être formé dans son pays et d’avoir envie d’y rester. Voilà le Mali que nous voulons !

Un Mali pluriel, un Mali solide, qui nous donne de la modernité dans son identité sans être dans un retrait identitaire

 

J’espère que nous ferons en sorte que le Sahel redevienne ce qu’il était. À savoir : un espace convivial, de solidarité et de tolérance.

 

54 États : Une question importante. Un certain nombre de chef d’État s’accrochent au pouvoir, briguent des 3è mandats, changent la Constitution à loisir. Que pensez-vous de cela puisque vous êtes attaché à la démocratie ?

 

Modibo Sidibé : La Cédéao va forcément, à partir de la crise malienne, à partir aussi d’autres crises, revoir son approche de la démocratie et de la gouvernance.

 

54 États : En Guinée, l’opposant Cellou Dalein Diallo invite la Cédéao à demander au président sortant, Alpha Condé, de ne pas se représenter. Un commentaire ?

Modibo Sidibé : L’opposant Cellou Dalein Diallo est parfaitement dans son rôle.

 

54 États : Et pour la Côte d’Ivoire ? 

Modibo Sidibé : Moi, je ne vais pas singulariser tel pays ou tel autre. Nous sommes soucieux de tout ce qui se passe dans tous ces pays-là. La démocratie ne peut se satisfaire de remaniements continuels de la Constitution.

La marche de la démocratie sur le continent doit se poursuivre

La marche de la démocratie sur le continent doit se poursuivre et ne peut pas se satisfaire de manipulation des institutions, et des textes.

Priscilla Wolmer

Directrice de la rédaction

Source : 54 Etats

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