Le président du Congrès national d’initiative démocratique – Faso yiriwa ton (Cnid-Fyt), Me Mountaga Tall, a bien voulu nous accorder une interview au cours de laquelle il a abordé plusieurs questions relatives à la vie de la nation, notamment la tenue des prochaines législatives, la crise sécuritaire qui secoue notre pays particulièrement au centre, la crise scolaire, les questions de gouvernance…
Aujourd’hui-Mali : Vous avez introduit un recours auprès de la Cour constitutionnelle portant l’annulation de l’élection des députés. Quelles sont vos raisons ?
Me Mountaga Tall : Je voudrais préciser que le recours ne vise pas l’annulation de l’élection des députés. Il vise plutôt l’annulation du décret portant convocation du collège électoral. Je n’ai développé dans cette requête que des arguments de droit. Préalablement à la requête, le Cnid-Fyt avait publié un communiqué dans lequel se trouvent des arguments politiques, mais le recours est purement juridique. Il est adossé à un argumentaire simple. Au Mali, il y a un texte qui s’appelle la loi électorale et cette loi est très claire.
L’élection législative se fait le même jour sur l’ensemble du territoire national. Pareil aussi pour l’élection présidentielle qui d’ailleurs se fait dans une circonscription unique. Il est possible lorsqu’il y’a des difficultés sérieuses tenant par exemple à l’intégrité du territoire national et à des questions de sécurité réelles, de faire l’élection communale dans certaines circonscriptions et attendre un moment plus favorable pour compléter l’élection en l’organisant dans les circonscriptions initialement omises, mais cela n’est pas possible pour l’élection législative. Or, il se trouve aujourd’hui au Mali qu’au lieu de 49 circonscriptions constituées par les cercles, nous en avons désormais 60 parce que, depuis 2012, de nouveaux cercles ont été créés dans des régions opérationnelles. Aujourd’hui, vouloir organiser des élections législatives sans intégrer ces nouveaux députés, c’est violer la loi. C’est cela que nous avons dénoncé devant la Cour constitutionnelle.
Nos motivations sont au nombre de quatre. La première c’est pour nous l’ardente obligation de respecter l’Etat de droit et la loi. En démocratie, l’Etat est le premier sujet de droit. Il doit respecter sa propre légalité. Tel n’est pas le cas. La deuxième raison soulignée, c’est le contexte sécuritaire. Du 1er janvier 2020 à nos jours, nous sommes à peu près à 200 morts. L’Etat n’arrive à sécuriser ni les autorités administratives locales ni les écoles ni les centres de santé. Ainsi, les enseignants, les infirmiers et les sous-préfets se sont tous repliés dans des zones plus sûres. N’est-il pas un risque d’envoyer ainsi à la boucherie les candidats et les électeurs ? Est-ce qu’on peut garantir l’intégrité d’un système électoral si on ne peut garantir la sécurité des personnes et des biens ? La troisième précède de la nécessité de traiter les Maliens d’égale façon. En donnant des députés à certains citoyens et en refusant à d’autres qui en ont le droit, on rompt ainsi l’égalité des citoyens devant la loi. Ce n’est que des frustrations toujours préjudiciables à la cohésion nationale. Il faut l’éviter.
Enfin, comme notre dernier argument, lorsque le gouvernement a décidé de proroger le mandat des députés, il a publié un communiqué. Dans ce communiqué, il a dit nous prorogeons le mandat des députés parce que les conditions d’élections régulières et démocratiques ne sont pas réunies. Nous n’avons pas relu les textes organisant les élections.
A ce jour, rien n’a changé. Est-il utile d’organiser des élections en ajoutant à la crise sécuritaire, institutionnelle, financière et monétaire, une crise post-électorale ? Nous en avons connu il n’y a pas longtemps. Et la crise a été résorbée quand la Cedeao a dit de mettre balle à terre et qu’il n’y aura plus d’élections au Mali avant la relecture des textes. Le gouvernement y avait donné son accord, mais ne s’est exécuté, s’est donc dédit. En plus des agréments juridiques, nous avons développé des arguments politiques. Tel est le contexte d’ensemble de notre démarche.
Mais la Cour constitutionnelle a rejeté votre recours. Alors qu’en pensez-vous ?
Vous savez, je me suis exprimé rapidement en attendant de revenir sur le fond des choses en disant que cette justice est la pitié et la honte pour moi. La Cour n’a pas répondu à un seul de mes arguments et je sais qu’elle n’a même pas lu ma requête. La Cour dit que je parle de l’opportunité des élections, mais je n’ai jamais parlé de l’opportunité des élections, si ce n’est dans une déclaration politique que j’ai publiée. Ce n’est pas à une Cour constitutionnelle que je vais demander d’apprécier l’opportunité d’une élection.
J’ai dit à la Cour que le décret convoquant le collège électoral viole la loi. J’ai indiqué quelle loi est violée. La Cour n’a pas répondu. Elle s’est contentée de dire que ce n’est pas le moment pour elle de se prononcer sur l’élection des députés. Avant de répondre à un recours, on le lit. Ce n’est pas parce qu’on rend un service à un gouvernement qu’on ne se donne pas le temps et l’intelligence de développer des arguments crédibles, mais cette affaire judiciaire est loin d’être terminée. Nous en sommes au tout début et j’irais jusqu’au bout.
Baber Gano a qualifié votre requête de fallacieuse. Qu’avez-vous à dire ?
Je ne suis pas dans la polémique politicienne à plus forte raison avec un Baber Gano.
Parlons un peu de la situation générale socio-politique et sécuritaire du pays, notamment celle du centre et surtout la décision du Premier ministre de lever les checkpoints des Donso ?
J’ai peur pour le Mali, pour dire la vérité. Il y a d’abord une réelle incapacité à endiguer l’insécurité pour de nombreuses raisons. Je ne tomberai jamais dans la démagogie en disant que si c’était moi j’allais arrêter tout cela en un tour de magie. Ce ne serait pas fait, mais ce que je reproche c’est que ce sont la corruption et la mauvaise gouvernance qui aggravent cette situation. On ne peut comprendre, en période de guerre, que les fonds alloués à l’équipement des forces de sécurité soient détournés au vu et au su de tout le monde. Regardez l’histoire des chaussettes, des avions cloués au sol, des avions commandés jamais livrés et on tombe dans des scandales de véhicules blindés. Cela touche le moral des hommes, cela blesse l’honneur des Maliens.
Il y a aussi ce grand problème de gestion des hommes où chaque matin on a un nouveau ministre de la Défense, un nouveau chef d’état-major des Armées. Heureusement que l’actuel ministre est un homme de terrain, il fait ce qui n’est pas de sa responsabilité, de son rôle. Il n’appartient pas à un ministre de mettre l’uniforme et d’aller sur le terrain, mais il le fait. Il y a aussi la gestion politique désastreuse. Tous les matins des actes sont posés ou des actes à poser ne sont pas posés. Ce qui transforme aujourd’hui le conflit en conflit intercommunautaire. Nous n’avions jamais connu ces genres de situations et on nous y conduit aujourd’hui. Voilà pourquoi je dis que j’ai peur.
Qu’avez-vous à dire par rapport à la crise scolaire ?
Vous savez, je l’ai toujours dit depuis près de 20 ou 30 ans que l’école est la première des priorités et que l’investissement dans le savoir est le meilleur des investissements. C’est l’investissement le plus productif. Et ceux qui n’investissent pas dans l’école conduisent leur pays dans un trou sans fond. C’est malheureusement notre cas aujourd’hui.
J’ai beaucoup de peine à comprendre la démarche du gouvernement qui dit aux enseignants oui vous avez raison, mais je refuse de vous entendre. Je ne dis pas que le gouvernement a les moyens de satisfaire toutes les demandes, mais que disent les syndicats ? Prouvez au moins que vous êtes de bonne foi. Arrêtez de détourner. Gérez autrement. On ne va pas compromettre l’avenir des milliers d’enfants parce qu’il y a un Etat boulimique.
Quel sera votre mot de la fin ?
Nous sommes dans une situation extrêmement difficile. Tous les actes qui doivent être posés doivent tendre vers la résolution de la crise.
Les démarches que j’ai eu à faire au niveau de la Cour constitutionnelle pour demander le report des élections ne sont pas pour dire de ne pas aller vers des élections. Il faut aller aux élections parce que nous n’avons pas d’Assemblée nationale aujourd’hui. Ce qui est à Bagadadji n’est pas une assemblée par moi. Donc, il faut aller aux élections, mais dans quelles conditions ? Est-ce qu’aller aux élections aujourd’hui doit être un facteur d’aggravation de la crise, devons-nous nous payer une nouvelle crise post-électorale ? Ne sommes-nous pas capables d’imaginer des solutions inclusives et solutions de meilleure cohésion nationale ? Je pense que oui, mais il faut sortir des calculs politiciens et mettre au-dessus de tout l’intérêt national et le Mali. Cela est possible et ceci est notre combat.
Réalisée par Boubacar PAÏTAO
Source: Aujourd’hui-Mali