A en croire nos sources, ledit marché a été conclu par entente directe avec une entreprise malienne dénommée « Djiguiya Signature », prétendument revêtue d’un costume de représentant du groupe allemand « EHA Hoffmann Gmbh » pour un montant de 3.525 217 215 FCFA. Une certitude : la société « Djiguiya Signature » peine à justifier qu’elle a reçu mandat ou mission de l’entreprise allemande. Et tout porte à croire à un délit d’initié soutenu au sommet.
Décidemment, la transparence des attributions des marchés publics est encore mise à rude épreuve par ceux qui ont la charge de la traduire dans les faits en respectant la réglementation en vigueur. Et qui mieux que Mme la Ministre des Transports et des Infrastructures devait veiller à respecter scrupuleusement la loi ? Et qui est aujourd’hui au creux de cette affaire scabreuse ? La Ministre elle-même, Mme Dembélé Madina Sissoko.
Du coup, le partenaire historique lié au ministère des transports par une convention datant de 28 ans se retrouve privé de prestations et cela en violation des textes en vigueur.
En effet, la convention entre la société Yattassaye -Fils et le gouvernement a été signée le 05 mars 1996 et a pour objet la concession en exclusivité, sur toute l’étendue du territoire national, du service public relatif à la fourniture de plaques standardisées réglementaires et emboutissage de caractères d’immatriculation des véhicules. C’est dans le cadre de la bonne exécution de cette convention que la société Yattassaye-Fils a initié une rencontre avec le Ministère des Transports en vue de proposer des innovations en termes d’immatriculation afin que le Mali soit au même niveau que ses voisins. Pour ce faire, elle a adressé au Ministre des Transports une correspondance dont l’objet est de proposer un projet de modernisation et de sécurisation des plaques d’immatriculation des automobiles (Lettre N°05/SYF/10/18 du 29 octobre 2018).
En réponse, le ministre de cette époque, a donné son accord tout en demandant à la société Yattassaye-Fils de se concerter avec ses services techniques (Lettre 00138/MT-SG sub 08 novembre 2018). Ainsi, le 28 décembre 2018 et le 02 janvier 2019, les experts de la Direction nationale des transports, terrestres, maritimes et fluviaux et ceux de la société Yattassaye-Fils se sont retrouvés dans la salle de réunion de ladite direction pour une séance de travail.
A l’issue des travaux de cette concertation, les experts ont convenu de plusieurs points comme l’apposition du drapeau du Mali de façon visible sur la plaque, le marquage au laser d’une numérotation continue pour l’individualisation de chaque plaque, l’apposition d’un sticker en pièce rapporter de dorme rectangulaire, la relecture du cahier des charges qui a pris en compte l’immatriculation des tricycles, la suppression des plaques de types D et E pour être conforme avec les autres États de la CEDEAO et de l’UEMOA.
Mieux, les experts ont convenu sur les propositions de prix des plaques en raison de trois principaux faits: la monnaie allemande “le Deutsche Mark” a laissé la place à l’euro, la dévaluation du FCFA en 1994 suivie de l’introduction de l’euro dans les échanges internationaux et ceux dans l’espace UEMOA, l’augmentation significative du coût de l’aluminium qui est la matière de base des plaques.
Malgré cette belle rencontre à l’initiative de la société Yattassaye-Fils, les nouveaux maîtres du département des Transports sont allés chercher une autre société pour lui attribuer le marché de fabrication et de fourniture de plaques. Un marché qui a été attribué par entente directe alors que les conditions pour ce type de marché n’étaient pas du tout réunies. Une affaire décidée entre quatre murs par le département et la Direction des marchés publics. Une attribution qui n’a respecté aucune forme légale ou régulière malgré les prétentions de transparence affichées par nos autorités dans ce domaine. Mais le hic est que cette attribution a été faite par les princes du département des transports et dans les conditions les plus opaques. Aucune publicité n’a été faite de ce marché par la Commission de passation des marchés pour les infrastructures compétentes pour ce genre de marché. Preuve certaine qu’elle n’a jamais été saisie de ce dossier.
Pas la moindre trace d’un PV (Procès-Verbal) traitant de l’attribution de ce marché de plus de 3 milliards de francs CFA par le département. Rien ! Absolument rien. Rien encore du côté de la commission nationale de contrôle des marchés publics. Celle-ci n’a jamais autorisé ce marché de gré-à-gré comme le confirme les données à notre disposition.
Mais en remontant cette affaire, on apprend qu’au ministère des Transports où tout s’est décidé en aparté, cette attribution n’a fait l’objet du moindre marché régulier malgré l’importance de l’enveloppe engagée, soit 3 525 217 215 de francs CFA.
On apprendra, en revanche, que c’est une attribution faite par les têtes couronnées du département des Transports à l’un de leurs « proches ». Un bienfaiteur, en l’occurrence. Ce dernier, « Djiguiya Signature » l’aurait confié (pour ne pas dire sous-traitée) à un fournisseur allemand spécialisé dans la commercialisation de dispositifs d’immatriculation des véhicules.
Conditions pour l’attribution d’un marché par entente directe
Selon l’article 58.2 du décret n°2015-0604/P-RM du 25 septembre 2016, modifié, portant code des marchés publics et des délégations de service public, un marché est conclu par entente directe « lorsque les besoins ne peuvent être satisfaits que par une prestation nécessitant l’emploi d’un brevet d’invention, d’une licence ou de droits exclusifs détenus par un seul entrepreneur, un seul fournisseur ou un seul prestataire, dans le cas d’extrême urgence, pour les travaux, fournitures ou services que l’autorité contractante doit faire exécuter en lieu et place de l’entrepreneur, du fournisseur ou du prestataire défaillant; dans le cas d’urgence impérieuse motivée par des circonstances imprévisibles ou de force majeure ne permettant pas de respecter les délais prévus dans les procédures d’appel d’offres, nécessitant une intervention immédiate, et lorsque l’autorité contractante n’a pas pu prévoir les circonstances qui sont à l’origine de l’urgence; lorsqu’il ne peut être confié qu’à un prestataire déterminé pour des raisons techniques ou artistiques ».
Dans cette affaire, l’on peut aisément constatée qu’aucune des conditions évoquées par cet article n’est réunie pour prétendre, attribuer par entente directe, le marché de fabrication et de fourniture de plaques d’immatriculation. En bloc, c’est le goût du lucre qui a prévalu dans l’exécution de ce marché de gré à gré par le Ministère des Transports et des Infrastructures.
Ce marché a été attribué directement comme s’il n’y avait aucune réglementation sur l’octroi des marchés publics dans notre pays. À quoi servent alors les lois et règlements allègrement piétinés.
Si le Ministère des Transports et des Infrastructures qui est garant de l’opération de ré-immatriculation des véhicules se livre à de telles pratiques, on peut considérer que le pari lancé par le président de la transition qui est le développement des entreprises nationales –et chaque jour démenti par les faits de la pratique– reste un slogan creux. Le pari des opérations de ré-immatriculations au Mali est donc loin d’être gagné.
La société Yattassaye-Fils a rempli sa part dans la convention qui la lie à l’État
La convention du 05 mars 1996 prévoit le droit du concédant à sa résiliation sans aucun préjudice en cas d’inobservance ou de transgression par le concessionnaire des clauses et du cahier de charges constatée après une mise en demeure restée sans effet dans un délai de trente (30) jours. Aussi, le concédant peut tout aussi résilier la convention si par négligence, incapacité ou mauvaise foi, le concessionnaire compromettait l’intérêt général, la qualité ou la continuité du service public concédé. La convention prévoit aussi la possibilité de déchoir le concédant sans indemnités en cas de sous-traitance de tout ou partie du service concédé, d’abandon du service concédé, de fraude ou de malversation ou s’il est déclaré en faillite ou mis en liquidation judiciaire, et si, il n’est pas autorisé par le tribunal à poursuivre l’exploitation.
Quant au retrait et à la suspension de l’agrément technique, ils sont prévus dans le cahier des charges et n’interviennent que lorsque le titulaire procède à l’emboutissage et à la fixation de faux numéros sur des véhicules ne disposant pas de documents légaux délivrés par les autorités compétentes.
En 28 ans de partenariat, la société Yattassaye-Fils n’a aucunement violé aucune des dispositions de la convention. Comment comprendre que subitement, l’État, à travers le Ministère des Transports et des Infrastructures, lui lâche au profit d’une autre société, quand bien même que dans le code des marchés publics et la convention prévoit la tacite reconduction ?
Selon ce texte de lois, le régime de la reconduction est fixé par le marché lui-même. Dans le silence du marché, la reconduction est tacite. Le principe de la reconduction est, nécessairement, initialement prévu par le marché, c’est pourquoi son titulaire ne peut refuser sa reconduction. La convention, aussi, prévoit la tacite reconduction. D’une durée de sept (7ans), elle peut être reconduite pour une durée renouvelable de cinq (5) ans.
Malgré tout, le Ministère des Transports et des Infrastructures, dans sa lettre N°174/MTI-SG en date du 26 juillet 2022, a signifié son intention de mettre fin au partenariat avec la société Yattassaye-Fils.
Toutefois, dans sa correspondance, il ne fait mention d’aucune défaillance contractuelle de la part de la société Yattassaye-Fils. Celle-ci, en réponse, a adressé un mémorandum en guise de protestation contre cette intention. Après cette lettre d’intention, le Conseil des ministres a pris un décret (décret N° 2023-0672/PT-RM du 15 novembre 2023) permettant ainsi au Ministère des Transports de “lâcher en plein vol ” la société Yattassaye -Fils.
Un tripatouillage des textes pour attribuer le marché
En plus de la convention, il y a eu manifestement une violation voire un tripatouillage des textes que sont l’ordonnance N°2022 -008 /PT–RM du 11 mars 2022 et le Décret N°2022 -0142 /PT-RM du 11 mars 2022. L’ordonnance porte sur la création de la Direction générale des transports (DGT) et le décret sur l’organisation et les modalités de fonctionnement de la Direction Générale des Transports.
En effet, ce décret confère à cette direction un pouvoir qui n’est pas prévu par le texte qui l’a créée. Ainsi, il ressort que la Direction Générale des Transports a pour missions d’élaborer les éléments de la politique nationale en matière de transports, de veiller à en assurer l’exécution et le contrôle technique de tous ceux qui concourent à la mise en œuvre de ladite politique. Si l’ordonnance confirme ainsi le rôle de Régulateur du Gouvernement, le décret, en autorisant la confection des plaques par la DGT, place cette Administration dans une activité génératrice de ressources, donc à but lucratif. Ce qui est contraire au Code du commerce.
L’article 27 du décret charge la Division immatriculation des véhicules routiers, de la délivrance des plaques d’immatriculation dans le cadre de l’opération « SIGI DOLO ». Du coup, le Ministère des Transports s’est totalement éloigné du contenu de l’ordonnance de création de la Direction Générale des Transports.
Pour rappel , le gouvernement du Mali a concédé le service public relatif à la fourniture des plaques et d’emboutissage des caractères sur les plaques d’immatriculation à une société privée dans le cadre d’une convention de concession de service public pour laquelle le ministre en charge des transports intervient uniquement en qualité d’autorité de tutelle.
Mais dans cette affaire, le Ministère en charge des transports s’est substitué indûment à la société concessionnaire en décidant de fabriquer des plaques d’immatriculation. Pourtant, une convention de délégation de service public la liait à cette société qui est la société Yattassaye -Fils.
Au regard de cette violations flagrante des textes par celui qui doit en être le garant, la société Yattassaye-Fils a décidé de saisir la justice. Il faut rappeler que dans un récent passé, elle avait fait le même exercice en attaquant devant la section administrative de la cour suprême la décision N°13-027/ARMDD-CRD de l’Autorité de régulation des marchés publics et délégation de service public. La Cour, dans son Arrêt N° 335 du 24 octobre 2013, lui avait donné raison.
Pour recouper nos informations, somme toute accablante, nous avons tenté de rentré en contact avec la société « Jiguiya Signature » et le département en charge des Transports. Mais ce fut peine perdue.
En attendant, le ministère des transports est secoué par le scandale de ce marché de gré-à-gré de plus de 3 milliards de francs CFA, à la lumière de sa sous-traitance à la société “Djiguiya signature”.
Dossier à suivre !
Arouna Traoré
Source : Le Nouveau Réveil