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MANIFESTATION POUR LE CHANGEMENT : Les politiciens qui s’agitent autour de l’Imam Dicko, valent-ils mieux que le président ?

Après le 5 juin, le M5-RFP (Mouvement du 5 juin-Rassemblement des Forces patriotiques) a encore réussi à paralyser la capitale vendredi dernier (19 juin 2020) pour exiger le départ d’IBK. Dans sa déclaration à la presse le 17 juin, Mahmoud Dicko avait déjà tenu à témoigner de l’engouement des Maliens à participer massivement à la sortie du vendredi. Et pourtant, il n’y a aucune lisibilité dans ce mouvement qui se borne à réclamer la démission du président IBK. C’est d’ailleurs le seul point d’accord entre ces forces dites patriotiques si l’on se réfère aux déclarations publiques du porte-parole de la Coordination des mouvements de soutien à Mahmoud Dicko (CMAS), Issa Kaou N’Djim. Ce qui fait que les suivre dans cette logique ressemble à un saut dans l’inconnu pour le peuple malien.

«J’accorderais du crédit à l’Imam Dicko s’il dégageait autour de lui tous ces pseudos politiciens…» ! Tel est le souhait exprimé par un web activiste après la grande mobilisation du vendredi 19 juin 2020. Il est vrai que cette présence intrigue aussi les 18 millions de Maliens qui ne vont jamais sur la Place de l’Indépendance pour exprimer leur déception, leur frustration, leur désillusion… Leur déception du mouvement démocratique dont certains acteurs s’agitent aujourd’hui autour de l’Imam Dicko pour critiquer une gouvernance, dénoncer un système dans lequel ils ont été moulés.

Que peut espérer un Imam, qui prône le changement par le retour à des valeurs socioreligieuses et politiques, de politiciens véreux frustrés d’être tenus à l’écart du pouvoir et qui se battent pour leur propre revanche et non pour le changement souhaité par les Maliens ? Loin d’être une provocation, cette question est très pertinente. Et cela d’autant plus que ce mouvement se limite pour le moment à réclamer la démission du président de la République et ne propose rien d’autre qu’une litanie de griefs contre la gouvernance de ce dernier.

Lors de la manifestation de vendredi dernier (19 juin 2020), les observateurs ont sans doute constaté que Dicko et les politiciens qui tournent autour de lui ne sont plus sur la même longueur d’ondes par rapport à la démarche à suivre pour la démission d’IBK.

En effet, dans la déclaration lue par Cheick Oumar Sissoko (cinéaste, ancien ministre de la Culture et acteur du Mouvement démocratique de 1991) les forces patriotiques ont annoncé que la foule allait marcher sur le Palais de Koulouba pour remettre au président Kéita une lettre de démission qu’il devait signer. Et personne n’imagine les conséquences de la marche d’une foule constituée des dizaines de milliers de citoyens en colère sur une institution comme la présidence de la République. En fait, l’objectif des opposants politiques est d’acculer IBK, provoquer les forces de l’ordre et les pousser à la répression pour que leur mouvement se transforme en une véritable insurrection populaire. Ils sont dans une logique de radicalisation alors que l’Imam a juré qu’il ne veut pas mettre le feu à son pays.

C’est pourquoi il a pris la parole pour plutôt souhaiter que ce soit une délégation qui soit mandatée pour aller à la présidence. «Nous devons montrer au monde entier que nous sommes un peuple responsable qui est capable de se mobiliser, d’obtenir gain de cause sans violence, sans agression, sans casse… nous avons promis à la CEDEAO que nous n’allons rien détruire dans le pays…», a déclaré Mahmoud Dicko.

Et quand les émissaires (Cheick Oumar Sissoko, Issa Kaou Djim et Choguel Kokala Maïga) sont revenus déclarer qu’ils n’ont pas été reçus par IBK, en vrai leader l’imam Dicko a demandé aux manifestants de rentrer à la maison sans faire de violence. Toutefois, il a pris à témoin la CEDEAO et laissant «la balle dans le camp» des médiateurs. Une décision qui, selon plusieurs sources, n’a plu pas à ses alliés, y compris au sein de la CMAS. Ceux-ci auraient souhaité que le M5-RFP passe automatiquement à la vitesse supérieure, c’est-à-dire à la désobéissance civile (autant dire à la violence) pour déloger IBK de Koulouba.

Comment éviter le chaos après une démission forcée d’IBK ?

Que se passera-t-il si IBK démissionne aujourd’hui ? Cette démission est loin d’être une panacée. Qu’est-ce que ces alliés de circonstance proposent-ils alors aux Maliens pour éviter que le pays s’enlise  dans un vide constitutionnel aux conséquences davantage périlleuses que la gouvernance décriée d’IBK ? Ils se gardent bien d’aborder cette question car visiblement la démission d’IBK est le seul point d’accord entre ces forces dites patriotiques si l’on se réfère aux déclarations du coordinateur de la Coordination des mouvements de soutien à Mahmoud Dicko (CMAS), dans les médias.

Mais, comme le dit le chercheur Baba Dakono, «le caractère populaire du mouvement peut rassurer sur sa légitimité. L’absence de débats sur l’après IBK soulève des inquiétudes qui me paraissent légitimes. Et ces inquiétudes devenaient plus grandes quand on entendait les réponses». Et face au manque de perspective, ces politiciens ne sont-ils pas en train de manipuler le peuple en l’entraînant dans une logique de saut dans l’inconnu ?

Même si certains acteurs ne manquent pas de propositions qui ne sont pas toutes fantaisistes. Il s’agit, entre autres, d’invoquer la vacance du pouvoir et installer une Constituante, former un gouvernement représentatif de toutes les sensibilités, dissoudre l’Assemblée nationale, engager une révision constitutionnelle pour initier le passage à la 4e République avec les réformes…

«Après le départ d’IBK, on fera une transition qui sera dirigée par la partie société civile de M5- RFP et aller à une 4e République. Les politiques vont se préparer pour une compétition saine», résume un web-activiste.

Si les choses étaient si simples, on n’aurait pas de soucis à se faire. Mais, le problème fondamental de l’après IBK sera une question de légitimité, donc de crédibilité. Et nous savons que l’Imam et ses alliés, à quelques exceptions près, n’ont aucune légitimité à vouloir diriger une quelconque transition.

A part bien sûr d’avoir obtenu la tête d’IBK (s’ils y parviennent).  Ils ont presque été tous associés de près ou de loin à la gouvernance qu’ils dénoncent aujourd’hui. Et même là, si nous pouvons parier sur une chose, c’est que le M5-RFP va voler en éclats une fois la démission d’IBK obtenue. Et cela d’autant plus que c’est un front d’opportunisme, d’intérêts et non de convictions.

Et les ambitions aussi bien que les égos sont démesurés. Qui alors pour diriger une transition après IBK ? Mahmoud Dicko ? L’envie et la prétention ne lui manquent pas. Et il peut revendiquer plus de légitimité que les acteurs de l’opposition politique qui pensent se servir de lui pour combattre le Chef de l’Etat.

Accepter de mourir pour mériter le paradis

Et l’imam sait pertinemment que les politiciens qui s’agitent autour de lui, ne valent pas mieux que le président qu’ils combattent aujourd’hui après avoir été exclus de la table des convives. Ils ne peuvent pas symboliser ces valeurs pour lesquelles le leader religieux se bat parce qu’ils sont les fruits du système en place, ils l’ont tous servi en se servant certainement. Des serviteurs si zélés au point de confondre les critiques contre le régime à des «débats de caniveaux».

Il est clair que les politiciens ont donc d’autres idées derrière la tête après la chute d’IBK. Ainsi, ils ne sont donc pas prêts à laisser la gestion d’une éventuelle transition à l’Imam dont la modération sera de plus en en plus un obstacle aussi à leurs desseins politiques. Lui non plus ne peut leur accorder sa bénédiction si son combat est réellement pour des valeurs. Alors pourquoi réclame-t-il alors la tête d’IBK ?

C’est d’ailleurs l’une des raisons qui doit pousser le leader religieux à prendre ses distances de ces politiciens véreux qui sont prêts à tout, y compris à mettre le pays à feu et à sang, pour éjecter IBK et prendre le pouvoir. Quel est leur intention ? Que mijotent-ils réellement dans l’ombre de l’Imam ? Bien malin qui saura répondre à ces questions. Mais, le temps nous édifiera davantage car rien ne résiste à son effet, surtout les alliances de circonstance.

Mais tout cela ne présage de rien de bon pour notre pays. Comme nous l’avons toujours défendu, pour bâtir un autre Mali, il faut que chaque Malien accepte le sacrifice de changer personnellement.

Aujourd’hui, plus qu’un gouvernement d’union nationale qui se résume à un partage de gâteau, le Mali a plus que jamais besoin d’une «gouvernance systémique où les solutions de certains problèmes ne vont pas constituer des causes  d’autres problèmes». Autrement pour sortir de l’impasse où les acteurs issus du mouvement démocratique ont conduit le pays, il nous faut «une gouvernance responsable dont le radar capte tous les problèmes et qui implique adéquatement les parties prenantes à la définition des problèmes et à la recherche de solutions».

Et ce mouvement d’inversion de la gouvernance du pays doit être impulsé par le peuple. Malheureusement, la caractéristique du Malien d’aujourd’hui, c’est de vouloir des omelettes sans casser des œufs, d’être partisan du moindre effort, de privilégier ses intérêts aux dépens de la nation… de vouloir aller au paradis sans mourir.

Ainsi, ceux qui disent que «nos dirigeants et politiciens sont à l’image du peuple» n’ont pas entièrement tort. Et cela d’autant plus que nous sommes convaincus que nous constituons tous, chacun individuellement, un problème du Mali. Nous sommes partie intégrante des problèmes du pays par nos comportements et nos actes au quotidien. «Je ne change l’état d’un peuple que si ce peuple prend en lui-même la décision sincère de changer», nous rappellent des prêcheurs en citant les saintes écritures du Coran.

C’est le peuple qui doit incarner le changement et non des anciens serviteurs du système qui a conduit le pays dans l’impasse actuelle, au bord du chaos ! Mais, tant que le Malien lui même ne va pas changer, les politiciens et dirigeants ne changeront pas et resteront toujours les mêmes, à notre image. Et la démission du président IBK n’y changera rien !

Hamady Tamba

Source: LE MATIN
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