Retour au calme à Bamako. « Ce qui nous rassure pour l’instant, c’est qu’avec tout ce qui s’est passé, il n’y a pas eu d’effusion de sang », confie sous anonymat à La Tribune Afrique un cadre de l’administration publique malienne, que la mutinerie de mardi a trouvé au bureau. Lorsque l’ordre de quitter les lieux est donné, un embouteillage interminable s’improvise dans la capitale, obligeant certains à se réfugier chez des proches. Mercredi, le pays était quasiment à l’arrêt. En revanche, les compagnies minières internationales ont fait savoir à l’agence Reuters qu’elles poursuivent normalement leurs activités. Mais sur les marchés financiers, les cours de leurs actions étaient en chute libre.
La junte au pouvoir (organisée en Comité national pour le salut du peuple – CNSP) présidée par le Colonel Assimi Goita, a annoncé une « transition politique civile », ainsi que l’organisation d’élections générales dans un « délai raisonnable ». Dans la soirée de mercredi, le CNSP a également appelé à la reprise du travail et des activités économiques ce jeudi, garantissant la sécurité des populations.
Deuxième coup d’Etat en huit ans, « Dommage pour l’économie ! »
La situation au Mali est suivie de près, alors que ce putsch -qui a conduit à la démission du président Ibrahim Boubacar Keita et à la dissolution de son gouvernement et de l’Assemblée nationale- jette un poids supplémentaire, probablement le plus lourd jusqu’ici, sur cette économie qui, souvent privée de ses opportunités en raison de l’instabilité politique et sécuritaire, a été davantage écrasée par la pandémie de Covid-19.
Ce deuxième coup d’Etat en l’espace de huit ans -le quatrième en soixante ans d’indépendance- est certainement la voie royale vers un précipice économique au Mali. D’autant qu’après la crise de 2012 où l’économie malienne est entrée en récession (-0,8% selon la Banque mondiale), celle-ci a renoué avec la croissance du PIB à partir de 2014 (7%). Ces dernières années, le Mali pariait sur cet embelli économique pour attirer le maximum d’investisseurs, notamment à travers sa stratégie « Invest in Mali ». « Au plan politique, ce coup d’Etat n’est pas une surprise. L’instabilité régnait déjà depuis quasiment quatre à cinq mois, due à une crise de gouvernance. Au plan économique c’est vraiment dommage parce que notre économie était déjà en situation très difficile », explique à LTA Dr Aboudramane Coulibaly, économiste malien. « Les militaires viennent gérer les affaires courantes, poursuit-il, mais s’il faut intégrer d’autres missions administratives et politiques telles que les différentes réformes à réaliser, la révision de la constitution, le référendum …, la transition risque de durer au moins deux ans, surtout que le mandat du président déchu courait jusqu’en juillet 2023 et que jusqu’ici, nous n’avons aucune visibilité sur l’agenda de la junte… Tout cela n’augure rien de bon pour l’économie nationale ».
Pourtant, des ressources à en revendre…
Étendue sur une superficie de plus de 1,2 million de kilomètres carrés avec plus de 19,5 millions d’habitants et un PIB de près de 17,2 milliards de dollars en 2018, le Mali dispose d’un sous-sol riche. Il est le troisième producteur d’or du continent après l’Afrique du Sud et le Ghana, avec 65,1 tonnes produites en 2019, laquelle devrait connaitre un recul cette année en raison de la crise, prévoit le secteur. Plus de 350 sites miniers artisanaux et plusieurs groupes étrangers dont les britanniques Hummingbird Resources, Randgold Resources et Cora Gold, le sud-africain AngloGold Ashanti, les canadiens B2Gold et IamGold, l’australien Resolute Mining ou encore la multinationale Endeavour Mining mènent l’exploitation. Ce secteur qui représente environ 70% des exportations maliennes, est la première source de revenus extérieurs du pays.
Le Mali est également connu pour son coton (deuxième pourvoyeur de revenus extérieurs dont il est le premier producteur d’Afrique), son fer, sa bauxite, son charbon, son gaz …, mais aussi sa riziculture qui serait parmi les plus dynamiques de la région, mais qui doit faire face aux importations asiatiques. Bref, si le secteur minier représente environ 11% du PIB, l’agriculture compte pour près de 19%. Les services, globalement restés le maillon faible de la chaîne, montaient progressivement ces dernières années grâce à l’intérêt manifeste de certains opérateurs financiers et opérateurs touristiques pour cette destination de l’Ouest africain. « Le Mali a un énorme potentiel économique. Car, bien que nous soyons un pays enclavé, notre économie diversifiée, qui repose non seulement sur le secteur minier, mais également sur l’agriculture, arrivait à se démarquer malgré les réalités », commente l’économiste malien.
L’envolée de la dette publique après l’ « opération chirurgicale » de 2006
Des réalités assez retentissantes récemment, concernant notamment le niveau d’endettement du pays. Les opérations de restructuration réalisées lorsque le G8 annule les 1 060 milliards de Fcfa de dette multilatérale du Mali, ont permis de fondre la dette publique, passée de 103% du PIB en 2000 à 19% du PIB en 2006. Alors que les attentes vis-à-vis des gouvernements qui ont dirigé le pays étaient qu’ils fassent tout pour maintenir l’endettement à des niveaux bas, celui-ci s’est réinscrit dans une tendance haussière depuis lors. A 27,1% du PIB en 2013, puis 30,6% en 2015, la dette publique malienne s’établit à 35,5% du PIB au 31 décembre 2018, selon les données du Comité national de la dette publique (CNDP), relevant du ministère de l’Economie et des Finances.
Pour les analystes, cette tendance est insoutenable, car historiquement, l’endettement du Mali l’a contraint à appliquer le programme d’ajustement structurel du Fonds monétaire internationale (FMI), notamment fait de privatisations de secteurs importants et de libéralisation des prix. Des mesures souvent porteuses de lourdes conséquences sur le plan social. Même si face à la pandémie de Covid-19, le Mali a été le premier pays sur 41 africains à obtenir la suspension du service de la dette par le Club de Paris, l’évolution de son endettement et la situation économique, rapportés notamment au fléau de la corruption et au train de vie des proches du pouvoir sont restés source de colère pour la population.
Dernier de la classe de l’UEMOA en 2020 ?
Au niveau régional, le Mali qui dégageait encore il y a quelques années des indicateurs économiques prometteurs au niveau de l’UEMOA pourrait en être la dernière économie cette année. Dans sa note de conjoncture publiée début juillet, l’UEMOA table sur une croissance du PIB de 0,9% en 2020 au Mali, contre 5,1% en 2019. A ce stade déjà, ce serait la plus mauvaise performance de cette zone économique des plus dynamiques du continent. Selon Dr Coulibaly, l’actuelle situation socio-politique ouvre « certainement » la porte à une récession économique en 2020.
Economie isolée à durée indéterminée
Comme si cela ne suffisait pas, le Mali est désormais isolé à durée indéterminée. L’Union africaine (UA) l’a suspendu de ses instances. La CEDEAO a ordonné, mercredi, aux pays de la sous-région la fermeture de toutes leurs frontières terrestres, aériennes et maritimes, ainsi que la rupture des relations économiques, financières et commerciales avec le Mali. En soirée, la Côte d’Ivoire ordonnait à ses administrations, banques et institutions financières de s’y conformer « jusqu’à nouvel ordre ».
« Nous sommes un pays très affaibli, qui dépend fortement de la demande extérieure via les ports d’Abidjan, de Dakar et de Cotonou… Si on tient compte des programmes financés au Mali par les bailleurs de fonds et tous ces acteurs de la diplomatie internationale, il faudra le rétablissement de la situation socio-politique avant une reprise de la coopération économique », regrette Dr Aboudramane Coulibaly.
Ces sanctions mettront également sur le carreau le secteur informel malien, qui représente 55% du PIB et qui, comme un peu partout sur le continent, fait vivre une frange importante de la population. La pandémie de Covid-19 et les mesures de confinement, notamment, ont montré à quel point ces couches sont vulnérables face à ce type de sanctions.
De l’avis du Dr Papa Demba Thiam, économiste international, expert en développement industriel intégré et spécialiste de l’intégration économique, la racine de la réalité malienne est la même pour plusieurs autres pays africains. « Ce qui arrive au Mali est fondamentalement un problème d’absence de développement économique inclusif et décentralisé, avec des peuples qui sont désespérés et qui sont conscients des ressources dont ils disposent, mais qui ne participent pas à leur exploitation et n’en bénéficient pas », argumente-t-il. « Un pays ne peut estimer faire du développement économique parce qu’il est le troisième producteur d’or d’Afrique et premier producteur de coton -pour parler du cas du Mali- sans transformer ses ressources localement, explique l’économiste. Si l’économie malienne était forte, elle absorberait les jeunes en leur offrant de l’emploi et ainsi un niveau de vie décent ».
Comment la politique enfonce le clou économique
Par ailleurs, cette situation au Mali met encore en exergue l’énorme influence de la politique sur l’économie. Serait-ce un abus de langage de dire que le développement économique est tributaire des système politiques des pays du continent ? « Le Mali a bâti son modèle politique sur le consensus, affirme Dr Coulibaly. Dans cette logique, il n’y a pas de réelle opposition, tous les acteurs travaillent dans le gouvernement d’union nationale. Nous voyons bien aujourd’hui que ce modèle est un échec tant sur le plan politique, qu’économique, et ce depuis le président Alpha Oumar Konaré en passant le président Amani Toumani Touré, jusqu’au président IBK ».
Les gouvernements d’union nationale et de coalition, estime Dr Thiam, sont pratiquement devenus des pièges pour les politiques africains et très peu recommandables pour l’essor économique. « Les arrangements d’appareils politiques ne servent à rien, sinon qu’à décrédibiliser l’ensemble de la classe politique. C’est la meilleure manière pour les hommes politiques de se saborder. Car, lorsqu’un leader politique rompt tout espoir d’alternance démocratique qui puisse créer les conditions d’un développement économique inclusif, il se retrouve seul face au peuple », explique l’expert. D’après lui, le niveau d’instruction des populations contemporaines, mais aussi l’avènement du digital facilitent l’accès à la connaissance et à l’information pour les populations. « Elles savent qu’elles ont la possibilité de faire mieux avec les ressources du pays et n’ont plus d’autres choix que de faire éclater leur colère », appuie Dr Thiam avant d’ajouter :
« Dans les démocraties occidentales, les présidents changent à chaque alternance. Mais chez nous, on ne laisse pas la possibilité aux populations de choisir leurs dirigeants sur la base de leur capacité à faire le développement économique. Mais on voit bien que les populations y accordent de plus en plus de l’importance ».
La junte militaire désormais au pouvoir au Mali a démarré les discussions avec les acteurs publics et politiques. En attendant que le CNSP parvienne à l’établissement d’un agenda clair, l’économie malienne retient son souffle sous le regard attentif et attentiste des acteurs économiques et investisseurs, pendant que les réunions, tant au niveau des institutions africaines qu’au niveau de la communauté internationale (créanciers, partenaires, …) s’enchaînent, pour l’instant, jusqu’à durée indéterminée.
Source: L’INFORMATEUR