La République islamique de Mauritanie est considérée aujourd’hui comme la locomotive sécuritaire du Sahel. Le pays est relativement stable et la politique de sécurité a porté des fruits objectifs. C’est un précieux atout pour l’opération Barkhane et la coalition pour le Sahel. Pourtant, les acquis sont fragiles et l’attractivité économique du pays reste à prouver.
La Mauritanie est le fer de lance du contre-terrorisme au Sahel. Pays touché de plein fouet par le jihadisme dans les années 2000, c’est aujourd’hui le plus épargné de la zone. Depuis 2011, la Mauritanie n’a plus été la cible d’attentat ou d’attaque majeure. Ce qui lui vaut d’être classé (135e sur 135) comme l’un des pays les moins touchés par le terrorisme, un résultat plus positif que le Maroc ou le Sénégal, voire la Finlande et la Corée du Sud, selon le Global Terrorism Index 2020.
Malgré des réformes, certains facteurs structurels qui caractérisent le pays pourraient néanmoins nuire au maintien de ces résultats sur le long terme. L’économie peu diversifiée et très informelle, la corruption et les interférences politiques dans le domaine commercial et les tensions ethniques qui alimentent la montée du radicalisme religieux affectent la confiance des investisseurs étrangers.
L’« armée des sables », pilier de la stabilité nationale
L’armée de la République Islamique de Mauritanie constitue l’un des principaux outils du gouvernement pour garder le contrôle de son territoire. Les missions de l’« armée des sables » sont à ce titre profondément duales civilo-militaire. Comme l’a rappelé récemment le général Ould Sidi Mesgharou**, les autorités mauritaniennes considèrent que la sécurité n’est pas qu’une affaire militaire : conformément à la vision française et celle de la coalition pour le Sahel. Il s’agit de créer un écosystème politique, économique et social qui soit hostile aux jihadistes. En d’autres termes : couper ces derniers de leur assise dans les populations.
L’action combinée des unités de l’«armée des sables », tels que les groupements spéciaux d’intervention (GSI)- traque des groupes armés terroristes) ou les groupements nomades (unités méharistes – opérations de police et développement de proximité),a permis de bannir l’essentiel de la présence jihadiste armée. En outre, ils ont contribué à créer des conditions de vie favorables au retour de la légitimité de l’état auprès des populations. C’est d’ailleurs l’une des raisons pour laquelle l’armée mauritanienne fait de nombreux efforts pour accélérer la diversification ethnique de son recrutement. Une nécessité quand l’armée agit comme un facteur de cohésion nationale ou tout simplement pour faciliter la prise de contact avec les populations locales lors des opérations, ou pour la collecte de renseignements.
Rivalités ethniques : une bombe à retardement
La stratégie sécuritaire du pays ne pourra tenir indéfiniment sans la création de conditions favorables à l’émergence de l’unité nationale et du bien-commun. Car ce sont précisément les rivalités ethniques mâtinées de misère et d’abandon de l’Etat qui font le lit des groupes armés terroristes (GAT) dans tout le Sahel. L’armée mauritanienne est spécifiquement conçue pour permettre la résolution de cet effet final recherché. Mais son action ne restera qu’un traitement des symptômes tant que les causes profondes ne seront pas réglées.
Le pays connait actuellement une percée importante de l’islam radical (wahabisme) dans sa population : explosion des mederssa (écoles coraniques), manifestations religieuses violentes, etc. Dans ce pays pratiquant historiquement un islam modéré, marqué par le soufisme, la radicalisation croissante de la population n’est pas fortuite. Elle est majoritairement le fait des populations harratins (maures noirs), descendants d’esclaves affranchis, qui représentent 35% de la population. Ces harratins souffrent de la discrimination des castes dominantes des Beïdanes (Maures blancs). Un sentiment partagé également par les populations négro-mauritaniennes du sud du pays (wolof, toucouleurs…). Une situation qui se traduit par un contrôle encore très lâche de l’Etat dans plusieurs de ces régions. Sans participation politique plus profonde, les opérations de sécurité-développement s’avéreront insuffisantes. Et, in fine, ces populations demeureront vulnérables à la propagande des Groupes armés terroristes (GAT) opérants au Mali et dans le Liptako-Gourma (Groupe de Soutien à l’Islam et aux musulmans [GSIM], Etat Islamique au Grand Sahel [EIGS]…).
Développement économique en berne
Malgré des progrès notables depuis les réformes lancées en 2015, les perspectives économiques de la Mauritanie font face à des contraintes profondes : corruption, justice perçue comme partiale, dépendance à l’aide internationale – notamment saoudienne et émiratie – volatilité du climat ethno-social… Autant de facteurs qui fragilisent la confiance des investisseurs, lesquels recherchent un cadre réglementaire et fiscal à la fois stable et transparent. Sans surprise, ces dynamiques se traduisent par la détérioration du climat des affaires. En effet, en deux ans la Mauritanie est passée de la 148e à la 152e place du World Bank Doing Index : un tournant après plusieurs années d’embellie. Si les investisseurs ne considèrent pas l’Etat comme un partenaire fiable, il faudra alors de nombreuses années pour rétablir la confiance. Or l’investissement international est un socle fondamental pour le pays afin qu’il puisse financer la diversification de son économie, en particulier les secteurs à haut potentiel comme les mines, l’hydrocarbure et la pêche. C’est surtout une des conditions à moyen terme du succès de sa politique sécuritaire.
Par ailleurs, des affaires de litiges avec l’Etat mauritanien, considéré comme partial, détériorent davantage la confiance des investisseurs. On peut citer dans cette optique l’affaire Arise en 2020, qui s’est vu imposer la renégociation d’un contrat par l’Etat mauritanien. Si la négociation a permis d’aboutir à des termes plus favorables pour la Mauritanie, elle crée également de l’incertitude pour les autres accords passés par l’administration Aziz. Il faut noter, cependant, que de nombreux investisseurs étrangers souffrent encore d’un véritable déficit d’intelligence culturelle dans leur approche du marché mauritanien. Dans cette voie, Peer de Jong, vice-président de l’institut Themiis, rappelle que : « les investisseurs internationaux ont tendance à venir en Mauritanie avec de nombreuses certitudes et peu de modestie ».
Pays pivot, la Mauritanie est un espoir pour tout le Sahel. Si ses progrès ne se démentent pas, plusieurs indicateurs montrent qu’ils restent fragiles et nécessitent des réformes politiques et économiques importantes. Dans la mesure où les succès sécuritaires sont fondamentalement imbriqués avec la politique économique et sociale, les enjeux sont de taille. Dans le cas contraire, l’affaiblissement de la locomotive sécuritaire mauritanienne aurait de graves conséquences pour l’ensemble du Sahel.
(*) Pierre d’Herbès est consultant en intelligence économique (Herbès Conseil)
(**) Peer De Jong (sous la direction), Sécurité et développement dans le Sahel, Themiis, Harmattan, Paris, 2020
Source: La Tribune Afrique