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Mandat contre Soro : Un autre son de cloche

Notre aîné, le docteur Illy, a récemment partagé son opinion sur le mandat d’arrêt lancé contre Guillaume Soro par la justice burkinabè. Nous aimerions en apporter une autre lecture. Deux temps essentiels rythment l’argumentaire de l’auteur : la légalité du mandat, au regard du droit international, et son opportunité politique.

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S’agissant d’abord de la légalité du mandat d’arrêt lancé contre Soro Guillaume, Dr Illy invoque l’affaire relative au Mandat d’arrêt du 11 avril 2000 (République démocratique du Congo c. Belgique), arrêt de la CIJdu 14 février 2002. Nous ne reviendrons pas sur les détails de cette affaire que M. Illy a excellemment résumée. Nous nous contenterons de nous appesantir sur le point essentiel pour notre cas, que l’on trouve au paragraphe 51 :
« Il est clairement établi en droit international que, de même que les agents diplomatiques et consulaires, certaines personnes occupant un rang élevé dans l’Etat, telles que le chef de l’Etat, le chef du gouvernement ou le ministre des affaires étrangères, jouissent dans les autres Etats, d’immunités de juridiction, tant civiles que pénales »(1*).


Pour M. Illy, le président du Parlement d’un pays fait partie des personnes jouissant de l’immunité de juridiction, et donc il ne peut faire l’objet d’un mandat d’arrêt. Plusieurs raisons peuvent justifier une autre interprétation de la citation de la Cour internationale de justice.
Dans un premier temps, la CIJ a clairement indiqué que seules CERTAINES personnes occupant un rang élevé dans l’Etat bénéficient de l’immunité de juridiction. Cela indique nettement, que ne sont pas concernées toutes les hautes personnalités de l’Etat. Les exemples de la Cour (« telles que ») sont certes illustratives et non exhaustives, mais l’on peut bien se demander pourquoi, il n’a pas été fait cas de la deuxième personnalité de l’Etat (du moins dans le système qui est le nôtre, tout comme c’est le cas dans bon nombre de pays), si celui-ci dans l’esprit de la CIJ faisait partie des personnes jouissant de l’immunité. Il est difficile d’expliquer autrement une telle omission. Quand on donne des exemples, l’on pense naturellement à ceux qui sont les plus évidents.


Deuxièmement, l’on ne peut se fonder uniquement sur le rang occupé par une personnalité dans la hiérarchie de l’Etat pour déterminer sa capacité à jouir de l’immunité de juridiction. Dans notre contexte, M. Simon Compaoré, Ministre de l’Administration territoriale et de la décentralisation, du fait de son statut de Ministre d’Etat, a un rang supérieur à M. Alpha Barry, Ministre des Affaires étrangères, mais le MATDS ne saurait profiter de l’immunité de juridiction. Tout cela renvoie à sa raison d’être qui est de ne pas entraver la représentation de l’Etat à l’étranger.


Le Président et le Premier ministre, premiers responsables de l’exécutif sont ceux à qui l’Etat est identifié. Et le ministre des affaires étrangères de par son rôle de responsable de la diplomatie, est en première ligne dans la représentation de l’Etat auprès des autres pays. Les ambassadeurs bénéficient donc également de la même immunité de juridiction. Le président du Parlement par contre est seulement le chef du pouvoir législatif, et n’a généralement de rôle de représentation de l’Etat à l’international, mais seulement dans le cadre interne. Combien de fois a-t-on déjà vu par exemple, un Président se faire suppléer à une cérémonie à l’étranger par le chef du Parlement ? L’on peut se référer à la dernière prestation de serment de Roch Kaboré pour s’en rendre compte.


Une dernière raison qui interroge sur la capacité d’un président de Parlement à bénéficier de l’immunité de juridiction, est celle relative à la conduite de Soro lorsque la justice française a émis contre lui un mandat d’amener en décembre 2015. Alors que celui-ci était en réalité à Paris en visite privée, les autorités ivoiriennes ont vite fait de lui délivrer un ordre de mission, indiquant qu’il y représentait le pays. Cela indique qu’il n’y a ni consuetudo encore moins d’opiniojuris en la matière, que ce soit du côté français, comme du côté ivoirien. La règle à laquelle la CIJ fait référence est en effet de nature coutumière, alors que la coutume en droit requiert pour sa formation deux éléments : l’élément matériel qui est la répétition d’actes donnés manifestant un usage (consuetudo), et l’élément psychologique (opiniojurissivenecesssitas) qui est la croyance selon laquelle l’usage est question (s’il en existe) constitue une règle.L’attitude des deux pays sur le sujet est donc révélatrice de l’absence d’une telle règle, puisqu’en France comme en Côte d’Ivoire, le Président du Parlement (Sénat en France) est la deuxième personnalité de l’Etat. Il est aussi étonnant de n’avoir pas entendu les avocats de Soro invoquer l’affaire Yerodiaà cette occasion ou à celle du mandat d’arrêt lancé par la justice burkinabè.


D’où la possibilité d’estimer également que son « illégalité est douteuse ».
Soro en réalité ne pourrait bénéficier de l’immunité que s’il se trouve en mission pour le compte de la Côte d’Ivoire dans un Etat étranger, ainsi que le prévoit la Convention de New York de 1969, en son article 21 (2) : « Le chef de gouvernement, le ministre des affaires étrangères et les autres personnalités de rang élevé, quand ils prennent part à une mission spéciale de 1’Etat d’envoi, jouissent dans 1’Etat de réception ou dans un Etat tiers, en plus de ce qui est accordé par la présente convention, des facilités, privilèges et immunités reconnus par le droit international. »

Relativement ensuite à l’opportunité politique du mandat d’arrêt, certes il ne contribue pas à apaiser les relations entre les deux pays. Mais comment peut-il en être autrement quand la Côte d’Ivoire héberge des individus qui continuent de troubler la quiétude des Burkinabè ? L’exécutif burkinabè a le droit conformément à ses pouvoirs régaliens, de régler cette affaire par le canal diplomatique avec les autorités ivoiriennes. Mais cela devrait se faire sans entrave à la liberté des juges et des journalistes. Et si le MPP et ses affidés tiennent à leur règlement diplomatique, les Burkinabè ont aussi le droit de connaître leurs motivations réelles. S’ils veulent lâcher Soro, qu’ils soient convaincus que la population y trouverait avantage. Et l’on peut douter que l’on gagne au change, en annulant le mandat d’arrêt contre Soro, contre la reddition des ex RSP hébergés par Abidjan. Ce serait lâcher la proie pour l’ombre.


Somme toute, les Burkinabè n’ont aucun problème avec les Ivoiriens. Ils ont seulement maille à partir avec quelques personnes, qui doivent répondre de leurs faits. Et sans chauvinisme aucun, il est temps d’insister sur l’interdépendance qui existe entre les deux pays. Autant la Côte d’Ivoire est essentielle à la stabilité politique et économique du Burkina Faso, autant celle-ci ne pourrait se passer des Burkinabè et du Burkina Faso.

Bienvenu Venceslas OUEDRAOGO
wencescokiller@yahoo.fr

P.S : Important : Que les lecteurs n’y voient surtout pas l’insolente audace d’un jeune frère. Nous sommes seulement motivés par l’envie de donner notre avis sur une question d’intérêt national. Nous avons d’ailleurs plusieurs fois échangé avec Illy, en public et en privé sur le sujet et nous reprenons en grande partie des arguments déjà avancés à ces occasions. Nous vous remercions d’avance pour votre courtoisie.

1* : S’agissant de l’immunité d’un Ministres affaire étrangère, la CIJ note qu’elle est inopérante premièrement dans son propre pays, deuxièmement à l’étranger si son Etat décide de la lever, troisièmement lorsqu’il n’exerce plus sa fonction, et pour les actes accomplis à titre privé, et quatrièmement devant certaines juridictions pénales internationales (para. 61). L’on peut présumer que ces exceptions valent pour le Président et le Premier Ministre également.

Source: lefaso.net

 

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