Dans une interview qu’elle nous a accordée lors de la marche pacifique du Collectif des associations des jeunes de la région de Mopti, le 21 juin 2019, la présidente de l’Adema Association, Mme Sy Kadiatou Sow, a craché sa vérité sur la question du centre. Elle a demandé aux autorités de défendre « l’agenda Mali », et aux Maliens de traiter cette insécurité comme une question nationale
Lisez l’entretien !
Le pays : qu’est-ce qui explique votre présence à cette marche ? Et quelle est votre analyse sur la question du centre ?
Mme Sy Kadiadtou Sow, présidente de l’Adema-Association :
C’est très important et très significatif pour moi d’être présente ici aujourd’hui. C’est une bonne chose que les jeunes de Mopti se retrouvent au sein d’un collectif pour dénoncer les barbaries, les tueries dont sont victimes les populations civiles, mais aussi les forces armées et de sécurités maliennes. Ici c’est pour dénoncer l’amalgame, c’est pour réclamer plus de sécurité pour les populations, pour faire un plaidoyer pour le maintien de la cohésion sociale et de la paix qui sont les richesses les plus importantes. Le plus important pour nous aujourd’hui, c’est d’avoir la paix. Pour moi, tous les Maliens, quelle que soit leur religion, leur ethnie, leur localité de résidence, devraient se sentir concernés par ce qui se passe au centre du Mali. On le dit souvent, mais les gens ne se rendent pas compte jusqu’à ce que ça arrive chez eux. Nous sommes Maliens et nous-en sommes fiers. Mais il faut le dire, ce qui se passe aujourd’hui, arrive parce que des Maliens ont accepté que ça se passe. Si des étrangers viennent, comme on le dit, pour déstabiliser notre pays, ils ne sont pas tous des étrangers, ils le font avec la complicité des Maliens.
Si la crise perdure depuis tant d’années, c’est parce que, je suis désolée, il y a des Maliens qui vivent de ça. Ils vivent de trafic d’armes, de drogue, de personnes humaines. Ça, ce sont des Maliens qui sont en relation avec des étrangers. Nous, on ne produit pas d’armes. Les armes viennent d’où ? On se pose la question, c’est les grandes puissances qui produisent les armes.
Le pays est inondé d’armes. Ces armes rentrent comment chez nous ? Par quel biais ? Et pourquoi on n’arrive pas à permettre à nos forces armées d’occuper toutes les localités du Mali et de remplir leurs missions régaliennes de sécurité ? Pourquoi on les empêche ? Pourquoi elles, elles sont cantonnées pendant qu’on laisse les groupes armés, les bandits, les milices semer la mort, la haine, la violence et la désolation ?
Quel est votre appel aux autorités maliennes ?
Les autorités maliennes avant de se soucier de faire plaisir à la communauté internationale devraient d’abord se soucier de ce qui est l’intérêt du Mali. C’est normal que chaque pays, chaque puissance essaye de défendre ses intérêts. C’est cela aussi la politique étrangère. Chacun essaye d’avoir une place au niveau international ; de se positionner… Ils, les étrangers, ont le droit d’avoir leur agenda. Mais pourquoi nous, Maliens, nous ne défendons pas notre agenda ? Que nos autorités défendent l’agenda Mali !
Ne pensez-vous pas que la population malienne aussi ne joue pas pleinement son rôle comme il le faut ?
Oui ! Que les populations ne restent pas indifférentes à ce qui se passe. Quand ça ne va pas à Kidal, à Ménaka, à Aguelhok, etc, que les Maliens ne soient pas indifférents. S’il s’agit de la région de Mopti ou de la région de Ségou, partout où il y a eu des massacres, il ne faut pas que les autres Maliens continuent à vaquer à leurs occupations, à faire des fêtes sans fin comme s’il n’y a pas la guerre au Mali. Quand les gens viennent à Bamako, ils voient comment nous-nous comportons et ils s’étonnent, parce qu’à Bamako, on ne sent pas que le Mali est en guerre. Où sont nos services de renseignement ? Comment est-ce possible que tout ça se préparent, que des gens viennent avec autant de moyens, occuper depuis 19 heures jusqu’au lendemain matin ? Ils viennent, ils saccagent et s’en vont. On se demande où étaient les services de renseignement ? Est-ce qu’ils ont donné les renseignements là où il fallait ? Et là où ils ont donné les renseignements, est-ce qu’ils ont agi ? Les Maliens doivent se poser toutes ces questions et ne pas laisser les autorités seules gérer la situation. C’est important que les Maliens se sentent concernés, que les Maliens s’impliquent pour dire « ça suffit comme ça, trop c’est trop ». Le seul bien qu’on a en commun, c’est le Mali. Ce n’est pas toujours les étrangers, nous sommes d’abord responsables de notre propre sort. Il est temps que les Maliens se réveillent et ne limitent pas cette question à une question de conflit intercommunautaire peulh-dogon, peulh-bambara… Non, c’est une question nationale ! Et c’est maintenant qu’il faut mettre un frein à ça.
Par Boureima Guindo
Le Pays