Victime de son grand c’ur ou, plus prosaïquement, victime de ses calculs économiques ? Angela Merkel, qui culminait dans les sondages jusqu’au milieu de l’année, a décroché au fil des arrivées massives de réfugiés en provenance de Syrie depuis l’été. À 61 ans, celle qui vient d’être désignée « personnalité de l’année » par l’hebdomadaire américain Time Magazinebriguera probablement un quatrième mandat de chancelière en 2017. Un mandat de plus pour entrer dans l’histoire allemande.
Mais, d’ici là, elle devra aplanir les conflits nés de sa gestion de la question migratoire. Elle va s’en expliquer au congrès de la CDU (Union chrétienne-démocrate) à Karlsruhe. On se souvient de la chancelière accueillant elle-même des exilés. L’Allemagne, disait-elle, peut en recevoir 800.000. De l’humanitaire, mais en version allemande, à traduire par « intégration dans le système productif allemand ». Car l’Allemagne, on le sait, est vieillissante. Sa force de travail native du pays s’amenuise. Si la crise en Grèce, en Espagne et au Portugal a été conjoncturellement une opportunité pour faire face à la pénurie de salariés dans divers secteurs, le tarissement est apparu avec les premiers signes d’amélioration de la situation économique de ces pays. Les migrants pouvaient utilement prendre le relais. Problème : la barre du million vient d’être franchie, certaines régions ne peuvent plus faire face à l’afflux massif et les attentats de Paris ont compliqué la perception de cette vague migratoire.
La Bavière, tenue par le parti frère de la CDU, la CSU, est en première ligne. Plusieurs centaines de milliers de migrants s’y sont installés ou ont transité par son territoire en provenance de l’Autriche. Son président, Horst Seehofer, a parlé de « capitulation de l’État » ! Assise à ses côtés, lors du récent congrès de la CSU, Angela Merkel a fermé les yeux avant de tourner les talons sans saluer Seehofer.
Les critiques ne manquent pas dans ses propres rangs, à la CDU. Venant notamment de son homme de l’ombre, celui qui tire les ficelles de sa politique économique et financière, Wolfgang Schaüble. Un sondage donne la CDU-CSU à 34 % (-7,5 par rapport aux élections fédérales de 2013) quand le parti eurosceptique et anti-immigration Alternative pour l’Allemagne (AfD) frôle la barre des 10 % (+5).
La contrainte politique, résultant de la coalition forcée avec les sociaux-démocrates du SPD en 2013, a fait bouger des lignes en Allemagne. Sur le salaire minimum, l’investissement dans les infrastructures. La contrainte extérieure a fait le reste. L’Allemagne fait en ce moment son Bad Godesberg – vire sa cuti – sur les questions de défense. Frank-Walter Steinmeier, le ministre des Affaires étrangères, a donné le ton, hier : « Je suis pour une solution politique, mais je ne saurais fermer les yeux sur le fait que Daech n’en veut pas. »
Retranchée derrière le paravent constitutionnel interdisant à l’Allemagne d’intervenir militairement sur un sol étranger, Merkel s’est contentée, lors de l’engagement de la France au Mali, d’apporter du soutien logistique. Mais les derniers attentats de Paris ont changé la donne. Les députés allemands viennent d’autoriser le déploiement de plus d’un millier de soldats et d’une demi-douzaine d’avions pour lutter contre Daech dans des opérations de reconnaissance.
Sa gauche, consensuelle, fait le job. L’ancien chancelier Gerhard Schröder, artisan du renouveau économique allemand, a salué le travail du leader du SPD, Sigmar Gabriel, actuel vice-chancelier au côté d’Angela Merkel. Comme Helmut Schmidt avant lui, « il a su ancrer le parti au centre de la société. »
Jean-Charles Saintonge
source : lamontagne