Sur Twitter, le compte @Gauthier_Pasq (Gauthier Pasquet) a publié des captures d’écran de tweets censés avoir été émis puis supprimés par Abdoulaye Diop, le ministre malien des Affaires étrangères. Des observations effectuées sur ces publications attribuées au chef de la diplomatie malienne démontrent qu’il s’agit de tweets générés.
Le 27 août 2022, le compte @Gauthier_Pasq (Gauthier Pasquet) a publié sur Twitter deux captures d’écran de ce qui semble être un tweet du compte du ministre malien des Affaires étrangères, Abdoulaye Diop.
Sur la capture d’écran, on peut lire : « A cette allure ça devient pesant! J’ai longuement échangé avec le PR [NDLR : président de la République] et il m’a semblé l’air très à cheval avec ses frères d’armes sur l’idée d’un régime totalement militaire. Je lui ai déjà donné mon avis sur cette question et invité à faire preuve de résilience et de maturité. Choguel ? Pas d’information mais j’essaierai après la prière. Bn samedi » (sic).
Le compte @Gauthier_Pasq indique dans ce tweet qu’Abdoulaye Diop avait voulu faire un SMS qui s’est malencontreusement retrouvé sur Twitter. Il ajoute que le tweet avait été aussitôt supprimé, mais que plusieurs internautes avaient pu en faire des captures d’écran.
Quelques observations sur le tweet
Dans les commentaires, un internaute souligne que « d’habitude », Abdoulaye Diop « tweete avec un iPhone ». En parcourant le profil Twitter de M. Diop, on observe effectivement que ses tweets sont émis à partir d’un appareil iPhone, à l’instar de celui annonçant sa nouvelle photo de profil Twitter publié le 2 septembre 2022.
La capture d’écran censée montrer son tweet effacé n’indique pas à partir de quel type d’appareil le tweet douteux aurait été publié.
Contacté par Africa Check, le Sénégalais Mountaga Cissé, expert et formateur en nouveaux médias basé à Dakar, a fait la même observation. « J’ai remonté tous les tweets du ministre (Diop) et ceux du compte du ministère (malien des Affaires étrangères) pour les mois de juillet et août 2022. Dans la partie source, tous les tweets ont été publiés par une application iPhone », a-t-il souligné, en précisant : « Twitter donne des détails sur l’outil utilisé ».
« À part les sources ‘Twitter pour iPhone’, ‘Twitter pour Android’ et ‘Twitter pour le Web’, on a le nom des applications tierces. Je ne pense pas qu’il existe une application tierce nommée ‘Mali’ utilisée une seule fois », a ajouté M. Cissé.
En effet, on peut lire sur Twitter, à travers la page de son centre d’assistance, une fiche d’informations sur les libellés relatifs à la source des tweets : « Dans certains cas, le nom d’un client tiers peut apparaître, ce qui signifie que le tweet provient d’une application autre que Twitter. Certains auteurs utilisent parfois des applications clientes tierces pour gérer leurs tweets et des campagnes marketing, mesurer les performances de leurs publicités, proposer une assistance à leurs clients et cibler des groupes auxquels ils souhaitent diffuser des publicités ». Le réseau social publie une liste des sources tierces courantes et avec lesquelles il est en partenariat. Aucune de ces sources ne porte le nom « Mali ».
Par ailleurs, cet article explique comment changer les cartes sources des tweets : « Vous devez donc créer votre propre application Twitter pour changer la carte source. Mais ne vous inquiétez pas, c’est en fait un processus facile. Tout ce que vous avez à faire est de vérifier Twitter et de créer une application avec Python à l’aide des API Twitter fournies ».
« Une API, pour ‘Application programming interface’, est un programme permettant à deux applications distinctes de communiquer entre elles et d’échanger des données. Cela évite notamment de recréer et redévelopper entièrement une application pour y ajouter ses informations », renseigne le site français DataScientest spécialisé dans la formation sur les domaines d’expertise des données.
« Les API jouent ainsi le rôle de portes d’entrée dans un logiciel qui ne vous appartient pas », précise-t-il. Quant à Python, c’est « le langage de programmation open source (en accès libre, nldr) le plus employé par les informaticiens », indique Le Journal du Net, autre site français, qui consacre du contenu au vocabulaire de la technologie et de l’Internet. Ainsi, à travers le processus expliqué par Twitter, il est possible de créer une source à ses tweets et de lui donner le nom que l’on souhaite si celui-ci n’existe pas déjà.
On note qu’au niveau de la date de publication du tweet attribué à Abdoulaye Diop, une virgule sépare le jour et l’année, ce qui n’est pas le cas pour les autres publications sur la plateforme. En outre, la façon dont la localisation du tweet est indiquée sur la capture d’écran est différente de celle de l’usage sur Twitter.
De plus, il existe sur Internet des sites aidant à pirater des comptes et à simuler un tweet. Il est donc possible de faire un tweet canular puis en partager la capture d’écran en passant par le code source d’une page Twitter.
Qui est Gauthier Pasquet ?
Africa Check a contacté le compte Gauthier Pasquet sur Twitter. Notre interlocuteur a mis un terme à la discussion quand nous lui avons demandé de nous donner plus de précisions sur le média pour lequel il travaille.
La biographie du compte @Gauthier_Pasq indique que celui-ci a été créé en août 2021. Sur le profil, Gauthier Pasquet se présente comme « journaliste indépendant lanceur d’alertes » mais aussi « analyste politique, spécialiste Afrique de l’Ouest-Sahel ».
Toutefois, l’image de son profil Twitter montre la moitié du visage du journaliste turc Can Dundar, ancien rédacteur en chef du quotidien turc Cumhuriyet. Ce média est considéré comme un des principaux journaux de référence en Turquie et est très critique envers le pouvoir du président turc Recep Tayyip Erdogan. La photo de Can Dundar utilisée pour le profil Twitter @Gauthier_Pasq a été prise après un entretien avec Reuters à Berlin, en Allemagne, le 4 novembre 2016, comme mentionné dans la légende de l’image d’origine.
Nous avons retrouvé une ancienne biographie du même compte Twitter où le nommé Gauthier Pasquet était présenté, en anglais, comme « correspondant (de) RFMTV au Mali, en Guinée et au Burkina Faso », sans cependant aucun lien renvoyant au média mentionné . La même présentation de son profil ajoutait, cette fois en français (nous reproduisons le texte tel qu’écrit) : « Analyste politique spécialiste Afrique de l’ouest. Journaliste indépendant ».
Une recherche Google avec « RFMTV » comme mot-clé a suggéré comme résultats RFMTV en France et la Radiotélévision Forces des Médias (RFM TV) en République démocratique du Congo (RDC). Cette dernière se présente comme « une chaîne de radio et télévision communautaire ».
Inconnu au bataillon
Africa Check a contacté la chaîne française RFMTV. Son service de presse a indiqué ne pas connaître Gauthier Pasquet, tout en précisant que RFMTV était une chaîne musicale appartenant au groupe M6 et qu’elle n’avait pas de service Afrique.
Quant à la Radiotélévision Forces des Médias, elle a déclaré à Africa Check qu’elle diffusait à Kisangani, dans l’est de la RDC, et qu’elle n’avait aucune représentation en dehors de cette localité. Elle a précisé ne pas connaître le nommé Gauthier Pasquet. Ce dernier est également inconnu des journalistes maliens (ou basés au Mali) interrogés par Africa Check, dont le président de la Maison de la Presse, Bandioungou Danté.
Africa Check a également sollicité en France la Commission de la carte d’identité des journalistes professionnels (CCIJP) qui, selon son site, « a pour objet de délivrer une carte d’identité de journaliste professionnel aux postulants qui remplissent les conditions fixées » par la loi en vigueur en la matière dans ce pays. Elle a expliqué qu’elle ne donnait pas d’information concernant les journalistes mais veillait à « répondre aux demandes de toute autorité (judiciaire, administrative) disposant d’un pouvoir d’enquête légitime » ou à des requêtes fondées sur les dispositions légales concernant « l’accès à l’information des chercheurs ».
Source: https://africacheck.org